Etiquette « appel à l’aide » chez Primark : Vrai SOS ou manip’ activiste ?

Une très surprenante information a mis en émoi la direction du groupe textile irlandais Primak le 16 juin dernier. Une consommatrice galloise a découvert une étiquette d’un genre un peu spécial cousue dans le revers d’un vêtement acheté dans un magasin de l’enseigne. Sur le bout de tissu, était inscrit un message dénonçant les conditions de travail de l’atelier où a été confectionné l’habit. L’affaire a grandement bruissé sur les réseaux sociaux et dans quelques médias à peine un an après l’effondrement des ateliers du Rana Plaza où Primark faisait confectionner certains de ses produits. Si rocambolesque et émouvante soit-elle, l’anecdote pose malgré tout question.

En dénichant sa petite robe d’été soldée à 10 £ seulement chez Primark, Rebecca Gallagher, jeune maman galloise de 25 ans, ne s’attendait probablement pas à vivre une mini-tempête médiatique dans la foulée. Alors qu’elle s’apprête à passer le vêtement à la machine à laver, elle consulte les étiquettes précisant les instructions de lavage et tombe sur l’une d’entre elles pas vraiment banale. Cousue dans le pli de la robe avec les autres, cette étiquette porte un message d’alarme : « Forced to work exhausting hours » (littéralement « forcé de travailler pendant des heures exténuantes »). Intriguée, elle contacte aussitôt Primark pour s’enquérir de la provenance de ce SOS peu banal. Raté, personne ne daigne lui répondre. Elle narre alors son étrange découverte à la presse locale et la boucle médiatique se met progressivement en marche.

Une conjonction de facteurs viraux

Primark - Tweet ONGL’histoire rebondit assez rapidement dans les médias britanniques puis internationaux dans les jours qui suivent la découverte saugrenue de Rebecca Gallagher. Le terrain est médiatiquement favorable puisque vient d’être « célébré » il y a deux mois à peine le triste premier anniversaire de la catastrophe du Rana Plaza où 1138 ouvriers et ouvrières ont perdu la vie dans l’écroulement du bâtiment qui abritait les ateliers de couture où ils travaillaient dans des conditions sordides. Le lien s’établit d’autant mieux que Primark figurait effectivement parmi les marques dont des étiquettes de vêtement ont été retrouvées dans les décombres. Elle sera d’ailleurs une des premières entreprises à reconnaître ouvertement ses responsabilités là où d’autres comme Auchan continuent encore aujourd’hui d’esquiver les questions.

Ensuite, la trame elle-même de l’histoire est suffisamment forte pour éveiller l’intérêt médiatique et favoriser la répercussion du récit. Elle semble de surcroît crédible puisqu’en 2012, un prisonnier en Chine avait opéré de manière similaire en glissant un message de détresse dans un sac de la marque américaine Saks Fifth Avenue pour alerter sur son embastillement injuste. C’est une consommatrice new-yorkaise qui était finalement tombée sur le bout de papier griffonné en anglais. L’affaire Primark gagne du coup en consistance, en plus de son caractère incroyable intrinsèque. La branche hollandaise de Fashion Revolution, une ONG très engagée pour promouvoir une mode éthique prend d’ailleurs aussitôt la balle au bond en retweetant plusieurs fois le récit de la jeune mère de famille. Lequel est viralisé plusieurs centaines de fois.

Une histoire trop « parfaite » ?

Rebecca Gallagher témoigne

Rebecca Gallagher témoigne

Interpelé par les médias, Primark réagit alors par la voix de son porte-parole (1) : « Nous trouvons très étrange que cette histoire fasse surface dans ce contexte, étant donné que la robe était en vente il y a plus d’un an, sans qu’aucun autre incident de ce genre ne nous soit remonté. Nous serions reconnaissants à la cliente de nous faire parvenir la robe en question afin que nous puissions mener une enquête ». En attendant, l’impact médiatique a fait son œuvre et la marque est à nouveau sur le grill.

Elle l’est d’autant plus que la cliente à l’origine des révélations apparaît comme particulièrement bien informée sur le contexte de l’industrie textile au Bangladesh et l’implication de Primark. Lorsqu’elle témoigne au quotidien local South Wales Evening Post, Rebecca Gallagher dispense un discours étonnamment bien étayé. Même si elle déclare par ailleurs ne s’être jamais vraiment interrogée sur l’origine des vêtements jusqu’à cette découverte, elle délivre des phrases que renieraient pas certains militants activistes (2) : « Je redoute de penser que cela puisse supposer du travail d’enfant et des conditions de travail terribles. On entend tellement d’histoires de ce genre à propos de gens travaillant dans des ateliers de misère. Cela me rend si coupable que je ne pourrai jamais porter à nouveau cette robe. Nous aimons tous les bonnes affaires mais cela me fait vraiment penser aux gens qui fabriquent nos habits et combien ils travaillent durement pour que nous ayons une mode à petit prix ».

Un dernier point suscite aussitôt quelques interrogations. Il concerne la rédaction du message lui-même. Bien qu’il soit court, il est formulé dans un anglais courant parfait. Un élément qui peut surprendre lorsque l’on sait qu’une grande majorité des ouvriers bangladais du textile sont souvent illettrés et surtout encore moins familiers avec la langue anglaise. Alors s’agirait-il d’un geste de mauvais plaisantin ou bien d’une manipulation activiste que certains militants ne rechignent guère à adopter pour créer le buzz et faire passer les messages ? A cet égard, on peut se souvenir de la vraie-fausse vidéo orchestrée en juin 2012 par Greenpeace et The Yes Men pour contrer les velléités de forage en Arctique de la compagnie pétrolière Shell.

De la vigilance avant la véhémence !

Primark - sacAutant les attitudes bornées de plusieurs grands commanditaires du textile à l’égard du Bangladesh doivent continuer à être stigmatisées sans relâche, autant il convient également de ne pas céder aveuglément aux emportements militants. L’histoire de cette étiquette SOS recèle des parts d’ombre qu’il faut impérativement élucider afin de déterminer si oui ou non, le message est authentique ou au contraire factice. Là est tout le problème actuel des mises en cause où chacune des parties prenantes joue désormais sa partition à coups de buzz viraux.

Doctorant à l’Université Libre de Bruxelles et animateur de l’excellent blog Reputatio Lab sur les crises digitales, Nicolas Vanderbiest revient régulièrement sur cet aspect « blitzkrieg » que les mises en cause virales adoptent de plus en plus, fortement aidées en cela par la capillarité contagieuse des réseaux sociaux. A ses yeux, les étapes sont toujours les mêmes : « 1) Indigner avec un vrai message, 2) Désigner un coupable, si possible un gros et 3) Capitaliser l’indignation très rapidement pour impacter l’entreprise et la faire bouger sinon l’effet s’évapore tout aussi rapidement ». L’histoire de l’étiquette Primark répond à toutes ces conditions. Seule l’enquête que mène désormais Primark pour tenter de tracer l’origine exacte du vêtement, pourra permettre de déterminer si l’on est en présence d’un vrai signal de détresse ou d’une astuce activiste destinée à remettre la pression sur les industriels.

Sources

(1) – Olivia Blanc – « Un appel de détresse cousu sur une robe Primark » – Madame Le Figaro.fr – 25 juin 2014
(2) – « Shopper shocked to find bargain £10 dress has « exhausted labour” tag » – South Wales Evening Post – 16 juin 2013

Mise à jour du 30 juin : « Les mystérieux appels à l’aide retrouvés dans les vêtements Primark » – Le blog Big Browser du Monde – 30 juin 2014

 

 



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