[DirCom du Mois] Clara-Armand Delille (Third Eye Media ) : « On ne remplacera pas l’humain pour exécuter une bonne stratégie de communication »

Contrairement aux précédents dircoms qui ont accepté de jouer le jeu du questionnaire « Dircom du Mois » du Blog du Communicant, Clara Armand-Delille possède un parcours professionnel atypique et international qui préfigure justement l’évolution du métier de communicant. Avec déjà plus de 10 ans d’expérience dans divers secteurs et cultures, récemment l’objet d’un article sur Forbes, Clara Armand Delille nourrit un regard à la fois contemporain et critique sur la communication telle qu’elle peut parfois continuer à être pratiquée. Avec en prime une pincée de yoga ! Raison de plus pour lui donner la parole sur le Blog du Communicant.

Evoquer Clara Armand-Delille revient en quelque sorte à dresser l’image d’une entrepreneur dans l’âme, à l’affût permanent de challenges à relever. Franco-Américaine, sitôt ses études achevées à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, elle traverse d’emblée la Manche pour rejoindre l’équipe Communication Europe de Google à Londres. Pendant près de 4 ans, elle va mener de nombreux campagne de relations presse autour de Search (le moteur de recherche), News, mais aussi piloter de la communication de crise sur des sujets plus épineux comme les droits de propriété sur les contenus, la liberté d’expression ou encore les questions de vie privée en ligne.

Forte de cette expérience, elle décide de rester à Londres mais de changer de décor en intégrant Accel Partners, un cabinet de capital investissement pour lequel elle crée de zéro la fonction communication et relations media pour l’Europe. A peine achevé ce chantier d’envergure, elle rejoint une start-up suédoise de Fintech, iZettle, qu’elle s’attelle à lancer au Mexique et au Brésil avant de prendre une fonction de responsable de la communication en Europe. Grâce à son bagage de communicante tout-terrain et de sa connaissance de l’univers des nouvelles technologies et du digital, elle opère un virage radical en janvier 2015 avec la création de sa propre structure de conseil, ThirdEyeMedia, qu’elle implante à Lisbonne, une des cités en vogue de la scène tech européenne. Le tout en développant en parallèle une activité de yoga et bien-être baptisée « Clara Yoga & Wellness » ! Entretien avec une communicante multinationale et atypique à elle seule !

A voir votre brillant parcours qui n’hésite jamais à prendre des risques et à se lancer dans de nouvelles aventures là où d’autres préfèrent le confort un peu routinier des grosses structures ou la vague « hype » des startups, qu’est-ce qui vous a décidé à vouloir en fin de compte bâtir une entreprise à votre image plutôt que de continuer sur une voie très porteuse ?

Clarin - IMG-20170718-WA0011Clara Armand-Delille : Je n’ai jamais hésité à changer de job et prendre des risques professionnels. J’ai compris très tôt que dans mon métier, plus on est exposé à des problématiques différentes, plus on devient un bon professionnel de la communication, capable de répondre à des situations aussi variées qu’un lancement produit, une crise réputationnelle, des annonces de résultats financiers, ou encore un lancement dans un nouveau marché. Dans cette optique, après avoir travaillé pendant huit ans chez Google, Accel Partners et dans quelques start-ups, j’étais prête à entamer un changement structurel. Je n’avais pas envie de trouver un autre job, j’avais surtout soif d’utiliser autrement les compétences que j’avais acquises au fil des ans de manière différente.

Avec le recul, je me rends compte que j’ai été fortement influencée par le monde dans lequel j’opérais. Après tout, j’ai travaillé pendant presqu’une décennie en première ligne avec des entrepreneurs, les aidant à articuler leur vision, et édifiant leur images dans la presse mais surtout découvrant ce qui fait un bon entrepreneur ou dirigeant.

De par vos origines familiales, universitaires et professionnelles, vous êtes intrinsèquement multilingue et multinationale. Pourtant, on constate encore que le fameux concept né avec la globalisation « One Size fits all » continue de s’appliquer dans de nombreuses grandes entreprises d’abord soucieux de faire des économies d’échelle plutôt que prendre en compte les particularismes locaux. Ne pensez-vous pas qu’il s’agisse d’une vision datée de la communication ?

Clarin - logoClara Armand-Delille : Vous touchez à un des grands sujets pour toute entreprise à vocation globale. Maintenir une voix uniforme et harmonisée tout en raisonnant réellement avec une audience locale dans chacun des marchés est un vrai défi. Il n’y a pas de formule magique, mais en matière de communication et de positionnement, quelques règles de bases peuvent néanmoins s’appliquer.

Quel que soit le message à faire passer dans un communiqué de presse ou autre type de message externe, un bon message doit toujours répondre aux trois questions suivantes: qui êtes-vous? Que faites-vous? En quoi cela m’intéresse-t-il (moi, audience cible)? Les réponses aux deux premières questions s’articulent autour de messages clés immuables. L’identité et le produit/service d’une société ne changent pas en fonction de l’audience ou au gré de telle ou telle annonce.

En revanche, la réponse à la troisième question, qui est portée vers l’audience en question, est éminemment contextuelle et locale et ce message doit être adapté en fonction de l’audience. Par exemple, si une startup de FashionTech se lance, on tentera de contacter la presse féminine et lifestyle, et montrer le produit aux utilisatrices potentielles. En revanche, si cette même startup lève des fonds, on contactera plutôt la presse économique, financière et spécialisée technologie.

Depuis l’avènement du digital, chacun est en mesure de devenir son propre éditeur de contenus. Il suffit d’ailleurs de jeter un œil sur les statistiques étourdissantes sur ce qui se passe en 1 minute sur le Web en termes de publication pour s’en convaincre. Néanmoins, là aussi des agences et des annonceurs s’entêtent à vouloir faire du « snacking content », un levier de visibilité alors que l’infobésité ne cesse de grossir et que le degré d’attention des internautes devient de plus en plus volatile. Ne faudrait-il pas repenser et promouvoir une approche plus axée sur la qualité des contenus et le ciblage des communautés ?

Clarin - -snacking-content-2Clara Armand-Delille : Il est fondamental de comprendre l’écosystème dans lequel nous opérons, échangeons et communiquons tous aujourd’hui; sociétés, individus, gouvernements etc. Internet est vivant, c’est un mouvement, une mouvance, qui ne cesse de croître.

Pour sortir du lot, le Snacking Content ou ces bribes de contenus archi faciles à consommer sont le dernier outil des marketeurs digitaux, dans la course aux clics. Dans un contexte de surproduction de l’information, c’est une technique aujourd’hui encore assez efficace pour attirer l’attention et les lecteurs, même si c’est très court termiste.

Dans un environnement aussi bruyant que distrayant, il est devenu crucial de privilégier sans faille la qualité sur la quantité. L’internet, même s’il évolue à une vitesse fulgurante, est un environnement de communication pérenne. Un bon article, relayant de manière convaincante les messages clés d’une société est beaucoup plus durable qu’un article print, puisqu’il reste découvrable sur internet bien après sa publication. Bien souvent, il suffit d’un ou deux bons articles, éventuellement relayés sur les réseaux sociaux pour en maximiser la visibilité, pour pouvoir créer de la valeur pour une marque.

Dans le même ordre d’idée, certains experts ne jurent aujourd’hui que par l’automatisation des RP grâce aux algorithmes, au programmatique et à l’intelligence artificielle qui permet effectivement de se délester de certaines tâches à faible valeur ajoutée. Pour autant, faut-il absolument s’abandonner à bras ouverts aux tentations du tout-automatisée alors même que le métier de communicant est aussi et surtout un métier où l’intuition, l’empathie, la réflexion critique et la curiosité demeurent des points essentiels si l’on veut espérer développer une stratégie à la fois pertinente et agile ?

Clarin - automationClara Armand-Delille : Les bonnes relations presse sont un art plus qu’une science. A mon sens, ce qui fait un bon professionnel de la communication sont des qualités telles que l’intuition, la créativité, et le relationnel ainsi qu’une capacité à rapidement cerner les enjeux d’une marque, d’un produit ou service, ou encore d’une personne. Cela est difficilement remplaçable par un robot, aussi impressionnants que soient les progrès récents de l’intelligence artificielle.

L’internet a certes, considérablement libéré le métier. Il est possible de travailler à distance et en temps réel sur plusieurs marchés. Avec ThirdEyeMedia, j’ai d’ailleurs bâti un business model qui repose 100% sur le travail en remote. Pour vous donner une idée, j’ai à l’heure actuelle, un client à San Francisco, un à Londres, un à Milan et un à Paris. Cela dit, même si la technologie peut aider à automatiser certains aspects du métier, on ne remplacera pas l’homme et les soft skills requis pour développer et exécuter une bonne stratégie de communication.

Le storytelling s’est imposé en force dans les stratégies de communication. Bien qu’il n’ait pas toujours bonne presse du fait de certaines déviances, il n’en demeure pas moins que la force du récit est effectivement cruciale pour entamer un dialogue et tisser des liens avec les communautés qui forment l’écosystème d’une organisation. Quelles sont vos convictions en la matière et quels conseils élémentaires pourriez-vous donner ?

Clara Armand-Delille : Une information à l’état brut n’est pas suffisante. Dans une ère où nous sommes saturés d’infos, il est impératif d’offrir au journaliste et a son audience une réelle histoire en toile de fond, lui montrer en quoi l’actualité que nous lui offrons s’inscrit dans ou contre une tendance.

A l’inverse, un pitch qui ne parle que d’une tendance, sans accroche ne passe pas forcément auprès d’un journaliste non plus. Saturés par la surinformation, les reporters sont de plus en plus exigeants. Ils doivent faire un travail de filtrage pour respecter une certaine rigueur et qualité éditoriale. Ma recommandation serait d’allier une belle narration à une accroche solide.

La pratique intensive du yoga constitue l’autre facette de votre vie. S’inscrit-elle comme un nécessaire contrepoids au rythme quelquefois démentiel de la communication actuelle ou est-ce aussi une source d’inspiration et d’équilibre pour être un communicant avisé, capable de prendre du recul et ne pas forcément surréagir aux événements comme on le voit parfois dans la vie économique et politique ?

Clara Armand-Delille : Je dis toujours à mon entourage proche qu’avec mes deux activités, je pratique en quelques sorte le yin et le yang de l’entreprenariat. Lisbonne m’apporte l’équilibre dont j’avais besoin. C’est ici que j’ai pu développer ces deux activités, et je m’y sens acteur de ma carrière, Les relations presse et le secteur de la technologie sont des milieux où le rythme est souvent intense et qui génèrent, qu’on le veuille ou non, une bonne dose d’adrénaline. Le yoga, que ce soit en le pratiquant ou en l’enseignant, me permet de faire le plein d’énergie et être plus efficace pour mes clients.

Crédit photo : Olivier Rosset

Crédit photo : Olivier Rosset

Pour en savoir plus

Clarin - LinkedInportraitClara Armand-Delille est la fondatrice de ThirdEyeMedia, une agence de conseil en communication stratégique et relations presse dédiées aux startups et fonds de capital risque. Avec plus de 10 ans d’expérience dans l’industrie, et des rôles auprès de Google, Accel Partners et iZettle, Clara a su mener avec succès le développement de startups en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique Latine, organisant des lancements sur de nouveaux marchés, des annonces de levées de fonds et des campagnes de communications à l’échelle régionale ou internationale.

Parmi ses clients actuels ou passés, ThirdEyeMedia compte TransferWise, GoCardless, ZipJet, TechTour, 360 Capital Partners, Cubyn, Tramonex, Badoo, FoodCheri, Le Slip Francais, Navya et PayFit.



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