10ème édition rétrospective des crises numériques : tous les faits saillants à retenir

Le 6 février dernier, Nicolas Vanderbiest (fondateur et directeur opérationnel de Saper Vedere, cabinet de veille et d’analyse de l’opinion sur les réseaux sociaux) et Emmanuelle Hervé (fondatrice et directrice générale du cabinet EH&A) ont levé le voile sur la traditionnelle étude des crises numériques qui existe depuis 2013 et qui soufflait là sa 10ème bougie.

49, c’est le nombre de crises numériques qui ont éclaté dans l’univers francophone des réseaux sociaux en 2023. Un chiffre qui amorce un certain recul par rapport à 2022 qui en dénombrait 70 et qui revient au niveau moyen observé post-Covid. Est-ce à dire que marques et entreprises maîtrisent leur communication digitale par rapport à la période 2014-2019 où l’occurrence de crises en ligne dépassait régulièrement la barre des 100 ? La réponse est en fait plus contrastée même si aucune marque n’intègre cette année le Top 6 historique des bad buzz les plus virulents et volumineux.

X/Twitter toujours foyer n°1 des crises

En dépit de la fragmentation des réseaux sociaux avec en particulier l’immixtion récente des réseaux Threads et Bluesky et la prédominance accrue de TikTok, X (ex-Twitter) demeure sans conteste le creuset n°1 où se forgent des crises numériques. A lui seul, le réseau d’Elon Musk concentre 65% des crises et des commentaires qui s’ensuivent. Deux réseaux toutefois repartent à la hausse : Facebook avec 13% qui avait pourtant plutôt tendance à s’assoupir ces derniers temps et Instagram qui augmente encore sa part pour atteindre 15%. Autant dire qu’en matière de veille, garder un œil prioritaire sur ce trio s’avère indispensable.

Un point singulier est cependant à relever : la vidéo est un élément plus crisogène. Dans 37,5 % des crises (soit plus d’1 sur 3), la vidéo est présente. Ce qui constitue une véritable explosion du nombre de cas alors que la vidéo était très peu présente auparavant (environ 20 %). Autre point : la quasi-absence de TikTok comme foyer de crise numérique alors que le réseau chinois n’en finit pas d’asseoir son hégémonie chez les plus jeunes générations. Seul cas patent à ce jour : le dérapage de Jean-Baptiste Djebarri en octobre 2022 à cause d’un trait d’humour malencontreux qui a déclenché une vive polémique au moment où le gouvernement s’apprêtait à recourir à l’article 49-3 pour faire adopter le budget à l’Assemblée nationale. Réseau de « niche » pour combien de temps encore ? Là est toute la question.

Les clivages sociétaux comme carburant de crise

En ce qui concerne les sujets crisiques, le wokisme figure plutôt en bonne place en accaparant 17% des cas. Les plus frappants ont impacté notamment les friandises M&M’s. Après avoir lancé de nouvelles couleurs dont le violet, une frange de la droite conservatrice américaine a aussitôt attaqué le confiseur Mars Wrigley de faire la promotion déguisée des thèses LGBT à travers les célèbres petits personnages. En retour, le fabricant a annoncé que les créatures chocolatées étaient mises en pause, le temps que le calme revienne.

Autre polémique dans le même registre qui a cristallisé les débats : la décision du mairie de la ville de Pantin de rebaptiser symboliquement celle-ci en Pantine pendant un an pour sensibiliser à l’égalité hommes-femmes. L’opération a été très diversement commentée et a excité les polarisations politiques. Un autre coup de com a également suscité de vives récriminations (notamment en Belgique) : celui de Barilla avec ses pâtes carbonara dites inclusives. La marque voulait y voir un message de « bien vivre ensemble » mais la publicité a été jugée par de nombreux internautes comme une ode au wokisme, certains appelant même au boycott du produit !

Cet éternel recommencement !

Une autre particularité a marqué 2023 : celle de l’éternel recommencement ou autrement dit, les marques n’apprennent pas des crises précédentes. En 2015, Gucci avait défrayé la chronique avec sa publicité où un mannequin était allongé face contre sol au même moment où figurait dans tous les médias la photo d’Aylan, un petit Syrien migrant de 3 ans mort noyé gisant sur une plage turque. Bis repetita en 2023 avec Zara et le conflit Israël/Hamas. En décembre, la marque espagnole lance une campagne publicitaire plutôt décalée montrant des sculptures inachevées enveloppées dans des draps blancs, le tout dans un décor de murs endommagés. Il n’en fallut pas plus pour qu’aussitôt des centaines de milliers d’internautes pourrissent Zara en suspectant une macabre et moqueuse mise en scène des bombardements sur les civils palestiniens à Gaza. La marque a dû interrompre séance tenante sa campagne et se fendre d’un mot d’excuse expliquant qu’il n’y avait aucune allusion au conflit mais une simple intention artistique élaborée avant le début des combats.

Dans un autre genre, des ministères du Tourisme se sont pris des volées de bois vert pour avoir fait la promotion de leur destination touristique en illustrant celle-ci avec des photos provenant … d’autres pays ! Aux Philippines, la vidéo publicitaire comportait des images de sites situés en Indonésie, au Brésil ou encore en Suisse. Deux mois plus tôt, c’était le ministère italien qui affrontait une controverse similaire en faisant figurer une cave à vins en Slovénie censée représenter l’art de vivre transalpin !

En conclusion

Les crises numériques seraient-elles donc entrées dans une phase de « maturité » ? D’après les deux speakers, il semblerait que oui. Celles-ci reflètent les tensions et les clivages du moment à travers des mauvais usages de communication ou de marketing où marques et entreprises se font alors happer et critiquer. Autre enseignement que le duo déplore aussi : l’absence de veille sectorielle ou de mémoire historique des crises qui éviteraient de reproduire les mécanismes identiques des crises précédentes !

Il n’en demeure pas moins un point d’interrogation à l’heure où l’intelligence artificielle a fait irruption en matière de communication et de publicité. Cette année, l’office de Chamonix-Mont Blanc s’est fait taper sur les doigts pour avoir choisi un cliché mettant en scène la nature environnante tout en précisant qu’elle avait recouru à l’IA pour fabriquer l’image (alors même qu’elle entend promouvoir l’authenticité de ses paysages naturels). 2024 verra-t-il l’avènement d’opérations qui jouent de façon plus poussée avec la confusion du réel et du virtuel (lire à ce propos ce billet du blog) et de controverses à la clé qui s’insurgent contre ce grand mélange ou le vrai passe pour du faux et inversement ? Réponse dans un an avec la 11ème édition !

A consulter par ailleurs

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