Politiques/Astroturfing sur Twitter : Et si on calmait le jeu du « qui m’aime me suive » ?
A l’orée des échéances électorales municipales et européennes, une étrange épidémie semble affecter les comptes Twitter de nombreux acteurs politiques français et pas des moindres. En l’espace de quelques heures, ceux-ci ont enregistré un afflux massif d’abonnés aux profils trop souvent exotiques ou farfelus pour être crédibles. Que penser de ces emballements numériques où les compteurs s’affolent et qui soulèvent de vraies questions éthiques et démocratiques ?
Il fallait probablement s’y attendre. A mesure que l’influence des réseaux sociaux s’immisce et pèse toujours plus significativement tant sur le débat public que sur les opinions des citoyens, la gonflette numérique s’avère une tentation croissante à laquelle il est parfois malaisé de ne pas succomber pour d’aucuns. Déjà lors des années passées, des agences de publicité mais aussi des figures politiques comme notamment Nadine Morano s’étaient faites pincer par des internautes avisés et surtout étonnés de voir des statistiques quasi surréalistes propulser leurs pages Facebook et leurs comptes Twitter sur le devant de la scène digitale en un clin d’oeil.
Le cas Faouzi Lamdaoui
Aujourd’hui, le phénomène semble gagner de l’ampleur comme en témoigne l’affaire Lamdaoui. Etait-il autant en mal de notoriété médiatique ? Toujours est-il que le profil Twitter de Faouzi Lamdaoui, conseiller du président de la République, a subitement connu une crue invraisemblable de nouveaux abonnés sur les dernières semaines écoulées. Alors que jusqu’à présent, le fil du conseiller présidentiel augmentait à un train de sénateur, le début de 2014 a vu une déferlante de nouveaux venus se passionner pour les tweets de l’impétrant. Plus de 16 000 convertis se sont ainsi mis à suivre Faouzi Lamdaoui en janvier selon le décompte disponible via l’application Twopchart. Rebelote en février avec un nouvel apport conséquent de plus de 11 000 followers. Avec à chaque fois des avalanches de retweets qui ont forcément fini par intriguer les socionautes.
Fabrice Epelboin est l’un des experts qui n’a guère tardé à éventer la machinerie à multiplier les twittos mise en place par le « sherpa » de François Hollande. Spécialiste du Web et des médias sociaux, il étudie depuis longtemps les techniques pour procéder à du dopage d’influence numérique. Dans son billet fort documenté paru sur le site Reflets.info, son analyse est catégorique (1) : « Le trucage, ici, ne fait pas le moindre doute quand on passe le compte à la moulinette de divers outils. Mais c’est avant tout l’usage que Faouzi Lamdaoui fait des botnets Twitter qu’il s’est achetés qui plante le décor, et qui l’empêchera de plaider l’habituel « c’est pas nous™ » ou « on savait pas™ ».
Une technique à la portée de tous … mais repérable !
De fait, il est en effet plutôt chose facile d’acheter (voire d’échanger gratuitement) des vrais profils de fans et/ou des botnets. Ces derniers sont des petits robots informatiques assez puissants pour communiquer entre eux et engendrer diverses actions qui vont de l’attaque sur un serveur pour le faire tomber et provoquer un déni de service jusqu’à générer à la volée des partages automatiques de contenus. Intérêt pour l’individu qui se livre à cette dernière activité : amplifier la portée de ses messages et s’arroger de fait une forme d’importance réputationnelle sur le Web, du moins en volumétrie.
En effet, le revers de ce biais plus que contestable est qu’il demeure facilement repérable. D’abord d’un point de vue statistique, l’importance d’une page Facebook ou d’un compte Twitter obéit à des probabilités mathématiques récurrentes qui se traduisent par des courbes de progression logiques où les variations chiffrées ne dépassent pas certaines amplitudes. Il se peut certes que ponctuellement des comptes puissent enregistrer des taux haussiers phénoménaux. Ce cas de figure est le plus souvent lié à un fait conjoncturel qui suscite effectivement une forte attractivité.
Par exemple, lorsqu’Hillary Clinton a ouvert officiellement son fil Twitter, elle a en effet vu les abonnements s’envoler du fait de son statut mondial. De même lorsque Satya Nadella a été nommé à la tête de Microsoft, son compte Twitter s’est immédiatement enrichi de milliers de nouveaux followers à une cadence soutenue. En revanche, gagner des fans de manière exponentiellement prodigieuse sans actualité particulière, ni notoriété déjà largement établie, relève de l’impossible et devient du coup facile à repérer avec les outils de mesure de trafic.
Ensuite, la supercherie se remarque également du fait que les vrais-faux profils proviennent de pays étrangers qui n’ont très fréquemment rien à voir avec la personne concernée. Quant aux bots, ceux-ci ont la fâcheuse tendance de ne pas forcément saisir toutes les subtilités sémantiques de ceux qui les interpellent et de répondre alors systématiquement et hors de propos par des messages calibrés comme des œufs de poule. C’est exactement le cas de figure dans lequel est Faouzi Lamdaoui bien que celui-ci s’évertue à nier toute tricherie et affirmer tout ignorer des causes de cette popularité hors normes acquise en un éclair. Malgré les indices probants que sème à chaque fois cette fraude à la popularité, il y a encore beaucoup de personnes qui osent franchir la ligne jaune, quitte à carboniser leur réputation lorsque la resquille est découverte !
Malveillance possible ?
Dans la foulée de l’anecdote peu reluisante de Faouzi Lamdaoui, une autre flambée a agité la twittosphère dans la nuit du 7 au 8 mars. Cette fois, les comptes de personnalités de premier plan comme Anne Hidalgo, Jean-François Copé, Ségolène Royal, Jean-Marc Ayrault ont tous subi une inflation hallucinante de nouveaux abonnés. Ainsi comme le mentionne Thibaut Pezerat du Lab d’Europe 1, le profil de la candidate PS à la mairie de Paris s’est par exemple « enrichi » de 60 000 aficionados noctambules sans qu’il n’y ait pour autant de contenus particulièrement tonitruants qui aient été tweetés par l’équipe de campagne d’Anne Hidalgo.
Le démenti vigoureux de l’entourage de l’actuelle première adjointe au maire de Paris n’a d’ailleurs pas tardé à tomber (2) : « Une progression d’une telle ampleur ne peut être due qu’à une manipulation extérieure. Ce n’est pas la première fois que le compte @Anne_Hidalgo subit de telles manœuvres. Nous n’avons jamais pratiqué et nous dénoncerons systématiquement l’achat de « faux followers ». Les services de Twitter France ont été alertés, nous attendons que ce problème soit réglé rapidement, et nous remercions les 120 000 personnes bien réelles qui suivent tous les jours l’actualité d’Anne Hidalgo sur Twitter ».
Même s’il y a incontestablement une anomalie, il est en revanche plus hasardeux de suspecter Anne Hidalgo (mais également ses comparses politiques également affectés par le phénomène), de manipulation visant à augmenter artificiellement l’influence digitale de la candidate. Dans une joute électorale où cette dernière est médiatiquement très exposée et de ce fait scrutée en permanence, recourir à pareille ficelle équivaudrait à un suicide réputationnel garanti lorsqu’on prétend gouverner aux destinées de la capitale française. A ce stade, le compte Twitter d’Anne Hidalgo a en revanche tout intérêt à être nettoyé pour revenir à un niveau cohérent de followers authentiques. Reste à savoir si des hackers bien organisés ont effectivement pu booster les comptes des personnalités visées à leur insu afin de les dénigrer en les faisant passer à leur tour pour des tricheurs patentés !
La gonflette se généralise malgré tout
Face à la récurrence de plus en plus rapprochée de ces dérives inflationnistes, Fabrice Epelboin se montre soucieux. A ses yeux, les bidouillages pourraient bien se poursuivre et se généraliser sous le terme générique d’astroturfing. Inventée par des spécialistes de l’intelligence militaire, cette technique logicielle consiste à créer des mouvements de foule fictifs sur le Web en générant des faux profils numériques qui vont se comporter comme de véritables utilisateurs mais avec une puissance de calcul et d’action telle que l’impact est sans commune mesure. Au final, il s’agit de stratégies finement élaborées pour faire chuter la réputation d’un adversaire désigné.
Jusqu’à présent peu répandue en France, la technique commence pourtant à gagner du terrain, y compris à des échelons locaux où l’on pouvait penser que la communication numérique était encore à l’âge de pierre. Récemment, une polémique de ce genre a agité une campagne municipale au pays Basque. En février 2014, Sylvie Durruty, candidate à la mairie de Bayonne a ainsi été accusée d’avoir musclé abusivement sa page Facebook avec l’arrivée de 3000 fans alors que celle-ci plafonnait à 400 depuis son ouverture. Outre la soudaineté de ces enthousiastes profils, la provenance géographique a piqué au vif la curiosité d’un blog, le Web Pol, qui découvre vite que ces fans viennent tous … d’Istanbul ! Ce qui suscite aussitôt un article plutôt ironique du quotidien régional Sud-Ouest !
Quelque temps plus tard, la clé du mystère stambouliote est livrée par un autre site politique local, La Pibale. Pour eux, la manipulation est le fait d’un proche dans l’entourage de la candidate qui par zèle excessif, s’est adonné à de l’échange gratuit de fans pour doper la page de sa favorite électorale. Bouc émissaire bien pratique ou initiative individuelle maladroite, peu importe au final l’explication qu’on ne connaîtra probablement jamais. En revanche, cette anecdote du cru tend à prouver que les techniques d’astroturfing (qu’elles soient rustres comme dans ce cas précis ou élaborées dans d’autres) essaiment petit à petit dans la communication politique à tous les niveaux.
Tirons la sonnette d’alarme avant qu’il ne soit trop tard
Au-delà de l’aspect éthique bafoué et de la dimension légale répréhensible (article L52-1 du code électoral) que véhicule cette déviance des profils sociaux, la gonflette numérique pose un véritable problème démocratique dont il convient de se soucier dès maintenant. Quelle que soit la sophistication du procédé d’astroturfing employé, cela montre que quiconque peut désormais s’arroger une influence et s’efforcer de peser dans les débats sociétaux sans avoir ni représentativité, ni légitimité véridiques.
Ces histoires à répétition de ces derniers jours ne doivent surtout pas être réduites à de simples bidouilles de geeks ou d’egos politiques en mal d’existence médiatique. Comme le rappelle fort opportunément Fabrice Epelboin dans l’introduction de son billet, l’astroturfing peut avoir des conséquences nettement plus graves où tout le système démocratique peut devenir dévoyé. C’est exactement ce qui s’est passé en Corée du Sud lors de l’élection présidentielle de 2012 où le candidat de l’opposition a vu sa réputation pulvérisée par une « habile » campagne d’intox sur Twitter émanant de son adversaire qui est ainsi parvenu à se faire réélire.
Même si la France a été longue à l’allumage en matière d’astroturfing, la recrudescence des cas ces derniers mois laisse à penser que nous sommes loin d’épiphénomènes éphémères. Or, aujourd’hui, certains courants politiques (et notamment l’extrême-droite) sont particulièrement passés maîtres dans l’exploitation de la caisse de résonnance qu’offrent les médias sociaux. De là à vouloir l’amplifier encore un peu plus à coups de « remontants » digitaux, il n’y a qu’un clic qu’il convient de ne pas mésestimer si l’on souhaite que le numérique collaboratif soit autre chose qu’un jeu d’intox pernicieux.
Sources
(1) – Fabrice Epelboin – « L’astroturfing à l’Elysée, c’est maintenant » – Reflets.info – 7 mars 2014
(2) – Thibaut Pezerat – « Les comptes Twitter de nombreuses personnalités politiques françaises voient leur nombre d’abonnés exploser en une nuit » – Le Lab Europe 1 – 8 mars 2014