[The Arcane] – 5 mouvements sociétaux que la communication des entreprises doit intégrer en 2023
Pour le lancement de son nouvel outil de planning stratégique et prospectif, le cabinet de conseil en gouvernance et influence, The Arcane, a organisé le 9 mars dernier, une conférence particulièrement riche en enseignements et réflexions sur les tendances sociétales qui attendent les entreprises pour l’année 2023. Loin de s’adonner à un exercice prédictif plus ou moins aléatoire que d’aucuns continuent malgré tout de promettre, les experts de l’agence ont au contraire établi une grille de lecture très pragmatique basée sur l’observation des signaux forts et faibles. Objectif : aider la communication des entreprises à mieux se positionner par rapport aux courants d’opinions et d’actions (parfois contradictoires) qui traversent actuellement la société. Synthèse et impressions.
Faire bouger les lignes a toujours été la marotte professionnelle de Marion Darrieutort. Il y a quinze ans, elle avait fondé Elan, une agence de communication atypique à l’époque qui s’imposera comme un acteur reconnu. En 2020, elle a récidivé avec la création de The Arcane, un cabinet de conseil qui entend s’appuyer fortement sur une observation rigoureuse et fine des mouvements de la société et des phénomènes tectoniques qui la font bouger en permanence et surtout plus rapidement qu’auparavant.
Avec une conviction : accompagner les entreprises dans la compréhension de ce qui parfois peut ressembler à un mix de capharnaüm et de cacophonie où il est bien ardu de se déterminer en termes d’actions et de communication corporate. Ses deux partenaires, Benoît Mathieu, directeur et « tête chercheuse » et Stéphane Mahon, senior advisor au sein de The Arcane, ont donc emboité le pas pour un petit tour prospectif en 5 mouvements de société qui annoncent des orientations probables d’ici les mois à venir.
Mouvement n°1 : l’entreprise fait Société
Depuis quelques années, les interactions entre la société et les entreprises n’ont jamais cessé de se multiplier au point que les questions sociétales et politiques se sont immiscées dans les débats internes là où auparavant elles restaient à la porte. Cette accentuation s’est poursuivie avec la crise sanitaire du Covid-19 et la guerre en Ukraine. Pour les deux orateurs, l’entreprise est dorénavant dans la « permacrise », une situation agitée permanente et potentiellement inconfortable qui la challenge constamment sur ses bases et ses actions.
C’est déjà patent aux Etats-Unis où le courant wokiste bouscule les discours corporate. A tel point que le géant américain Disney est accusé par les opposants républicains et ultra-conservateurs de faire le jeu des tenants du wokisme. Autre exemple : les critères ESG sur lesquels les organisations sont régulièrement interpelées. En d’autres termes, la société au sens collectif du terme s’invite de plus en plus dans les bilans des entreprises à tel point que les normes extra-financières abondent comme la norme CSRD qui s’appliquera à partir du 1er janvier 2014 et qui sera encore plus exigeante en matière de durabilité des entreprises.
D’autres entreprises choisissent d’emboiter le pas en s’engageant notamment sur la notion de partage de la valeur à l’instar de MAIF et du Crédit Mutuel qui tiennent un discours assumé autour des dividendes écologique et sociétal. Autre action évoquée par les deux orateurs : celle du fonds souverain de Singapour, Temasek, qui entend surfer sur la dynamique de la « blended finance » qui permet de garantir des investissements en supportant certains risques.
Le décryptage de « The Arcane »
- Conserver une « distance de sécurité » : l’entreprise doit pouvoir garder le cap d’une certaine neutralité ou assumer le droit au silence dans certaines situations.
- Identifier les bons points de contacts de l’entreprise avec la société : ce point d’équilibre repose sur la prise en compte de plusieurs paramètres : actualité sociétale, évolution des attentes des publics stratégiques et pression médiatique permanente.
- Délimiter plus clairement le périmètre d’expression sociétale : identifier les sujets potentiellement « toxiques » mais également les sujets porteurs.
- Prendre le pouls de la société et de ses évolutions : les dirigeants sont généralement peu préparés à ces questions de société et aux risques de réputation qu’ils contiennent. Leur sensibilisation passe par la veille sociétale, veille conversationnelle et veille de terrain.
Mouvement n°2 : Les valeurs se fragmentent
Les valeurs qui ont toujours constitué des repères et des références pour une société comme pour une entreprise, sont aujourd’hui sérieusement ébranlées dans leur sémantique même. Un exemple ? Le mot « guerre ». Il y a trois ans, à l’aube d’un confinement national jamais vu de la population française, Emmanuel Macron déclarait « nous sommes en guerre » face à un virus à l’époque encore méconnu. Cette guerre « virtuelle » contre un ennemi microscopique a maintenant passé le relais à une guerre bien réelle avec des morts par centaines de milliers et des massacres à quelques heures de Paris. Cette mutation polysémique n’est pas prête de s’estomper dans un monde toujours autant obsédé par l’instantanéité.
Cette fragmentation se retrouve dans quantité d’exemples commentés par Benoît Mathieu et Stéphane Mahon. On trouve la « gossipisation » des patrons dont le discours est scruté et décortiqué sans relâche. Le PDG de TotalEnergies en sait quelque chose, lui qui avait tenté d’expliquer la réalité de son salaire mirobolant et très mal perçu par l’opinion publique. Les modèles activistes eux-mêmes se transforment. On se rapproche de plus en plus de la mécanique de la « flash mob » où il s’agit de dégonfler la nuit les pneus de véhicules jugés polluants, d’asperger de peinture les façades d’immeubles d’entreprises ou encore d’investir bruyamment des assemblées générales d’actionnaires.
S’il est un sujet qui est revenu massivement en force, c’est celui de la Nature. Aujourd’hui, l’enjeu est d’intégrer cette valeur dans les décisions publiques et également, dans la comptabilité des entreprises. Une initiative sera à suivre particulièrement en 2023 : la Task Force on Nature-related Financial Disclosure (TNCF) qui « doit élaborer un cadre de gestion et de communication des risques liés à la biodiversité pour que les entreprises puissent mieux comprendre leur dépendance à la nature et agir en faveur de la protection des écosystèmes ».
Le décryptage de « The Arcane »
- Aborder la « valeur Nature » comme un invariable de la communication : la saison du « green washing » a trouvé ses limites et les preuves ont désormais priorité sur les messages. Des dispositifs de communication plus rationnels, guidés par les actes sont attendus de la part des grandes entreprises.
- Adopter de nouveaux formats de reporting : le reporting connaît des évolutions majeures en 2023, notamment pour ce qui est des critères extra-financiers au niveau européen. Dépasser la dimension technique du reporting contraint pour communiquer sur une performance globale semble plus approprié.
Mouvement n°3 : L’avenir s’accélère
Les années 2000 et plus particulièrement celles de la décennie qui s’est ouverte, ont marqué une accélération considérable du temps. A tel point qu’il s’est contracté et que nous évoluons dans l’urgence constante du moment. Avec une incapacité chronique à se projeter dans le temps long. De fait, la société est tout à fait capable de juguler des crises instantanées comme un tremblement de terre ou une pollution accidentelle. En revanche, elle se sent nettement démunie face à ce que l’économiste américain Nouriel Roubini qualifie de « méga-menaces » comme le changement climatique qui pourtant ne cesse d’être de plus en plus prégnant et impactant sur les sociétés.
Or, ce sentiment d’aller dans le mur sans pouvoir freiner est un enjeu considérable générateur de peurs sociétales. Des peurs qui sont en partie liées à une certaine faillite du technologisme tant vanté au début du 21ème siècle et censé résoudre tous les problèmes de l’humanité. Cette désillusion patente est vecteur de comportements irrationnels (comme les croyances conspirationnistes) et de comportements nostalgiques toxiques d’un passé soudainement sublimé et idéalisé qui paralyse les réflexions. Même les marques s’adonnent à ce retour passéiste en faisant renaître des produits disparus comme la lessive Bonux qui faisait tant les délices des sketchs de l’humoriste Coluche.
Le décryptage de « The Arcane »
- Adopter des codes de la « real communication » : construite sur une considération renforcée des individus, une reconnaissance de leur situation, de leurs attentes, cette approche de la communication est aussi plus ancrée dans la réalité.
- Ne pas renoncer à un discours d’aspiration : la communication doit conserver son rôle de projection dans un avenir désirable. Mais là encore, les messages doivent rester vérifiables.
- Incarner une ambition nouvelle sans sur-promettre : dans cette période, les dirigeants qui adoptent une sérénité de style et de ton sont ceux qui inspirent le plus de confiance. La lucidité, le rappel du cap, l’enthousiasme sont autant d’atouts reconnus dans l’expression d’un leadership de confiance et de proximité (Pop Leadership)
Mouvement n°4 : Le dialogue, ce nouveau récit
Au regard des tensions et des clashs récurrents qui émaillent la société, force est de constater qu’il y a besoin de réinventer des formes de dialogue pour s’extirper de la confrontation binaire et basique. Benoît Mathieu et Stéphane Mahon soulignent que « la capacité de « disputation » des organisations laisse entrevoir de nouveaux modèles de leadership et la fonction critique des parties prenantes s’intègre aux dispositifs de gouvernance ».
Cette nécessité de retrouver un dialogue entre les acteurs s’accompagne en revanche d’une dimension supplémentaire que notent les deux experts : « c’est dès lors, plus la manière dont une décision est prise (en consultation, en dialogue, en codécision) qui va primer sur la décision elle-même ». Une illustration patente est l’actuel débat sur le projet de réforme des retraites en France. Outre des mesures qui sont fortement contestées dans l’opinion publique, c’est le court-circuitage des organisations syndicales par le gouvernement qui est vivement critiqué même si la Première ministre, Elisabeth Borne répète à longueur de temps qu’il y a eu consultation.
Dans ce fracas des mots, une autre tendance se dessine. Pour les experts de The Arcane, le modèle « safe » de TikTok va inspirer d’autres acteurs comme le réseau Black Elephant (l’anti-réseau social) et le développement de zones de déconnexion et de tranquillité digitale. Ces initiatives de « Safe zone » sont en réponse aux angoisses et au stress de la culture permanente du clash ».
Le décryptage de « The Arcane »
- Installer un « dialogue corporate » : à l’instar du dialogue consommateur mis en place par certaines marques sous forme de community management, un dialogue avec l’entreprise pourrait permettre de renforcer la confiance sur des sujets qui font encore trop souvent l’objet d’une approche top down.
- Proposer des « Data safe zones » ou zones de confiance aux utilisateurs des services numériques. La conscience de l’exploitation des données à des fins marketing s’accroît sous forme de défiance. La nécessaire RGPD ne semble pas suffisante pour construire de la confiance : un dialogue apaisé dans des espaces sécurisés pourrait devenir un levier de fidélisation.
- Dialoguer y compris sur des sujets sensibles : le dialogue est trop souvent synonyme de prise de risque ou de potentielle vulnérabilité pour les dirigeants. Or il crée des conditions de confiance qui contribuent à nourrir l’image d’une entreprise ouverte, ancrée dans son époque.
Mouvement n°5 : Dangereuses dissonances
A-t-on enfin atteint les limites du grand écart qui consiste à vociférer des mots d’engagement sans les faire suivre véritables d’actes concrets ? Il semblerait que oui selon les deux experts : « La distorsion entre les mots et les actes pèse de plus en plus comme une menace. L’écart qui les sépare peut détruire de la valeur réputationnelle de plus en plus rapidement ». Autrement dit, la raison d’être ne suffit plus. La façon de faire va aussi peser dans l’acceptabilité sociétale.
On peut notamment relever à cet égard la pleine forme de l’activisme actionnarial qui est à l’affût des dissonances entre les discours des entreprises et leurs réalisations. Si ces dernières restent toujours tiraillées entre impératif de rentabilité et souci de déployer une vraie stratégie RSE, elles doivent aussi composer avec ces acteurs de plus en plus prépondérants.
Autre point qui prend de l’ampleur et crée de la dissonance : le respect du devoir de vigilance pour les entreprises dans les législations européenne, française et allemande. Aujourd’hui, plusieurs célèbres enseignes multinationales (TotalEnergies, BNP Paribas, Yves Rocher, Suez, Danone) sont trainées devant les tribunaux pour avoir failli selon les ONG. La bataille ne fait que commencer.
Le décryptage de « The Arcane »
- Administrer les preuves de l’engagement : « dîtes ce que vous faites mais faites aussi ce que vous dîtes », la mise en évidence de cet écart atteint la réputation des entreprises et des organisations. Le lien entre l’engagement et les actes est recherché, analysé, scruté.
- Construire votre alignement : c’est ce que nous recherchons dans la mise en œuvre d’une « real communication » qui consiste à croiser cohérence, confiance, contribution et collectif (méthodologie des 4 C).
- Ne pas surestimer votre discrétion : certaines parties prenantes sont particulièrement efficaces voire redoutables dans l’identification des dissonances et le lancement d’alerte.
- Construire la résonance : un leadership authentique fait agilement le pont entre la raison d’être et la façon de faire. Au contraire de la dissonance, la résonance articule les mots et les actes.
Pour en savoir plus sur l’offre Vigie de l’agence
The Arcane réalise par ailleurs des vigies prospective sur mesure. Ces analyses sectorielles portent sur l’identification de sujets stratégiques pour guider la communication des entreprises.
Cette offre repose sur 4 principes clés :
- 1. La CONFLUENCE : quand au moins deux tendances distinctes convergent pour faire émerger quelque chose de nouveau.
- 2. Les POINTS D’INSATISFACTION : les innovations d’entreprises proviennent souvent de recherches qui visent à combler une insatisfaction par rapport à un produit ou un service. On retrouve ce phénomène au niveau des idées pour palier à des blocages, des insatisfactions au sein d’une société.
- 3. Les EFFETS DE SEUIL : lorsque qu’une micro-tendance prend assez d’ampleur pour toucher assez de personnes qui, sur la base de l’effet club et des comportements mimétiques, vont en faire un phénomène de masse.
- 4. L’ALTERNATIVE : un sujet émerge en contre-point d’un autre qui devient dominant, dont on parle beaucoup.
Face à la focalisation sur un sujet, on voit apparaît des alternatives pour dire « OK, c’est important mais ce n’est pas tout ! ».
En dehors de ces 4 approches qui visent principalement à identifier des bifurcations, il est utile d’analyser des continuités. Et ainsi anticiper qu’un phénomène sera encore présent à l’avenir. En savoir plus en visitant le site de l’agence.