Médias sociaux : Et si les grands patrons faisaient quelques devoirs d’été pour progresser ?

Les études sur l’empreinte et l’activité digitales des PDG ont beau s’accumuler au fil des mois et mettre en évidence une certaine timidité. Ces derniers n’en continuent pas moins d’avancer à pas comptés en dépit d’un très vif intérêt à leur égard de la part du Web social. Pour nombre de managers, la réputation numérique de leur n°1 constitue même un atout de communication qui ne devrait plus être minoré ou réduit à sa plus simple expression. Alors, avant le rush estival, voici un ultime état des lieux pour donner envie aux patrons d’explorer un peu plus loin Twitter, Linkedin et consorts et les opportunités très concrètes qu’ils peuvent en tirer.

Le 24 juin dernier, le community manager du blog clients de Bouygues Télécom était tellement ému de ce qu’il venait de vivre sur les médias sociaux qu’il a choisi d’y consacrer un billet spécial. Alors que son propre grand patron Martin Bouygues venait de formellement dire non aux 10 milliards d’euros proposés par son concurrent de SFR-Numéricâble, Patrick Drahi, plus de 20 000 personnes sur Twitter et quasiment autant sur Facebook avaient eux aussi imploré celui qui avait piloté la diversification du groupe BTP en 1994 dans les télécoms de ne pas vendre son réseau jugé parmi les plus performants aux côtés d’Orange en France. Difficile pour autant d’extrapoler et d’affirmer que Martin Bouygues aura intégré cet élan digital dans le refus signifié à son prédateur. Même s’il vient de se doter d’un compte Twitter depuis le 1er juin dédié d’emblée à ses collaborateurs, il ne s’y est guère montré très prolixe jusqu’à présent. Mais une chose est sûre, les internautes se préoccupent des faits et gestes des grands capitaines d’industrie comme de ceux qui innovent ou qui développent de prometteuses pépites entrepreneuriales.

A tâtons et sans précipitation

Netino - banniere communicationAu cours d’un petit déjeuner le 29 juin dernier à Paris sur la réputation d’un PDG à l’heure du digital, Arnaud Pochebonne, directeur général de Weber Shandwick France et Christopher Abboud, directeur de la communication de Twitter France en convenaient largement. Les patrons sont désormais autant attendus sur les réseaux sociaux que l’opinion publique s’est habitué depuis longtemps à voir s’exprimer sur les plateaux de télévision, prendre la parole dans des conférences ou signer des tribunes dans des quotidiens réputés.

La récente étude de cette même agence intitulée « Socializing your CEO » (lire par ailleurs le billet relatif sur ce blog) abonde dans le même sens. 80% des PDG à la tête des 50 premières entreprises du classement Fortune Global 500 disposent au moins d’un profil social. Un saut presque quantique lorsque l’on songe que cinq ans plus tôt, ils n’étaient que 36% à daigner s’aventurer sur la terra incognita de la sociosphère. Et en plus d’avoir un profil officiel, certains comme le PDG de Microsoft, Satya Nadella n’hésite pas à fréquemment recourir à la vidéo pour exprimer un point de vue ou alors entretenir un blog.

Apparaître n’est pas suffisant

Boss - mapping CAC 40Si incontestablement les grands dirigeants s’imprègnent petit à petit des réseaux sociaux et ont globalement compris les problématiques liées à ces derniers, il n’en demeure pas moins que toutes les barrières mentales ne sont pas encore totalement levées. Bien peu osent aller au-delà du simple re-tweet du communiqué officiel de leur entreprise. D’aucuns se bornent même à juste lire la prose des acteurs de leur écosystème sans jamais intervenir. C’est certes un premier pas non négligeable mais non suffisant. Avec le cabinet Taddeo, l’éditeur de solutions de veille en ligne Linkfluence vient d’ailleurs de se pencher sur la présence des dirigeants du CAC 40 sur le Web social. Un constat s’impose ou plutôt perdure : peu de comptes ouverts, peu de publications et du coup peu d’abonnés en règle générale puisqu’il ne s’y passe rien. L’étude pointe même des injustices. Si Stéphane Richard, PDG d’Orange, figure parmi les bavards (toutes proportions gardées cependant – 74 tweets à ce jour !) et fédère plus de 11 400 abonnés, Gilles Schnepp, son homologue de Legrand, groupe français d’envergure mondiale en infrastructures électriques et numériques pour le bâtiment, n’a acquis que 377 abonnés pour proportionnellement plus de tweets émis.

C’est précisément là où le bât blesse encore aujourd’hui avec l’influence digitale des grands patrons. Hormis ceux issus des médias et de la communication comme le recense le classement mensuel TweetBosses, les autres pêchent par irrégularité des messages émis, par absence de ligne éditoriale vraiment lisible et par un ton franchement trop policé pour coller vraiment aux attentes des internautes. Il n’y a guère que Xavier Niel qui peut se permettre de faire de la rareté de ses tweets (18 seulement depuis 2008) une arme stratégique quasi infaillible. Chaque tweet diffusé par le trublion des télécoms déclenche en effet un impact médiatique et un engagement des internautes systématiques. Mais tout le monde ne peut pas forcément se prévaloir de la personnalité atypique du propriétaire de Free.

Un phénomène pas seulement français

Boss - Mentions CEO tech US TalkwalkerQue les patrons tricolores se rassurent. A quelques exceptions près, leurs alter egos du monde entier sont globalement aux prises avec une réticence digitale similaire. En janvier 2015, l’éditeur de logiciel de veille en ligne Talkwalker avait publié une exhaustive étude sur la présence numérique des patrons britanniques composant le FTSE 100. Le moins qu’on puisse est que la copie n’était guère plus brillante. Seulement 7 d’entre eux étaient réellement actifs avec en figure de proue Stephen Kelly, PDG de Sage (1900 tweets depuis octobre 2012 et plus de 8000 abonnés) à la fréquence de publication remarquable et n’hésitant pas à répondre quelquefois. Hors catégorie, figure également Richard Branson, CEO iconique de Virgin avec plus de 8600 tweets depuis août 2007 et presque 6 millions d’abonnés. Mais là aussi, cet engouement tient avant tout à la figure charismatique hors normes de l’individu.

Plus surprenant en revanche est l’état des lieux de la présence digitale des patrons du numérique américain également effectué par Talkwalker en juin 2015. On dénombre uniquement 6 des 10 PDG du NASDAQ du secteur technologique sur Twitter. Le fameux « Practice what we preach » si régulièrement égrené dans les séminaires de management en prend un coup ! C’est Chuck Robbins, PDG de Cisco qui remporte la palme du plus dynamique avec 79 tweets partagés ces 3 derniers mois pour 5800 followers. Vient ensuite Mark Zuckerberg avec 339 000 followers mais muet depuis janvier 2012. Un constat que déplore Robert Glaesener, directeur général de Talkwalker (1) « dans l’économie de partage, l’aptitude à captiver une audience est maintenant un composant critique des qualités d’un PDG issu de la tech. Mais alors que de plus en plus de personnes débarquent sur Twitter, Facebook et Linkedin, les PDG de la tech sont toujours en train de peser le pour et le contre pour les rejoindre ».

Patrons, on parle de vous !

Boss - où parle ton de vousAutre grande figure du digital américain notoirement absent de Twitter, Jeff Bezos, PDG d’Amazon, a pourtant coutume de dire : « Votre marque est ce que les gens disent de vous lorsque vous n’êtes pas dans la pièce ». On aurait envie de lui rétorquer que la problématique fonctionne exactement de la même manière pour les figures publiques de l’industrie et de l’économie. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer à nouveau à l’étude de Talkwalker en date de juin. L’éditeur luxembourgeois a également analysé le nombre de mentions recueillies par ces mêmes grands patrons du numérique. Et là, il n’y a pas photo ! Plus l’enseigne dirigée jouit d’une notoriété importante, plus celui qui en détient les rênes devient objet de conversation. Sur la même période des 3 mois (2), Tim Cook, PDG d’Apple a ainsi enregistré 240 000 citations (34% de part de voix) et Mark Zuckerberg, 220 000 (32% de part de voix). Rien qu’à eux deux, ils occupent l’essentiel des préoccupations et des tendances parmi les internautes.

Ce constat imparable, Linkfluence le dresse de façon quasi identique (voir photo ci-dessus) pour les PDG du CAC 40 dans l’étude que la société française vient de dévoiler avec Taddeo. Entre janvier et juin 2015, ils ont scruté l’équivalent de 300 000 sources et 80 000 publications sur Twitter, Facebook, Instagram, Linkedin, YouTube, DailyMotion, les blogs, les forums, etc. Le résultat est imparable et le top 5 composé respectivement de Stéphane Richard (Orange) avec 16% de part de voix, suivi de Olivier Brandicourt (Sanofi, 12% mais aucun compte Twitter), Carlos Ghosn (Renault, 9%, aucun compte Twitter mais quantité de comptes parodiques à son encontre), Vincent Bolloré (Vivendi, 7%, aucun compte) et Jean-Bernard Lévy (EDF, un compte Twitter mais sécurisé et 0 abonné !). Et pour achever de se convaincre de ce tropisme patronal, il suffit de se remémorer l’émotion véhiculée sur les réseaux sociaux à propos de la vraie fausse mort de Martin Bouygues en avril dernier ou encore le tollé digital international déclenché par l’interview radio du PDG de Barilla en 2013 face à son refus de faire figurer des homosexuels dans ses publicités.

Des enjeux d’adhésion et d’influence

Boss - social CEOPour autant, il ne s’agit pas pour les communicants de se muer en prosélytes inflexibles auprès de leurs patrons sur le sujet des médias sociaux. Selon les secteurs d’activité et la personnalité du dirigeant, il convient de réfléchir au préalable aux bénéfices qui peuvent être retirés et à la stratégie à décliner. En revanche, deux enjeux s’avèrent désormais incontournables. Le premier est tout simplement l’influence qu’un haut dirigeant doit être capable d’exercer dans son écosystème digital.

Au même titre qu’il s’implique depuis des décennies dans des réunions interprofessionnelles et avec les autorités de tutelle, qu’il parle dans des colloques ou qu’il intervient dans les médias, le PDG doit désormais prendre en compte plus nettement la dimension digitale que les parties prenantes maîtrisent de mieux en mieux (notamment les ONG, les activistes, les journalistes, etc). Contrairement aux clichés nourris par d’aucuns pour sans doute s’absoudre de leur propre absence digitale, tweeter ne signifie pas être d’astreinte 24 heures sur 24 ou être un oisif qui n’a rien d’autre à faire que bavasser en mode digital. Il s’agit simplement d’intégrer l’extension digitale du rôle d’influence qui sied à un PDG. Et cela ne requiert pas des quantités d’heures non plus !

Autre point capital : la présence en ligne nourrit l’adhésion du corps interne. Dans l’étude « CEO Reputation Premium » de Weber Shandwick et KRC Research (les détails dans cette infographie), 47% des cadres français déclarent que la réputation de leur PDG les incite à rester dans l’entreprise. Qu’on le veuille ou non, le digital s’est donc largement invité dans la construction de cette réputation. En conséquence, demeurer résolument absent ou muet est loin d’être gage de sécurité et de protection contre le fameux « bad buzz ». A l’instar des dircoms qui cherchent également leurs marques (voir à ce sujet l’excellent billet d’Hervé Monier), les patrons doivent cesser de procrastiner face aux exigences du digital. Ce n’est même plus une question d’outil à manipuler mais un enjeu sociétal et réputationnel auquel répondre pour continuer à demeurer un acteur respecté, digne de confiance et qui fait la différence avec ses concurrents. Alors, cet été, à la plage ou à la montagne, accordez-vous quelques incursions pour commencer à nourrir votre projet de réputation et influence digitales.

Sources

Pour aller plus loin

– Télécharger l’intégralité de l’étude Linkfluence/Taddeo – « Dirigeants du CAC 40 : que disent les conversations »
– Télécharger l’intégralité de l’étude Weber Shanwick – « Socializing your CEO »
– Lire les études citées sur le blog de Talkwalker
– Lire l’article d’Harvard Business Review – « How smart CEOs use social media » – Mars 2015