Baromètre de la confiance 2015 d’Edelman : Jusqu’où ira le déni des dirigeants et des organisations ?

Depuis 2001, l’agence de communication Edelman passe au scanner l’état de la confiance de l’opinion publique dans le monde. Pour la 15ème édition du baromètre, entreprises, gouvernements et médias enregistrent à nouveau un recul affirmé de leur cote de confiance. Plus préoccupant encore, les ONG commencent à subir à leur tour une érosion sensible auprès du corps sociétal. Enfin, la question de l’innovation souvent vantée comme un progrès de société est elle-même sévèrement challengée. Est-ce à dire que le point de rupture ne va pas tarder à être consommé ? Eléments de réponse.

Pour prendre le pouls de l’opinion publique, il n’existe guère de meilleur thermomètre que la vaste enquête annuelle que réalise l’agence Edelman depuis désormais 15 ans. Cette enquête s’articule en deux temps avec d’abord l’administration d’une étude en ligne dans 27 pays englobant 33 000 répondants et une étude qualitative auprès de 700 personnes âgées de 25 à 64 ans, disposant de revenus supérieurs à la moyenne, ayant une consommation active des médias et étant engagé économiquement et/ou politiquement. L’ensemble de ces données croisées permet ainsi d’éclairer année après année la perception que l’opinion public mondiale nourrit à l’égard de 4 grands corps : les entreprises, les décideurs politiques, les médias et les organisations à but non lucratif. A la lumière des résultats de l’édition 2015, la confiance demeure plus que jamais valétudinaire.

La confiance s’évapore encore pour les gouvernants et les patrons

Edelman - LaboratoireLe constat est brut et plutôt alarmant mais les chiffres du baromètre 2015 sont implacables. Entreprises, gouvernements, médias et ONG souffrent tous d’un déficit de confiance. Pour les trois premières catégories, l’observation n’est pas vraiment une découverte mais plutôt la confirmation d’un effritement très vite surgi lors des premières éditions du Trust Barometer. Dans cet étalonnage de la confiance, les gouvernements sont les plus chahutés. Bien que çà et là, certains pays accordent une cote de confiance légèrement à la hausse, le discrédit de la classe politique reste la chose la mieux partagée parmi les 27 pays figurant dans le panel Edelman. Le taux de confiance se situe encore sous la ligne de flottaison avec une moyenne de 48% pour 2015.

Pour les entreprises, les scores obtenus ne sont pas vraiment plus brillants. Le dévissage amorcé depuis 2012 sous l’impulsion des banques et des services financiers, se poursuit significativement. De 59% en moyenne en 2014, le taux de confiance recule à 57% cette année. Cette défiance n’est par ailleurs pas forcément corrélée avec la situation économique. En Chine et à Singapour par exemple où les sociétés enregistrent des faramineux bonds de croissance, l’indice de confiance s’est érodé d’une année à l’autre en passant respectivement de 77% à 70% et de 71% à 61%. En queue du peloton, on trouve même des pays comme l’Allemagne (45%), Hong Kong (42%) ou encore la Corée du Sud (36%). Même les champions de la confiance qu’étaient jusqu’à présent les géants technologiques, enregistrent une légère baisse de 2 à 3 points en moyenne pour se situer à environ 75% de confiance. En revanche, le bonnet d’âne revient toujours au secteur de la finance qui peine à rassembler 1 opinion favorable sur 2 en 2015.

Edelman - bonhommeParmi les critères qui affectent la confiance envers les entreprises, la nationalité d’origine influe de manière non négligeable. Un passeport occidental sera ainsi nettement mieux perçu (de 76% pour la Suède à 62% pour la France en passant par la Suisse (74%), le Canada (75%) ou les USA à 65%) qu’une origine provenant des BRICS (38% pour le Brésil, 36% pour la Chine, 35% pour la Russie et 31% pour le Mexique). La taille et le business model des entreprises sont également des leviers qui jouent sur l’opinion favorable ou pas accordée à une société. Avec toutefois d’importants écarts entre les pays développés et les pays en cours de développement. Chez les premiers, les entreprises familiales jouissent d’une cote d’amour (72%) largement supérieure aux entreprises d’Etat (44%) et aux multinationales (45%). Chez les seconds, ce sont les multinationales qui inspirent la confiance à 75% tandis que sociétés familiales et sociétés d’Etat obtiennent respectivement 69% et 64%.
Si l’on se penche de plus près sur les éléments qui concourent à rendre une entreprise plus digne de confiance, 81% des personnes interrogées déclarent que cela doit être une organisation certes rentable mais qui améliore aussi dans le même temps les conditions économiques et sociales au sein des communautés où elle opère. Autrement dit, la responsabilité sociétale des entreprises est clairement au cœur des enjeux de confiance.

Les médias dans le viseur et les ONG en déclin

Edelman - Media TrustSur le front des médias, la carte de presse est encore sans surprise un sésame considéré avec beaucoup de circonspection. Au global, le taux de confiance à l’égard des médias maintient un cap en pente douce en passant de 53% en 2014 à 51% en 2015. De plus, 60% des pays constituant le panel du baromètre Edelman enregistrent des baisses significatives. C’est le cas par exemple de Singapour (de 70% à 59%), de la Malaisie (de 59% à 46%), de l’Argentine (de 54% à 40%) ou recordman de la catégorie, de Hong-Kong (de 63% à 41%), tous des pays qui ont connu des soubresauts sociaux en 2014 où la presse a souvent été soit silencieuse soit muselée. A l’inverse, les pays qui connaissent un climat économique favorable accordent des taux de crédit importants à leurs médias comme l’Indonésie (80%), les Emirats Arabes Unis (79%), la Chine (77%) ou l’Inde (76%).

En matière de consommation de l’information, les usages ont par ailleurs substantiellement évolué de 2014 à 2015. Les recherches en ligne sur Internet n’en finissent pas de recueillir la préférence de l’opinion publique en tant que 1ère source d’information (31%) mais aussi pour confirmer et valider une information reçue (37%). Face à ce plébiscite, les journaux et la télévision poursuivent une courbe inverse oscillant autour de 20% en moyenne. Et si l’on questionne sur la confiance accordée aux sources d’information, les moteurs de recherche virent pour la première en tête des suffrages devant les médias traditionnels.

Du côté des ONG, des signaux faibles de défiance commencent néanmoins à poindre. Jusqu’alors, ces associations suscitaient beaucoup de sympathie et de confiance auprès du corps sociétal. Le taux de confiance demeure certes raisonnablement haut avec 63% en 2015 mais il enregistre au passage 3 points de moins qu’en 2014. Dans certains pays (et non des moindres), ils inspirent même un sentiment négatif avec 48% en Irlande, 38% en Russie, 37% en Suède ou 29% au Japon, bon dernier du classement. Ce recul s’observe pareillement dans 15 autres pays du panel Edelman. Avec des écarts non négligeables comme en Chine (moins 12 points), à Hong Kong (moins 14 points), en Allemagne (moins 10 points) ou au Royaume-Uni (moins 16 points).

L’innovation sévèrement remise en question

Edelman - Avion planèteLes chantres béats de l’innovation en seront pour leurs frais. L’innovation n’est pas automatiquement un vecteur de confiance comme le fait ressortir très nettement le focus opéré sur ce sujet phare par le Trust Barometer 2015. A la lecture des chiffres, on s’aperçoit ainsi que d’importants décrochages existent entre le taux de confiance accordé à un secteur industriel et les innovations qu’il génère en son sein. Les entreprises technologiques ont par exemple un taux de confiance à 78%. En revanche, dès que l’on évoque le cloud computing (informatique en nuage), ce même taux chute à 61%. De même pour l’industrie alimentaire qui est jugée digne de confiance à 67% mais qui devient beaucoup plus suspecte avec les aliments à base d’OGM (35% seulement). Autrement dit, une bonne réputation globale ne prémunit pas d’une défiance possible sur des thématiques plus spécifiques. Autre point à noter : la méfiance à l’égard de l’innovation s’exerce plus fortement dans les pays développés que dans les pays en cours de développement avec des écarts de 30% en moyenne, excepté pour la question des OGM où le taux de confiance est identiquement faible.

Deux autres éléments au sujet de l’innovation sont à souligner. Le premier concerne la perception de la finalité de l’innovation. En dépit des beaux discours humanistes des champions du secteur, l’innovation est d’abord vue comme une affaire à vocation technologique (70%), liée à des objectifs financiers (66%) et le gain d’argent (54%). Loin derrière, viennent ensuite les notions d’amélioration de la vie des gens (30%) et de rendre le monde meilleur (24%) qui sont pourtant les antiennes matraqués en boucle par les entreprises qui innovent. Un hiatus discursif qui montre par conséquent que l’incantatoire des uns ne persuade pas forcément la perception et la confiance des autres. Un autre point bat également en brèche l’idée reçue que l’innovation doit intrinsèquement aller vite. Pour 51% des personnes interrogées, cela va au contraire trop vite contre 19% qui trouvent le rythme adéquat et 28% qui voudraient aller encore plus vite. Là encore, ce fossé entre les innovateurs patentés et le corps sociétal peut être source de confusion, de méprise et au final de confiance ébréchée.

Et après ? On persiste dans le déni ?

Edelman - GrueMême si quelques havres de confiance subsistent, l’édition 2015 du Baromètre de la Confiance indique sans ambages que les niveaux atteignent des zones rouges franchement préoccupantes. Ces niveaux sont d’autant plus préoccupants qu’ils ne sont pas atteints de manière brutale et soudaine mais qu’ils procèdent au contraire d’une lente mais durable déliquescence de la confiance entre le corps sociétal et les grandes catégories que forment les entreprises, les médias, les ONG et les gouvernements. Pour ces derniers, le constat est même impitoyable tant le crédit accordé se réduit comme peau de chagrin.
2014 n’a fait qu’enfoncer encore un peu plus le clou de la défiance. Ce que Richard Edelman, PDG de l’agence éponyme, résume ainsi (1) à la lumière du nouveau baromètre : « Il y a eu un recul effrayant de la confiance parmi toutes les institutions, activé en cela par les événements inimaginables et imprévisibles de 2014. L’expansion du virus Ebola en Afrique de l’Ouest, la disparition du vol 370 de la Malaysian Airlines, la manipulation des taux de change par six grandes banques et les nombreux vols de données informatiques comme celui de Sony Pictures par une nation souveraine, ont largement secoué la confiance ».

Sans vouloir verser dans un catastrophisme absolu lui-même sans issue, il est néanmoins urgent d’enfin prendre la mesure des enjeux. A mesure que les années passent et que les tensions et scandales s’accumulent, la confiance sociétale s’érode jusqu’à favoriser l’émergence de théories alternatives comme celle du complot caché et fomenté par les décideurs du monde. Les récents attentats terroristes en France ont clairement mis en évidence le fertilité de ce terreau de défiance qu’une partie non-négligeable de l’opinion tient pourtant pour vérité plausible. Cette réaction n’est que le fruit délétère d’une confiance qui tend à s’évanouir. Or dans ce contexte, les dirigeants politiques et économiques (et plus globalement les grands acteurs de la société) ne peuvent plus et ne doivent plus esquiver à travers un déni plus ou moins affirmé. Il est temps de renouer les fils du dialogue et redonner du sens et de la confiance. En 2015, le Baromètre Edelman confirme de nouveau que l’opinion publique a spontanément plus confiance dans son cercle proche (72%) et les experts universitaires (70%) tandis qu’un élu est crédité de 40%, un PDG de 46% et un journaliste de 53%. Ces indicateurs doivent impérativement inviter à l’action et regagner la confiance perdue. A condition de ne pas s’entêter à faire de la lénifiante communication à la papa, version ceintures et bretelles.

Sources

– (1) – Communiqué de presse d’Edelman – 19 janvier 2015

Pour en savoir plus

– Pour prendre connaissance de l’intégralité des données du Trust Barometer 2015, visitez le site dédié


A lire ou relire sur le Blog du Communicant

– « Baromètre Edelman Trust 2012 : Confiance, vous avez dit confiance ? » – 7 mars 2012
– « Trust Barometer 2014 : Attention ! La défiance des publics menace la communication des entreprises » – 31 mai 2014

Edelman - Trust_Infographic