Sponsoring & Sport : Le temps du simple sticker est révolu pour les marques
Avec une énième affaire de corruption aux basques où onze de ses membres sont suspectés de malversations, la FIFA (Fédération International Football Association) connaît une nouvelle tourmente médiatique qui a fait fortement réagir plusieurs des marques sponsors de l’institution sportive. Si le partenariat sportif s’est longtemps résumé à apposer des stickers et des panneaux publicitaires lors d’une compétition, l’association des marques est de plus en plus scrutée par l’opinion publique. En cas de dérives, la réputation des marques peut à son tour vaciller avec des conséquences financières non négligeables. Analyse d’une tendance grandissante.
Fraîchement réélu pour un 5ème mandat à la tête de la FIFA, son président Sepp Blatter aurait pourtant volontiers fait l’économie d’un scandale supplémentaire où onze officiels de l’instance mondial du football sont soupçonnés d’avoir profité de pots-de-vin à grande échelle en échange de leurs voix lors des votes de l’assemblée générale. La crise est d’autant plus aigüe que les attributions des Coupes du Monde de 2018 en Russie et 2022 au Qatar sont également entachées de fortes présomptions de triche organisée. Sans parler de l’autre controverse qui concerne les chantiers de construction des futurs stades au Qatar où les conditions de travail des ouvriers sont particulièrement inacceptables pour de nombreuses ONG. Tous ces dossiers impactent de plus en plus la réputation des sponsors qui s’associent aux acteurs et aux événements du sport professionnel.
Pas d’impact pendant longtemps
Etre sponsor d’un événement sportif, d’un club ou même d’une tête d’affiche était jusqu’à présent d’une relative simplicité. En échange d’un contrat généralement juteux et d’un logo bien visible du public, la marque pouvait espérer accroître sa notoriété, valoriser ses produits ou encore bénéficier des puissantes valeurs d’image que le sport véhicule comme la performance, le dépassement de soi, l’esprit d’équipe, l’émotion de la conquête, etc. A mesure que le sport s’est professionnalisé et médiatisé, les enjeux financiers ont augmenté à l’aune de celui-ci et offert un incommensurable appel d’air pour que les marques versent leur obole et deviennent des partenaires contributeurs.
Comme tout secteur d’activité, le sport n’est pas exempt de dérives. Au fil des décennies, la presse s’est régulièrement fait l’écho de scandales et de controverses qui ont pu agiter les grandes compétitions internationales. En 1978 par exemple, la Coupe du Monde de football déclencha de vives polémiques. Certains estimaient en effet qu’organiser le tournoi en Argentine revenait à cautionner le régime dictatorial et sanguinaire du général Videla. Cela n’empêcha nullement Coca-Cola de verser la somme de 8 millions de dollars (1) pour devenir le sponsor officiel et de se faire voir des spectateurs du monde entier. L’enchaînement des rencontres et des exploits des footballeurs de l’époque relèguera alors rapidement en coulisses la contestation initiale des défenseurs des droits de l’homme.
Des années plus tard, d’autres marques se sont retrouvées alpaguées à leur insu dans une retentissante histoire de dopage lors du Tour de France 1998 à tel point que le dossier sera même médiatiquement intitulé du nom d’un des sponsors, à savoir l’affaire Festina. A l’époque, la marque horlogère espagnole était encore relativement peu connue en dehors de ses frontières. C’est la raison pour laquelle elle s’était engagée sur la Grande Boucle, un des événements sportifs les plus populaires au monde, comme chronométreur officiel mais aussi sponsor principal d’une équipe cycliste en lice sur l’épreuve. L’arrestation du soigneur de l’équipe en possession de produits dopants va révéler l’ampleur de la fraude médicalisée et conduire à l’exclusion de la formation cycliste de la course. Malgré que la marque va ensuite être inlassablement citée à chaque fois que l’affaire rebondira dans les colonnes des faits divers, Festina va bénéficier d’un incroyable bond en notoriété qui atteindra au final les 90% sans qu’il ne lui soit pour autant imputée les notions négatives et délétères du dopage des coureurs.
En 2007, une étude a été à nouveau conduite sur le Tour de France concernant le parrainage de l’enseigne de grande distribution Champion qui sponsorisait à l’époque le maillot à pois rouges qui récompense le meilleur grimpeur durant la course. Elle visait à mieux comprendre la perception des clients des magasins et l’opinion qu’ils pouvaient nourrir de cette association entre la marque et une épreuve sportive toujours pas débarrassée du spectre du dopage. Les résultats sont assez édifiants (2). 82% des clients jugent que le parrainage du Tour de France convient à Champion avec des valeurs communes qui sont la proximité, la popularité, le dynamisme et la compétition. De plus, 69% des clients ne sont pas d’accord avec l’affirmation suivante : « Je trouve que Champion ne devrait pas sponsoriser le Tour de France à cause du dopage ». Autrement dit, la marque n’a pas à subir les dérapages commis par d’autres.
Les enjeux sociétaux s’invitent
Si l’opinion publique demeure encore souvent impassible et ne s’émeut guère auprès des sponsors de certaines déviances sportives, les choses évoluent malgré tout sous le poids d’une conscience sociétale plus exigeante et impulsée par des organisations activistes extrêmement bien rôdées. Les Jeux Olympiques de Sotchi en Russie ont montré de manière emblématique qu’il devient de plus en plus complexe d’esquiver certains débats et de se cantonner uniquement à l’aspect sportif d’un événement. Sponsor des JO d’hiver 2014, Coca-Cola fut ainsi la cible répétée d’associations de défense des droits homosexuels afin que la marque prenne publiquement position contre les lois discriminantes à l’égard de la communauté gay et lesbienne que Vladimir Poutine a décrétées.
Une autre marque fameuse (pourtant non partenaire de l’événement) n’avait d’ailleurs pas hésité une seconde à apporter son soutien aux militants gays et lesbiens. Lors du jour de l’ouverture de la compétition en février 2014, Google avait lancé sur sa page d’accueil mondial un « Doodle » aux couleurs gay-friendly pour protester contre les textes anti-homosexuels adoptés en Russie tout en ajoutant un lien vers la charte olympique et une citation très évocatrice : « La pratique du sport est un droit de l’homme ».
Consultant international dans le domaine du sport mais aussi et surtout observateur chevronné du mouvement olympique sur lequel il a publié récemment un livre, Armand de Rendinger estime que la donne ne se borne plus uniquement à des questions sportives, y compris pour les marques qui s’impliquent dans l’olympisme ou d’autres grandes compétitions (3) : « Avec le poids des réseaux sociaux et la vitesse de communication des informations, le CIO (NDLR : Comité International Olympique) va devoir évoluer plus rapidement et prendre des mesures plus drastiques, s’il ne veut pas connaître un discrédit moral et éthique rédhibitoire. Il n’est pas certain non plus que les partenaires économiques et les médias puissent se contenter à terme de contribuer au développement de l’olympisme sans prêter attention à la manière dont ses responsables sauront répondre aux exigences « morales » et de transparence qu’imposeront les communautés, les citoyens et les groupes de pression organisés ou non sur les plates-formes numériques ». Son analyse confirme des initiatives comme New FIFA now qui viennent de voir le jour depuis début 2015. Rassemblant des décideurs, des sportifs, des fans, des politiques, cette coalition militant exige plus de transparence de la part de la FIFA. Pour cela, elle incite même les personnes intéressées à impliquer directement les sponsors de la FIFA en leur fournissant des lettres modèles à envoyer aux dirigeants des sociétés !
Les lignes commencent à bouger
L’arrestation de 11 membres officiels de la FIFA par les autorités américaines le 28 mai dernier confirme clairement que le paradigme simpliste où la marque se contente d’apposer son sticker pour obtenir la meilleure visibilité, est obsolète. En dépit de la communication dilatoire et écran de fumée opérée par Walter De Gregorio, directeur de la communication et des affaires publiques de la FIFA, pour tenter d’estomper l’onde de choc médiatique, les grands sponsors historiques de l’institution n’ont guère tardé à réagir face à ce nouveau scandale qui ternit un peu plus l’image de la FIFA et des événements qu’elle organise.
Visa, la marque internationale de cartes de paiement, a d’ailleurs été la plus virulente à l’égard de la FIFA. Il y a quelque temps, elle avait déjà publiquement interpelé l’instance mondiale lorsqu’avaient été révélées des atteintes aux droits de l’homme subies par les ouvriers du bâtiment sur les chantiers des stades de la Coupe du Monde au Qatar. Le communiqué émis était sans ambages. La marque se disait (4) « troublée par des reportages sur la Qatar détaillant les conditions de vie des travailleurs étrangers ». Dans la foulée de la descente de police embarquant les officiels de la FIFA, Visa a alors nettement haussé le ton en menaçant de cesser de sponsoriser si la FIFA ne faisait pas montre d’une gouvernance plus exemplaire (5) : « « A la lumière des révélations d’aujourd’hui, notre déception et nos préoccupations vis-à-vis de la Fifa sont sérieuses. En tant que sponsor, nous attendons de la Fifa qu’elle prenne des mesures immédiates. Cela passe par la reconstruction d’une culture avec des pratiques éthiques rigoureuses. Si tel n’était pas le cas, nous avons informé la Fifa que notre partenariat de sponsoring serait réétudié. ». On ne saurait être plus clair !
D’autres marques poids lourds ont également embrayé en exhortant fermement la FIFA à pratiquer plus de transparence et de respect de l’éthique des valeurs sportives. Tour à tour, Adidas, Coca-Cola, McDonalds et Hyundai ont dégainé des commentaires officiels particulièrement directs comme celui émis par la marque aux trois bandes (6) : « Adidas est pleinement engagé pour créer une culture qui promeut les plus hauts niveaux de conformité et d’éthique et nous en attendons de même de la part de nos partenaires ». Il n’y a guère que le russe Gazprom pour rester impassible et affirmer que rien ne remettait en cause son partenariat !
Vers un nouvel élan ?
Pour Jason Blake, vice-président de MEC Access, agence de marketing sportif, cette posture constitue un signal fort que les marques envoient et qu’elles doivent poursuivre à ses yeux (7) : « Les marques doivent maintenir la pression en public et en privé. En faisant ceci, les fans et les consommateurs peuvent voir qu’elles ne cautionnent pas ce qui semble être plus de deux décennies de corruption à la FIFA ». Il existe en effet des précédents où des marques ont choisi la rupture d’un partenariat sportif lorsque des faits graves étaient avérés. Ce fut notamment le cas en 2012 entre l’équipementier sportif Nike et le coureur cycliste Lance Armstrong. Suite à la publication de l’accablant rapport de l’agence américaine anti-dopage, la marque a alors rompu tout lien marketing et communication avec le champion déchu. Aux yeux de Philippe Bertrand, journaliste aux Echos qui a suivi l’affaire de la FIFA, les marques ne peuvent et ne doivent plus escamoter leurs responsabilités comme cela a été jusqu’à présent majoritairement le cas (8) : « Longtemps, les financeurs du sport se sont abstenus de toute critique à l’égard des institutions sportives sous prétexte que celles-ci régissaient la pratique sportive. Il ne fallait absolument pas donner le sentiment que l’argent influait sur le sport. On s’aperçoit aujourd’hui que cela n’a été que le prétexte à une inaction coupable ». Pour autant, la décision n’est pas toujours chose aisée même si l’éthique et la protection de la marque l’exigent de toute évidence. Les contrats multimilliardaires de sponsoring sont juridiquement verrouillés de telle façon qu’un annonceur ne peut pas toujours s’en dédire d’un simple claquement de doigt (sauf à avoir prévu les clauses idoines !).
Aux yeux de Philippe Bertrand, journaliste aux Echos qui a suivi l’affaire de la FIFA, les marques ne peuvent et ne doivent plus escamoter leurs responsabilités comme cela a été jusqu’à présent majoritairement le cas (8) : « Longtemps, les financeurs du sport se sont abstenus de toute critique à l’égard des institutions sportives sous prétexte que celles-ci régissaient la pratique sportive. Il ne fallait absolument pas donner le sentiment que l’argent influait sur le sport. On s’aperçoit aujourd’hui que cela n’a été que le prétexte à une inaction coupable ». Pour autant, la décision n’est pas toujours chose aisée même si l’éthique et la protection de la marque l’exigent de toute évidence. Les contrats multimilliardaires de sponsoring sont juridiquement verrouillés de telle façon qu’un annonceur ne peut pas toujours s’en dédire d’un simple claquement de doigt (sauf à avoir prévu les clauses idoines !).
Il n’empêche effectivement que devant la sensibilité accrue (mais pas totale) de l’opinion publique (parfois ambivalente à l’égard du dopage notamment), les marques doivent désormais intégrer des paramètres autres que les uniques objectifs marketing et communication dans un projet de partenariat sportif. Qu’elles le veuillent ou non, elles sont de plus en plus harponnées par des organisations activistes qui profitent de leur notoriété pour défendre des causes. La dernière Coupe du Monde au Brésil en 2014 a ainsi connu d’importantes et répétitives manifestations contestant avec véhémence la pertinence économique de l’événement et n’hésitant pas parfois à chahuter les marques sponsors. Une raison de plus pour prendre conscience que le sponsoring sportif ne sera plus jamais une histoire d’autocollants, de logos et d’affiches publicitaires !
Sources
– (1) – Alexandre Borde – « La Coupe du Monde à travers l’histoire : Argentine 1978 » – Le Point – 3 juin 2014
– (2) – Jens Blumrodt – « Les réactions des sponsors en situation de crise – Exemple du Tour de France » – ActeursDuSport.com – Septembre 2007
– (3) – « Armand de Rendinger : « Le pire serait d’ignorer l’influence grandissante du Web social pour les JO 2024» – Le Blog du Communicant – 12 mars 2015
– (4) – L. Ha – « Des sponsors inquiets et sous pression » – L’Equipe – 28 mai 2015
– (5) – Philippe Bertrand – « Les questions que posent le scandale » – Les Echos – 29 mai 2015
– (6) – Laura Nichols – « Keep the pressure on FIFA, marketing experts tell sponsor brands » – PR Week – 29 mai 2015
– (7) – Ibid.
– (8) – Philippe Bertrand – « Les financeurs du sport doivent agir » – Les Echos – 29 mai 2015