Dircom : le meilleur allié d’un PDG à condition de bien s’en servir et d’évoluer …
Rarement une telle fonction dans l’entreprise n’aura alimenté fantasmes, préjugés et contresens que celle du directeur de la communication. Volontiers caricaturé comme le perroquet de service de la doxa corporate ou souvent réduit à l’ordonnateur de la boîte à outils communicants, le dircom est pourtant un acteur plus que jamais essentiel pour un PDG à l’heure où leadership et réputation sont devenues des notions que publics internes et externes s’arrogent sans forcément souscrire à 100%. Comment dès lors un PDG peut-il concevoir ce rôle pivot pour naviguer dans un écosystème réputationnel à la tectonique mouvante ? Réflexions sur un poste qui mérite mieux que les clichés éculés qu’on lui colle.
Si vous travaillez en entreprise ou même dans une institution publique, livrez-vous à un petit sondage spontané auprès de vos collègues, alter egos, représentants syndicaux, etc. Demandez-leur benoîtement leur compréhension du rôle de directeur de la communication dans l’organisation à laquelle ils appartiennent. Il est fort à parier que le florilège des réponses qui s’ensuivra ne sera guère flatteur pour l’impétrant à moins que celui-ci ne jouisse déjà d’une aura ou d’une influence incontestable. C’est un fait, souvent inique (mais pas toujours illogique) : le dircom est encore vu comme un manager venant quasiment d’une autre planète et pas forcément utile. Un élégant ex-collègue du secteur des télécoms m’avait même un jour gratifié d’une définition brute de fonderie à propos de mon poste : « la communication, c’est une plume dans le cul et des paillettes » !
Le poids historique des idées reçues
Même si le métier a grandement progressé et pris du galon en intégrant progressivement les comités de direction, force est de reconnaître que le directeur de la communication reste malgré tout perçu comme un individu un peu à part. En cela, il paie consciemment ou inconsciemment les raisons premières qui ont conduit à la genèse de cette fonction. Si l’on y regarde de plus près, celle-ci a accompli ses premiers pas dans les couloirs des entreprises et des institutions au cours des années 80 environ. C’était alors une période dorée où l’économie affichait encore des indicateurs à faire pâlir les plus optimistes des analystes et des experts financiers actuels. L’entreprise était célébrée sans complexes comme un vecteur de richesse, d’emploi et d’aventure humaine. Les médias se sont d’ailleurs emparés avec délectation de ces sagas industrielles où les patrons devenaient les nouveaux héros des temps modernes. A tel point qu’un Bernard Tapie au sommet de sa gloire disposait même de son émission de télévision intitulée « Ambitions » et diffusée en prime time de 1986 à 1987 sur TF1.
C’est dans ce contexte flamboyant que les premiers dircoms sont apparus. A charge pour eux de mettre en musique la belle symphonie communicante devant souder comme un seul homme les salariés et séduire comme jamais les consommateurs, les journalistes, les investisseurs et autres publics clés. Et il faut bien l’avouer, rien n’était trop beau pour orchestrer et enluminer la réputation des entreprises et de leurs têtes d’affiche qu’étaient les PDG. Les budgets étaient somptuaires et la stratégie se résumait la plupart du temps à obtenir le plus d’impact possible et de part de voix dans la presse. Ce qui faisait souvent dire à certaines mauvaises langues que les dircoms étaient avant tout des préposés aux « petits fours et flûtes à champagne ». Le tout étant en plus quelquefois nappé d’un discours paternaliste ou enjolivé à l’excès, histoire d’enfoncer le clou de cette communication cosmétique. Bien que ce barnum primesautier soit totalement révolu, il continue malgré d’imprégner les esprits et faire du dircom, une espèce de bonimenteur protéiforme.
La donne a changé
Si les clichés dévalorisants perdurent, le métier de dircom s’est cependant singulièrement professionnalisé et complexifié au fil des dernières décennies. L’environnement économique et social mais aussi la pression médiatique accrue (sans omettre les gesticulations politiques incessantes) ont progressivement déboulonné l’entreprise et ses dirigeants de ce piédestal sans doute excessivement façonné. La succession des crises financières, l’enchaînement des plans sociaux et des délocalisations, la multiplication des fusions-acquisitions et l’irruption de nouveaux concurrents des pays émergents ont eu tôt fait de mettre à mal la belle saga que les pionniers communicants s’étaient évertués à vendre à leurs parties prenantes. Au regard de ces lignes de fractures sociétales et économiques que le baromètre de la Confiance d’Edelman mesure avec acuité depuis 15 ans, la défiance s’est enkystée, heurtant de plein fouet la communication monolithique que les entreprises continuaient à alimenter.
De décorateur en chef de la légende corporate officielle, le dircom s’est alors mué sporadiquement en pompier de crise chargé de colmater les fissures ou bien de bunkeriser l’entreprise face aux assauts médiatiques et aux conflits sociaux. Tant bien que mal, il s’est efforcé de jouer son rôle de conseil auprès du PDG pour lui remonter le ressenti du terrain ou partager les sentiments de l’opinion publique. Mais là encore, force est de constater que le dircom s’est régulièrement heurté à un autisme inflexible d’une génération de dirigeants peu accoutumés à voir leur statut, leur pouvoir et leur parole sujets à caution. Alors même si les outils se sont largement perfectionnés avec des magazines corporate n’ayant rien à envier aux maquettes des grands titres médias ou encore des sites Web véritables aimants à récompenses dorées sur tranche dans les sauteries professionnelles entre communicants, la fonction communicante a continué de tâtonner avec une communication interne encore régulièrement dévolue à la DRH, une communication externe oscillant entre le PDG ou la direction marketing. Avec toujours ce tropisme tenace de vouloir contrôler et valider de bout en bout les messages émis par l’entreprise.
Et le digital fait tout voler en éclat …
Dans ce modèle déjà à bout de souffle et largement considéré avec suspicion par les parties prenantes de l’entreprise, est arrivé ce que les spécialistes ont qualifié de Web 2.0. En l’espace de quelques années, blogs, wikis, forums et réseaux sociaux ont ouvert les vannes et donné la parole à qui voulait s’en saisir pour faire entendre sa voix. Pour les communicants d’entreprise, cette disruption n’en finit pas de démagnétiser leur boussole corporate. D’une réputation savamment édictée dans les arcanes des comités de direction, on est passé d’une réputation qui se nourrit d’abord de ce que les autres disent de vous. L’enjeu du dircom tourne désormais autour de la célèbre citation du PDG d’Amazon, Jeff Bezos : « Votre marque est ce que les gens disent de vous lorsque vous n’êtes pas dans la pièce… ». De quoi faire voler en éclat tout le savant mécano communicant auquel dircoms et agences se raccrochent encore désespérément !
Face à ce brutal changement de paradigme qui est loin d’être fini, le dircom dispose pourtant paradoxalement d’une opportunité immense de devenir l’allié le plus précieux du PDG. Ceci d’autant plus que les n°1 d’entreprise intègrent de plus en plus le fait que la réputation est l’enjeu crucial de la pérennité et de la performance de leur entreprise. En 2014, Forbes Insights et Deloitte ont interrogé plus de 300 dirigeants d’entreprises basés en Amérique du Nord et Latine, en Europe, en Asie Pacifique et au Moyen-Orient Afrique sur les risques attenant à leur activité. 87% ont cité en premier lieu la réputation. Le traditionnel schéma relationnel où les médias classiques étaient les principaux interlocuteurs, a volé en éclats. Aujourd’hui, l’entreprise évolue dans un univers où l’expression, l’opinion et l’information sont multidimensionnelles. D’où une difficulté exacerbée à évaluer les tendances et les sentiments de la société dans cet enchevêtrement de prises de parole très diverses mais potentiellement très impactantes pour la réputation de l’entreprise.
Le dircom au cœur du réacteur
Loin de moi l’idée de vouloir prêcher pour ma paroisse de communicant mais il n’en demeure pas moins que le directeur de la communication n’a jamais eu autant de latitude pour s’imposer comme un précieux auxiliaire conseil auprès du PDG. Cela tient d’abord à l’essence même de sa fonction. Aucune autre direction de l’entreprise ne peut se targuer d’être au contact de tous les publics internes à la différence du dircom. A moins qu’il ne fasse partie de ces spin doctors ne s’aventurant jamais au-delà des moelleuses moquettes des étages de direction, le dircom est censé interagir avec tous les corps de l’entreprise. Qu’il s’agisse de l’industriel, de la finance, des ressources humaines, du commercial, de la R&D, etc, cette fonction de communicant est à la croisée des différents rouages qui animent une entreprise. Pareil schéma se retrouve en externe où le dircom est l’interlocuteur des journalistes mais aussi des associations, des autorités de tutelle, des clients, des fournisseurs, etc. Cette vigie sociétale lui confère une vision périphérique de premier choix sur les tendances à l’œuvre et en gestation. Autant d’indicateurs qui peuvent aider à structurer, nourrir et ajuster en permanence une stratégie de communication dont le PDG est l’incarnation naturelle (même s’il n’est pas uniquement la seule voix d’une société).
En revanche, cela suppose de la part de celui qui assume le rôle de dircom de s’extraire de son étiquette de mécanicien en chef. Combien de dircoms actuellement continuent d’envisager leur fonction à travers le seul prisme de la campagne institutionnelle qu’ils vont signer, du site Web qu’ils vont lancer ou de l’accord de sponsoring qu’ils vont signer avec une célébrité ? Tout cela n’est que de la tuyauterie, certes utile mais à condition qu’elle réponde à une vision stratégique plus aboutie et très cohérente avec les tendances de l’écosystème de l’entreprise. En mars 2015 lors du d’une conférence donnée au LabCom, Marie-Christine Lanne, directrice de la communication et des engagements sociétaux de Generali France (photo ci-dessus) a esquissé un portrait absolument pertinent de ce que doit aujourd’hui devenir un dircom digne de ce nom. Pour elle, il/elle est d’abord un « veilleur », un « éclaireur » et un « créateur de débats ». L’entreprise ne doit plus attendre qu’on l’interpelle ou alors se contenter de jolis slogans qui ne flattent que son ego corporate. Elle doit s’engager de plain pied dans la société où elle évolue.
Et demain ?
Le digital rend possible cette évolution du dircom. Même s’il chamboule totalement les vieux paradigmes sur lesquelles il avait confortablement l’habitude de se reposer, le dircom jouit maintenant d’une fenêtre de tir incomparable pour sensibiliser son PDG (et par extension son comité de direction) aux enjeux réputationnels auxquels nulle entité corporate n’échappera. Et Marie-Christine Lanne de poursuivre son analyse en soulignant que le dircom est également « un créateur de passerelles », un « connecteur en chef » entre les différentes parties prenantes. Avec comme pierre angulaire, une mission de « créateur de sens » et de « garant de la cohérence ». Ce qui peut se traduire par exemple par la mise en place de stratégies de contenus et de plateformes de co-création avec les publics de l’entreprise. Mais attention ! Pas à n’importe quel prix et pas en recyclant les vieilles recettes lessivières du passé où l’entreprise se raconte avec complaisance et perd de vue ce qu’elle est réellement.
Sur ces dérives potentielles, le dircom est évidemment au premier rang pour alerter et aiguillonner s’il le faut le PDG, parfois tenté de recourir aux méthodes incantatoires des décennies passées. Cette attribution est loin d’être évidente à concrétiser lorsque le n°1 demeure mordicus épris de communication bétonnée où le public n’a pas son mot à dire. Il n’en demeure pas moins que le dircom nouveau doit être capable d’agir et de conseiller dans le sens de l’ouverture collaborative. Cela implique toutefois une empathie intellectuelle entre le PDG et son dircom (ce qui ne veut pas dire pour autant une pensée unique des deux) et une authentique confiance réciproque. Une chose est sûre. Les PDG qui comprendront qu’un dircom est bien autre chose qu’un carnet d’adresses pour décrocher une interview sur BFMTV ou pour éteindre en urgence une crise mal embarquée, seront des dirigeants capables d’incarner avec agilité, efficacité et crédibilité leur entreprise. Dircoms, il est temps de ranger au placard la quincaillerie et les effets de manche pour être de vrais stratèges au service d’un PDG éclairé.
Pour approfondir la réflexion
– Laurent Reynes – « Le dircom face aux 7 défis de la réputation » – Les Echos – 20 avril 2015
– Marc Thébault – « Dircom, l’autre homme dans la ville » – Blog de Marc Thébault – 11 décembre 2011
– Jean-Luc Letouzé – « Dircoms, la révolution digitale ne passera pas deux fois » – Les Echos – 23 janvier 2015
– 5ème édition du rapport Weber Shandwick/Spencer Stuart – « Chief Communications Officers’ Perspectives on a Changing Media Environment » – Juin 2014
– « The European Chief Communication Officer » – Etude de Korn Ferry 2013-2014
– « What makes a Chief Communication Officer excellent » – Janvier 2013
2 commentaires sur “Dircom : le meilleur allié d’un PDG à condition de bien s’en servir et d’évoluer …”-
CONEGERO Jean-Philippe -
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Olivier Cimelière -
Bonjour Olivier,
je ne peux que souscrire à votre analyse comme à la vision du DIRCOM de Marie-Christine Lanne. Même si des progrès dans la perception du DIRCOM par les dirigeants sont notables effectivement, les préjugés et une version réductrice pour ne pas dire péjorative, perdurent toutefois encore trop souvent.
L’incapacité de bien des décideurs à percevoir et utiliser efficacement la capacité de veille, de réflexion, d’anticipation et de conception du DIRCOM et de son équipe pour participer à la définition de la stratégie de l’entreprise est sans nul doute leur défaut principal. Et je passe sous silence celles et ceux qui, parce qu’ils ont déjà côtoyé quelques journalistes dans le cadre de l’exercice de leurs responsabilités, se considèrent de ce fait comme des pros de la com et pensent ainsi encore plus facilement à ne pas s’appuyer sur leur DIRCOM comme il le faudrait, ne le cantonnant au rôle de « coordonnateur de la boîte à outils ».
Ce défaut principal est d’autant plus préjudiciable à mes yeux que la communication est une des toutes premières armes que le dirigeant doit forcément utiliser pour conduire et réussir la nécessaire transformation de son entreprise dès lors qu’il en a évalué le besoin. Vouloir remettre de l’humain dans l’entreprise, redonner au travail toute sa dimension humaine, faire ou refaire des collaborateurs et des salariés, des acteurs de la stratégie de l’entreprise au-delà de leur seul travail, et même des ambassadeurs de la marque pour le développement de cette dernière, la conquête et la fidélisation des talents, suppose de façon impérative, d’accorder une place prépondérante à la communication, depuis la conception de la stratégie de l’entreprise jusqu’à sa mise en œuvre dans les moindres détails. La communication ne garantira jamais l’adhésion totale du personnel à la stratégie ni ne dédouanera les dirigeants de devoir l’expliquer de et devoir convaincre. Mais elle y contribuera grandement. Or, une stratégie, la meilleure et la plus appropriée soit-elle, ne suscitera pas l’adhésion générale, faute d’une communication ambitieuse et efficace, interne, comme externe, corporate comme RH. Ce qui suppose que le DIRCOM ait toute la place qui lui revient auprès du ou des dirigeants et soit considéré à sa juste valeur.
Ce qui suppose aussi que DRH et DIRCOM travaillent étroitement mais c’est un autre débat.
En tout cas, bravo pour ce post, tout aussi intéressant que les précédents!
Cordialement
JPH CONEGERO
Merci Jean-Philippe de ce feedback d’un professionnel que je sais largement rompu à l’exercice du métier ! Oui nous avons, nous les communicants, encore beaucoup de chemin à parcourir et d’actions à mener pour prouver que notre rôle est tout aussi fondamental (sinon plus) que ceux qui pondent des tableaux Excel tous les mois et croient contrôler et influencer le monde à coups de data en pagaille.
Sans parler effectivement de ceux qui croient que faire 3/4 interviews dans sa vie pro, c’est être capable de bâtir et conduire une stratégie de communication puis la faire évoluer au gré des événements … Je reste convaincu qu’à force d’échanger entre les vrais communicants (pas ceux qui sont dans l’effet de manche, la manip ou la grande bouche), nous pouvons faire de cette fonction un rouage capital que les dirigeants considéreront !
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