[DirCom du Mois] – Jacques-Emmanuel Saulnier (Total) : « Il ne suffit pas de proclamer qu’on ouvre les portes, il faut des preuves ! »
Parce que le métier de directeur de la communication au sein des entreprises et des institutions évolue énormément et plus rapidement que jamais, j’ai souhaité proposer un nouveau rendez-vous mensuel sur ce blog, le « Dircom du Mois ». A travers l’interview d’un de ces acteurs confrontés à la mutation des pratiques, à la complexification des enjeux d’image, de réputation et d’influence, il s’agit de montrer les différentes facettes du terrain et de souligner que la fonction communication est au coeur du business et du développement des organisations. Pour cette première, Le Blog du Communicant a le grand honneur d’accueillir Jacques-Emmanuel Saulnier, directeur de la communication du groupe Total et par ailleurs président d’Entreprises & Médias, l’association des directeurs de la communication. Entretien sans détours.
Depuis 2011, Jacques-Emmanuel Saulnier pilote la communication globale de Total, une entreprise multinationale où les challenges et les sujets sensibles ne manquent pas. Malgré la réputation contrastée que les grands acteurs industriels de l’énergie peuvent parfois avoir auprès de certains publics ou même des médias, il s’attache à créer de la cohérence et de la convergence entre une culture interne d’ingénieurs pétrie de rationalité et des parties prenantes externes où l’émotion prime souvent sur la réflexion. Un équilibrisme communicant pas toujours aisé à animer dans un écosystème où le Web social a désormais acquis une part prépondérante. Avec ses équipes basées dans le monde entier et au siège de la Défense à Paris, il entend relever le défi. Actions concrètes à la clé !
Pourquoi avoir voulu impulser et construire une vision à long terme baptisée « One Total » qui se projette sur 20 ans alors que le monde des affaires et les tendances de consommation sont de plus en plus volatiles tant dans les usages des consommateurs que dans les réglementations politiques ? Même si les marchés où opère Total fonctionnent effectivement selon des cycles plus longs et un peu moins versatiles, les enjeux ont malgré tout tendance à évoluer plus rapidement sous l’impulsion de nouveaux acteurs dans l’énergie mais aussi d’exigences sociétales accrues à l’égard du pétrole et de ses dérivés. Pourriez-vous nous préciser les grandes lignes de cette vision et ce que vous en attendez concrètement tant en interne qu’en externe ?
Jacques-Emmanuel Saulnier : Le projet « One Total » a permis d’exprimer l’ambition business que l’entreprise se donne à 20 ans : être la major de l’énergie responsable. Ce qui veut dire, en pratique, apporter à nos clients une énergie sûre, abordable et propre. C’est un cap. Bien entendu, pour y parvenir, il faudra sans cesse anticiper les évolutions de leurs attentes comme celles des technologies. Mais il est important de donner un sens durable à ce que l’on fait et de le partager avec l’ensemble de nos parties-prenantes.
En interne, cela nous permet désormais de nous projeter, quelle que soit notre responsabilité, quel que soit notre métier, dans une dynamique collective, vers une direction commune. One Total s’est avéré être un formidable projet fédérateur. Nous l’avons vu pendant l’élaboration de notre ambition, sur un mode participatif. Les équipes de Total ont véritablement fait la démonstration de la force du collectif et clairement affiché leur motivation pour continuer à réfléchir ensemble. C’est pourquoi il a été décidé de lancer une nouvelle démarche participative One Total pour, cette fois, revisiter nos manières d’être et de travailler ensemble.
Comment la direction de la communication corporate du groupe Total a-t-elle contribué auprès du top management pour bâtir cette ambition, la développer et la déployer au sein des différentes entités et métiers de l’entreprise ? Lesquels sont parfois très différents les uns des autres culturellement parlant ou même techniquement.
Jacques-Emmanuel Saulnier : La direction de la Communication avait impulsé l’élaboration d’une plate-forme de Marque qui a conduit à adopter, en 2014, une signature valant pour l’ensemble du Groupe : « Committed to Better Energy ». Puis, à l’initiative de Patrick Pouyanné, notre Président-Directeur général, le Comité Exécutif a souhaité traduire ce positionnement corporate externe en une réalité pour l’interne. La question était de savoir ce que cela impliquait en termes de business pour Total d’ici 20 ans.
Pour y répondre, celui-ci a alors conçu le projet One Total et piloté un large processus qui a irrigué l’ensemble du Groupe. Cela a été un vrai succès, des milliers de collègues se sont exprimés, et cela a abouti à la définition de notre ambition business. La direction de la communication a accompagné l’animation du projet et le déploiement de ses conclusions. Elle veille désormais à faire que One Total soit aussi un fil rouge de ce qu’elle émet, de sorte de mettre toujours plus de cohérence.
Le changement climatique est un chantier crucial pour l’avenir de la planète. Or sur ce sujet, les entreprises pétrolières sont souvent suspectées, voire accusées de « greenwashing » et de fait, ont du mal à faire entendre des propositions qui concourent pourtant à une meilleure prise en compte des impacts environnementaux. Comment Total entend-il se positionner et pourquoi ? Avec quelles actions concrètes pour soutenir le discours ?
Jacques-Emmanuel Saulnier : En matière de climat, Patrick Pouyanné, notre Président-Directeur général, a exprimé une position très claire : nous sommes une partie du problème, nous devons être une partie de la solution. Le projet One Total est donc sans ambigüité et fixe des orientations dans chacun de nos métiers, à commencer par les hydrocarbures : toujours du pétrole mais plus de gaz qui est la moins émettrice des énergies fossiles et se couple aisément avec les renouvelables. Nous opterons aussi pour des investissements plus performants économiquement et environnementalement. Par ailleurs, nous avons décidé de consacrer des moyens significatifs aux technologies bas carbone, quelles soient déjà opérationnelles comme le solaire ou encore à l’état de R&D comme le stockage et le recyclage du C02. Il faut arrêter d’opposer les énergies les unes aux autres, comme il faut arrêter d’opposer économie et environnement. Pour investir dans des technologies performantes, il faut des moyens. Si Total fait partie de ceux qui en ont et qui agissent, c’est grâce à ses positions dans le gaz et le pétrole.
Lors d’une rencontre chez Entreprises & Médias, l’association que vous présidez par ailleurs, Bernard Emsellem disait que les dircoms ne sont plus des « metteurs en scène mais des faiseurs de dialogue ». Souscrivez-vous à cette description et plus généralement, quelle vision avez-vous de votre fonction au sein de l’entreprise ? Quels sont les pré-requis incontournables que tout bon communicant se doit de posséder et de cultiver à l’heure du Web social où le magistère de la parole n’est plus l’apanage unique des décideurs économiques, politiques et médiatiques ?
Jacques-Emmanuel Saulnier : Je me garderai bien de donner des conseils si ce n’est celui d’être soi-même ! La fonction communication a notamment ceci de passionnant qu’elle est désormais clairement identifiée comme un des leviers du pilotage stratégique de l’Entreprise. Mais ce qui nous différencie peut-être des autres, c’est qu’elle sollicite autant notre cerveau gauche que notre cerveau droit. Il faut à la fois beaucoup de rigueur pour s’assurer de la cohérence de ce qui est émis et une bonne dose de créativité et d’ouverture d’esprit pour innover et émerger : c’est passionnant !
Depuis 2016, Patrick Pouyanné, PDG du groupe Total, a établi une présence digitale plus régulière avec des billets publiés sur Linkedin (et fortement lus et partagés) et un compte Twitter un peu plus inégal mais suivi par des acteurs aussi variés que des journalistes, des experts du secteur pétrolier, des concurrents (comme par exemple Isabelle Kocher, PDG du groupe Engie), des militants politiques gabonais (pays où Total est très présent), etc. Qu’est-ce qui a motivé cette implication plus poussée ? En règle générale, estimez-vous que le PDG d’une grande entreprise se doit d’être actif (sans forcément publier tous les jours !) sur les médias sociaux et pour quelles raisons ?
Jacques-Emmanuel Saulnier : Le Président-Directeur général d’un Groupe comme Total incarne plus que le seul périmètre de ses activités. C’est ainsi ; nos métiers, notre taille, notre présence internationale donnent, en France mais aussi au-delà de ses frontières, une visibilité et créent une attente. Cela fait partie du job et Patrick Pouyanné l’assume, voire le revendique.
Il considère que Total est un acteur citoyen et qu’à ce titre, en tant que leader, il doit prendre part au débat pour porter sa parole. Les médias sociaux sont un canal, parmi d’autres, et il s’investit personnellement pour expliquer les choix stratégiques de l’entreprise comme ses positions sur les sujets qui la concernent. Pour les communicants, c’est vraiment un plus car cela légitime et incarne la prise de parole et facilite la cohérence dans ses démultiplications.
En dépit de son incontestable réussite financière et de son expertise technologique en matière d’énergies, Total a longtemps traîné une image d’entreprise opaque et mal-aimée, notamment en France. En 2014, lors d’un colloque à Paris, vous aviez insisté sur l’opportunité que les réseaux sociaux fournissaient à Total et aux autres acteurs du secteur pour justement dépasser cette perception ne reflétant pas forcément la réalité. Trois ans plus tard, quel bilan tirez-vous des actions que vous avez enclenchées au niveau corporate comme au niveau marketing ? Quels enseignements pouvez-vous partager ?
Jacques-Emmanuel Saulnier : Réseaux sociaux ou pas, je constate que l’image négative que vous évoquez s’estompe. Nous remontons progressivement dans les différents classements. Je pense que cela reflète un changement d’attitude du Groupe Total qui a compris depuis plusieurs années qu’il ne pouvait pas vivre en dehors du monde qui l’entoure. C’est pourquoi, l’entreprise a clairement fait le choix du dialogue, par de nombreux moyens, avec l’ensemble de ses parties-prenantes. Mais il faut rester humble et persévérer. Cela prend du temps et il ne suffit pas de proclamer qu’on ouvre les portes et les fenêtres pour obtenir la confiance. Comme en amour, il faut des preuves ! Total est une marque 360°. Elle doit donc s’adresser au plus grand nombre de manière cohérente tout en étant pertinente sur des segments différents. La fonction communication joue de ce point de vue un rôle essentiel de connexion.
Les programmes de salariés ambassadeurs (« Employee Advocacy ») se multiplient depuis environ deux ans. Les entreprises commencent en effet à comprendre les atouts et les bénéfices que les salariés peuvent apporter en matière de réputation corporate après avoir longtemps été réticentes et dans le contrôle absolu pour les plus rigides. Qu’est-ce qui est entrepris au niveau du groupe Total et dans quelle optique ?
Jacques-Emmanuel Saulnier : Le Groupe Total a mis en place il y environ 18 mois un programme ambassadeurs pour les dirigeants. Son objectif est de les accompagner dans le développement de leur e-réputation et de leur e-influence. Ils ont chacun un domaine d’expertise qui mérite d’être valorisé et qui fait d’eux des relais fiables d’information. Leur activité sur les réseaux sociaux est donc à valeur ajoutée pour l’entreprise et contribue à nourrir le dialogue que j’évoquais plus haut.
Entretien réalisé par Olivier Cimelière le 18 janvier 2017
Pour en savoir plus
– Profil Linkedin de Jacques-Emmanuel Saulnier
– Visiter le site Web corporate mondial du groupe Total
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