[DirCom du Mois] : Caroline Guillaumin (Société Générale) : « Les communicants doivent anticiper les transformations du monde »

Après Jacques-Emmanuel Saulnier, dircom du groupe Total qui a inauguré la rubrique le mois dernier, le Blog du Communicant a le plaisir d’accueillir Caroline Guillaumin à la tête de la communication d’un autre grand acteur du CAC 40, à savoir le groupe Société Générale. Elle partage son point de vue sur une fonction stratégique qui ne cesse de se complexifier mais qui recèle à ses yeux autant d’opportunités de faire de la communication, un « transformateur » et un vecteur d’évolution de l’entreprise.

Depuis 2010 après un long parcours professionnel dans le secteur des technologies de l’information et de la communication, Caroline Guillaumin rejoint la Société Générale. Cette diplômée de l’IEP Bordeaux et par ailleurs titulaire d’une maîtrise de sciences politiques, doit continuer de gérer les innombrables rebonds de l’affaire Kerviel qui ont secoué le groupe bancaire mais également l’accompagner dans une mutation profonde de sa stratégie de communication corporate tant à l’interne qu’à l’externe. Retour sur expérience !

Vous avez longtemps fréquenté l’univers technologique puisque vous avez notamment exercé diverses responsabilités de communicante au sein du groupe californien Verity qui proposait des solutions informatiques pour la gestion de leurs informations. Vous avez ensuite rejoint et vécu les différentes transformations de l’équipementier télécoms Alcatel Lucent, avec dans l’intervalle un passage de 3 ans chez l’opérateur SFR. En 2010, vous changez complètement de secteur en prenant la direction de la communication du groupe Société Générale. Selon vous et au regard de cette expérience avérée du milieu technologique que vous avez côtoyé pendant longtemps , quelles sont les évolutions notables que vous observez en matière d’enjeux de communication et de réputation pour un grand acteur du monde de la banque et la finance comme Société Générale ?

SocGen - Caroline GuillauminCaroline Guillaumin : Le fait est que mon parcours technologique est certainement le levier qui m’a le plus aidé à comprendre les ruptures que vit le monde de la communication. J’ai vu émerger quatre évolutions majeures :

  • l’instantanéité liée au monde internet et à celui des réseaux sociaux qui rend indéniablement notre métier complexe. La crise peut arriver vite, la réaction doit être la plus immédiate possible. Le temps s’est raccourci rendant souvent nos jobs assez proches de ceux de pompiers ! Notre expérience et notre compréhension du monde digital fait la différence pour gérer des situations sensibles.
  • le « mobile first » qui impacte la relation client bien sûr mais aussi la communication interne en particulier et rend caduque la consommation d’information sur les intranets traditionnels ! Il faut faire court et illustrer avec photos, vidéos, infographies ! Un changement pour les équipes.
  • troisièmement, l’infobésité qui rend difficile de gagner la bataille de l’attention ! La qualité et la personnalisation des contenus sont essentielles pour avoir de l’impact.
  • enfin la perte du contrôle qui transforme le communicant en « enabler » plutôt qu’en garant de l’info !

Plusieurs études ont démontré que les médias sociaux pouvaient exercer un effet identifiable sur la gestion, sur l’investissement et le cours des valeurs boursières du marché financier. On le vérifie aussi notamment avec l’investisseur activiste américain Carl Icahn. En mai 2015, il avait tweeté publiquement sa lettre à Tim Cook où il estimait que le véritable cours de bourse d’Apple était largement supérieur à celui qu’il était à l’époque. Ce qui avait aussitôt entraîné une surchauffe des salles de marché et une hausse de la capitalisation boursière d’Apple (et au passage des parts que détient Icahn au sein d’Apple). Est-ce une tendance stratégique que vous voyez s’installer durablement et comment organiser la veille et la communication dès lors que des informations sensibles peuvent fuiter ou être reprises par des médias ?

Caroline Guillaumin : On prête aux réseaux sociaux des vertus pas forcément vérifiables ! Finalement, ce qui se passe sur les réseaux sociaux n’est pas différent de ce qui peut se passer dans des médias traditionnels. Hormis l’instantanéité ! C’est un canal de plus de communication. C’est pourquoi sa veille est incontournable. Mais c’est vrai que les rumeurs de marchés peuvent se répandre très rapidement sur Twitter. Il s’agit d’être très bien organisé pour assurer une veille en continu.

Depuis septembre 2009, le DG de Société Générale, Frédéric Oudéa dispose d’un compte Twitter qui ne rassemble que près de 1800 abonnés. Sans doute du fait du faible nombre de tweets émis par le n°1 de l’entreprise. En revanche, Frédéric Oudéa obtient une audience très nettement supérieure sur Linkedin où il bénéficie de surcroît du statut d’« Influencer » et où il est suivi par près de 52000 personnes. Depuis 2016, il publie régulièrement des billets en anglais et en français qui enregistrent des taux d’engagement plutôt satisfaisants. Qu’est-ce qui a motivé cette implication plus poussée sur Linkedin que sur Twitter? En règle générale, estimez-vous que le PDG d’une grande entreprise se doit d’être actif (sans forcément publier tous les jours !) sur les médias sociaux et pour quelles raisons ?

SocGen - Oudea postsCaroline Guillaumin : Je pense encore aujourd’hui que Linkedin reste le réseau numéro un pour un environnement professionnel. Pour un DG comme Frédéric Oudéa, il permet de partager des points de vue à valeur ajoutée et plus développés, qui permettent donc de susciter un engagement plus large. Twitter reste le réseau de la réaction et de l’instantanéité. Fort sympathique pour une réaction à chaud sur un événement. En revanche, le format est bien trop court pour une prise de parole structurée. Pour un groupe coté en Bourse, c’est à manier avec prudence !

L’affaire Kerviel a éclaté en janvier 2008 mais aujourd’hui encore, elle n’en finit pas de rebondir entre les révélations médiatiques et les rebonds juridiques. A tel point que le nom de Kerviel est désormais intrinsèquement associé au nom de l’entreprise. Celui-ci dispose d’ailleurs d’un compte Twitter depuis avril 2013 suivi par plus de 25300 abonnés où il ne se prive pas de prendre la parole et de continuer à défendre sa version contre celle de son employeur. Comment s’organise-t-on et gère-t-on en termes de communication les reliquats de cette affaire sachant qu’une grosse entreprise est toujours perçue avec un œil suspicieux, notamment lorsqu’il s’agit du monde bancaire et financier ? Autrement dit, comment peut-on communiquer ouvertement dans un univers plutôt empreint de discrétion dans des contextes sensibles ?

Caroline Guillaumin : Nous avons toujours privilégié dans l’affaire Kerviel une posture d’ouverture que ce soit envers les journalistes ou le grand public. La grande difficulté est de rendre abordable un sujet extrêmement complexe sans tomber dans le simplisme et en tenant compte des contraintes juridiques. Faire de la pédagogie est souvent critique dans la gestion des crises.

Toujours sur l’affaire Kerviel, Société Générale avait choisi de mobiliser en 2016 ses salariés autour du hashtag #BecauseWeLoveSG. Quel bilan peut-on retirer de cette opération ? De manière plus générale, comment considérez-vous le phénomène des salariés ambassadeurs qui prend une ampleur notable et qui peut effectivement constituer un atout de communication pour l’entreprise ? Qu’est-ce est entrepris par ailleurs au niveau du groupe Société Générale et dans quelle optique ?

SocGen - We love SGCaroline Guillaumin : Ce hashtag est né à un moment de ras le bol des collaborateurs confrontés au énième déferlement médiatique sur une affaire vieille de 8 ans ! Frédéric Oudéa a su trouver les mots justes dans un message très humain adressé à toutes les équipes et qu’il a conclu par une signature : #becausewelovesg.

L’effet a été spontané et immédiat. Nos collègues ont pris ce message comme une invitation à s’approprier le hashtag. En 3 jours, on a compté plus de 5000 tweets. Des salariés se sont rassemblés dans les bureaux, pour exprimer, au-delà du ras le bol, leur fierté d’appartenance. Ce hashtag est aujourd’hui largement connu et utilisé dans le groupe partout dans le monde ! Il reste le point de ralliement dans tous nos projets qui permettent de montrer une entreprise engagée, différente de l’image véhiculée par les vieilles affaires.

La fonction de directeur de la communication a incontestablement évolué depuis plusieurs années, en particulier avec l’irruption du digital et de la multiplication des parties prenantes qu’il engendre. Même si le changement s’opère avec plus ou moins de conviction ou d’enthousiasme chez certains communicants habitués à la communication pyramidale et verrouillée, quelle vision avez-vous de l’évolution de votre fonction au sein de l’entreprise ? Quels sont les prérequis incontournables que tout bon communicant se doit de posséder et cultiver à l’heure du Web social où le magistère de la parole n’est plus l’apanage unique des décideurs économiques, politiques et médiatiques ?

Caroline Guillaumin : Cette évolution est formidable ! C’est une incroyable opportunité pour les communicants d’être des chefs d’orchestre dans l’entreprise et de co-créer avec les autres fonctions du marketing aux RH ! Je crois que les communicants doivent assumer la transformation du monde, voire anticiper ses transformations ! Nous accompagnons, nous rendons possible, nous dialoguons. C’est ça notre rôle aujourd’hui.

Propos recueillis le 25 mars 2017 par Olivier Cimelière

Pour en savoir plus

Profil Linkedin de Caroline Guillaumin
Site web corporate du groupe Société Générale
Publications Linkedin de Frédéric Oudéa (DG du groupe)



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