Peut-on sciemment mentir sur Twitter pour faire du buzz ? Le cas Chipotle en question
Pour célébrer son 20ème anniversaire et créer le buzz, la chaîne de restauration rapide tex-mex Chipotle a délibérément organisé un faux détournement de son compte Twitter. Si le succès d’audience est indéniable, il n’est pas sans soulever certaines questions épineuses en termes de bonnes pratiques sur les médias sociaux. Analyse.
Bien qu’elle dispose d’un restaurant dans le 9ème arrondissement de Paris depuis 2012, l’enseigne de fast food américaine Chipotle est surtout connue en Amérique du Nord et au Royaume-Uni où elle détient à ce jour plus de 1000 restaurants qui servent des spécialités mexicaines comme les tacos et les burritos. Dimanche 21 juillet, Chipotle a fait grimper d’un cran son taux de notoriété au cours d’une opération marketing plutôt controversé : un faux piratage de son fil Twitter pendant quelques heures.
Et soudain la fièvre gagna Twitter
Chipotle tire son nom du piment séché éponyme qui est énormément usité dans l’art culinaire mexicain. Or, en ce 21 juillet, les abonnés du fil Twitter de l’enseigne sont soudainement perplexes. Le community manager aurait-il précisément abusé du fameux piment ? Toujours est-il que des tweets énigmatiques n’en finissent plus d’inonder la timeline de la chaîne de restauration rapide. Devant les bizarreries sémantiques qui s’accumulent, les internautes se perdent en conjectures tout en partageant les sibyllins messages. Que se passe-t-il ? S’agit-il d’un hacking comme celui vécu à leur détriment par Burger King et Jeep ? Ou bien est-ce un salarié plaisantin en plein pétage de plombs ?
La réponse ne tardera guère à tomber grâce à la curiosité du site spécialisé Mashable. Le journaliste Seth Fiegerman parvient à joindre le directeur de la communication de Chipotle, Chris Arnold. Ce dernier lève le voile sur les mystérieux tweets. Ceux-ci sont des indices faisant simplement partie d’une vaste chasse au trésor de 20 jours baptisée « Adventurito » et organisée dans le cadre des 20 ans de l’enseigne. Les tweets servaient en fait à constituer un puzzle pour rassembler les ingrédients composant le guacamole. Chris Arnold explique la démarche (1) : « Nous avons pensé que cela collait très bien avec la promotion autour de notre 20ème anniversaire où nous disséminions des indices dans toutes sortes de choses. Du coup, en incorporer dans nos propres médias sociaux correspondait bien à l’esprit de la promotion ».
De ce point de vue, le coup marketing de Chipotle a été un incontestable succès en termes d’audience. Là où l’enseigne gagne en moyenne 250 nouveaux abonnés par jour, elle en a converti cette fois plus de 4000 en à peine plus d’une heure. Idem pour les partages de messages. Le fil Twitter enregistre au quotidien près de 75 retweets. Avec le jeu, le chiffre a carrément bondi à 12 000 ! S’il s’agissait de faire le plein de nouveaux clients potentiels et de faire parler d’elle, la marque a effectivement de quoi crier « Arriba » !
Certains trouvent le tacos amer !
La supercherie n’a pourtant pas été du goût de tout le monde. Interrogés par le site spécialisé en marketing Digiday, plusieurs experts du secteur ont fait part de leur malaise au sujet de ce détournement savamment orchestré par Chipotle. Directeur de la création chez Young & Rubicam, Rick Liebling déplore que la marque ait perdu de vue les valeurs fondamentales qu’elle professe en toutes circonstances (2) : « Chipotle est une marque qui incarne l’honnêteté et l’authenticité. Falsifier un détournement est hors de son territoire de marque ».
Président de l’agence de marketing digital Deep Focus, Ian Schafer est sur la même longueur d’onde que son confrère (3) : « La plupart de ces combines – c’est d’ailleurs étonnant que cela en devienne une catégorie marketing – me frappe tant c’est plutôt mollasson. C’est comme si vous faisiez intervenir votre PDG ivre lors d’une conférence de presse et qu’en ensuite, vous vous excusiez une fois qu’il a dessaoulé ».
Face aux critiques acerbes, Chris Arnold, le dircom de Chipotle, se défend vivement d’avoir voulu flouer ou mentir à dessein aux consommateurs. Pour lui, il s’agissait avant tout de monter une initiative originale qui susciterait la conversation sur les réseaux sociaux (4) : « Nous avons estimé que les gens s’intéresseraient si nous savions attirer leur attention et les faire parler. C’est ce qui s’est produit tel que nous l’avions planifié. Mais nous n’avons jamais voulu être ni malfaisants, ni odieux ou polémiques ». Et d’ajouter (5) : « Nous avons rédigé les tweets de façon soignée et pas mesquine. Nous n’avons pas cherché le sensationnel mais juste un bon moment de plaisir ».
Côté twittos, la mascarade n’a pas vraiment soulevé des cris d’orfraie à la différence des professionnels de la communication et du marketing. Digiday cite notamment ce tweet d’un consommateur avant tout pragmatique et soucieux de pouvoir continuer à se régaler chez Chipotle :
Carton rouge pour Chipotle ?
Le cas Chipotle ne doit cependant pas être considéré comme un épiphénomène évanescent à mettre sur le compte d’une équipe marketing un peu trop impatient de faire le buzz à tout prix. En cela, cette histoire rappelle la récente controverse autour du supposé abandon des blagues Carambar qui s’était en fin de compte avéré être un gros canular pour le 1er avril et pour relancer ainsi la sympathie des consommateurs auprès de la barre caramélisée. A l’époque, le débat avait été vif non pas sur le caractère blagueur de l’opération – la vie doit être fun ! – mais sur le franchissement délibéré de certaines limites éthiques pour susciter à tout prix l’écho médiatique le plus large possible. Notamment en mentant ouvertement à des journalistes qui cherchaient à savoir si oui ou non, les blagues allaient disparaître des emballages Carambar.
A cet égard, Chipotle a similairement flirté avec les lignes déontologiques en s’emparant à son profit du phénomène croissant (et préoccupant) du hacking de marques sur les médias sociaux. En jouant subtilement avec la crédulité des internautes, la marque s’est certes payé un joli succès d’audience mais elle pose également question. Gagner des followers par tous les biais possible est source de dérives ultérieures, surtout si chacun s’ingénie à concocter des opérations toujours plus malicieuses que le concurrent. De plus, est-ce que les fans conquis de cette façon, le sont pour de bonnes raisons ? Beaucoup se sont en effet abonnés au fil Twitter de Chipotle plus par simple curiosité que par motivation réelle à engager avec la marque. N’est-ce pas une acquisition d’abonnés un peu chèrement payée ?
Ceux qui seraient tentés de rééditer le coup de Chipotle, seraient bien inspirés de conserver en mémoire le constat édicté par Peter LaMotte, stratégiste en communication pour le cabinet Levick à Washington. Celui-ci est sans concessions envers les opérations à la sauce Chipotle (6) : « Rester créatif est une bonne chose mais c’est un art certain que de savoir jouer avec vos abonnés sur les médias sociaux. Les règles cardinales des médias sociaux sont transparence et construction de la confiance. Il est immature et dangereux de jouer avec la confiance et la transparence de vos abonnés et de votre clientèle ». Qu’on se le dise !
Sources
(1) – Seth Fiegerman – « Chipotle faked its Twitter hack » – Mashable – 24 juillet 2013
(2) – Saya Weissman – « Was Chipotle’s fake hack worth it? » – Digiday – 25 juillet 2013
(3) – Ibid.
(4) – Seth Fiegerman – « Chipotle faked its Twitter hack » – Mashable – 24 juillet 2013
(5) – Joanna Stern – « Chipotle Twitter account was hacked by … Chipotle » – ABC News – 25 juillet 2013
(6) – Hayley Tsukayama – « How to alienate your Twitter followers : Chipotle staged hack falls flat » – The Washington Post – 26 juillet 2013
A relire sur le Blog du Communicant
– « Carambar : Les blagues les meilleures sont les plus courtes » – 25 mars 2013
– « Burger King & Jeep : Quelles leçons tirer des piratages ? » – 21 février 2013
2 commentaires sur “Peut-on sciemment mentir sur Twitter pour faire du buzz ? Le cas Chipotle en question”-
Erwan - SEO -
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Olivier Cimelière -
Nous sommes effectivement proches des limites mais le succès semble au RDV. Comme ils n’ont pas poussé trop loin ni trop longtemps la plaisanterie, le consommateur ne leur en tiendra pas rigueur.
Ce qui fait hurler les internautes ce sont les faux profils créés artificiellement pour interagir sur les réseaux sociaux. J’ai en tête l’affaire Orangina sur Facebook où une poignée de fans qui commentait tous les statuts étaient gérés par une agence de comm’…
Bonjour
Vous avez raison de souligner que Chipotle n’ait pas allé trop loin dans le tour de passe-passe. Il n’empêche que la tendance à lancer des rumeurs pour des visées promotionnelles commence à être gênante. A force de jouer avec la confiance des internautes, le risque est d’entamer progressivement celle-ci. C’est l’histoire de l’éternelle fable de Pierre et le loup. On sait ce qu’il est advenu.
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