Elisa Tovati vs SNCF : Un bad buzz qui déraille mais pour qui ?

C’est sans doute la polémique la plus impromptue du moment : une chanteuse en plein bras de fer avec une compagnie ferroviaire pour des droits de propriété intellectuelle autour de l’image du train mythique « Orient Express ». Dévoilée par Le Parisien, l’affaire agite les internautes qui défendent bec et ongles Elisa Tovati et cognent sur la SNCF. Cette bisbille illustre de manière symptomatique les mécaniques binaires du bad buzz qui peine toutefois à décoller. Analyse.

Cela devait être au départ un harmonieux partenariat artistique entre la SNCF qui vient de ressusciter l’emblématique train « Orient Express » à travers une exposition à l’Institut du Monde Arabe et Elisa Tovati qui avait puisé son inspiration dans la légende ferroviaire pour réaliser son 4ème album intitulé « Cabine 23 ». L’histoire est pourtant en train de bifurquer sur les rails d’une vilaine crise où l’on retrouve tous les ingrédients médiatiques classiques de la victime et du méchant touillés ensuite par des socionautes prompts à s’enflammer et à condamner sans vraiment prendre du recul.

Cabine 23, tout le monde descend ?

L'album restera-t-il à quai à cause de la SNCF ?

L’album restera-t-il à quai à cause de la SNCF ?

Alors que l’album « Cabine 23 » d’Elisa Tovati vit sa vie dans les bacs des disquaires et sur les plateformes de téléchargement depuis février 2014, la fausse note survient le 5 avril avec la parution d’un article polémique du Parisien. Le quotidien révèle que la chanteuse a reçu depuis le 27 mars une mise en demeure de la SNCF par avocat interposé. Objet du litige selon la compagnie nationale : une exploitation sans autorisation de « l’image et l’univers de l’Orient-Express » et le fait de nuire ainsi « à l’image d’élégance, de luxe et de prestige » du dit train. En d’autres termes, l’artiste n’aurait pas attendu la fin des négociations financières avec la SNCF propriétaire pour s’arroger le droit d’évoquer le train légendaire tout au long de son album.

Devant cette menace peu amène, Elisa Tovati adopte aussitôt l’attitude de la victime qui va être injustement broyée à l’avance par l’énorme machine juridique mise en branle par la SNCF. Le registre émotionnel est plaidé à fond lorsqu’elle est interviewée par les journalistes du Parisien (1) : « Je suis effondrée, je ne dors plus, ne mange plus. C’est une trahison de la SNCF. Quand nous avons eu l’idée de ce voyage à travers les chansons de l’album, nous avons pensé à l’Orient-Express, et je suis allée moi-même présenter le projet. Ils étaient ravis, nous ont ouvert les portes du train pour faire des photos qu’ils ont validées. Je leur ai envoyé le disque le 12 septembre et n’ai eu aucune nouvelle. ».

Bien que consciente qu’aucun accord contractuel n’avait été encore formellement établi entre les deux parties, la chanteuse dégaine également la carte de l’irrespect de la part d’une grosse entreprise (2) : « Moi qui pensais être une bonne ambassadrice de ce train mythique, ils me traitent avec une incroyable violence. Je ne suis qu’une petite artiste. Financièrement, c’est impossible de contre-attaquer, on va devoir détruire en sept jours ce qu’on a construit en deux ans. Et c’est d’autant plus douloureux que c’est un album très personnel, qui me tient énormément à cœur. ». La contre-attaque est idéalement placée et la notion de censure habilement suggérée. Lors de l’émission Salut Les Terriens de Thierry Ardisson diffusé le soir du 5 avril sur Canal +, Elisa Tovati colle d’ailleurs pleinement à cette rhétorique et réitère quasiment mot pour mot les citations recueillies par Le Parisien.

Quand Twitter s’émeut

Bien que le sujet ne soit pas devenu pour autant un « trending topic » de la journée, l’affaire Cabine 23 suscite indubitablement des remous sur Twitter. Sitôt l’article du Parisien publié, nombreux sont les twittos à relayer avec indignation et même agressivité la menace qui plane sur l’avenir de l’album d’Elisa Tovati. La lecture des tweets est sans ambages et nettement en faveur de la chanteuse. La majorité des commentaires crie à la censure et à l’atteinte de la liberté d’expression. D’autres accusent la SNCF de se remplir les poches en détroussant l’artiste et assènent qu’elle ferait mieux de s’occuper de ponctualité des trains. Certains vont encore un cran plus loin et n’hésitent pas à faire l’amalgame avec les convois ferroviaires de la SNCF ayant servi à la déportation dans les camps de concentration lors de la Seconde Guerre Mondiale. Sur Facebook, quelques pages de soutien fleurissent alors pour tenter de souffler sur les braises de la discorde mais sans réel impact.

Dans cette cacophonie irascible, la SNCF réagit pourtant prestement. Au quotidien Le Parisien, l’entreprise explique (3) qu’étaient en cours « des discussions avancées avec la production du disque en juillet dernier pour monter un partenariat avec l’artiste, qui n’a finalement pas abouti. Nous avions même accepté de ne pas faire payer la séance photo dans l’Orient-Express dans le cadre de ces négociations et avons été surpris que le projet voit le jour malgré l’absence de partenariat ». Dans la foulée, un communiqué de presse est diffusé pour essayer de contextualiser précisément le différend existant (4) : « SNCF dément toute volonté d’interdire le disque de Mme Tovati. Aucune action en justice n’est engagée (…) Les discussions actuelles avec la maison de production sont basées uniquement sur la possibilité d’exploiter le concept Orient Express dans le disque Cabine 23 ». Autrement dit, la destruction du disque évoquée ouvertement par Elisa Tovati n’est absolument pas à l’ordre du jour. En dépit de cette mise au point officielle, la compagnie ferroviaire continue pourtant de se faire étriller surtout après la diffusion de l’interview sur Canal +. Le mythe David contre Goliath a la peau dure.

Tovati - Twittos emotion

Une temporalité des faits pourtant étrange

Tovati - Capture Canal PlusMédiatiquement, l’histoire est évidemment croustillante ! Une grosse société tente de faire taire (voire de racketter) une artiste pour de sombres questions pécuniaires. La trame a d’ailleurs bien fonctionné puisque sur le Plus du Nouvel Observateur, le journaliste Thierry de Cabarrus s’est rapidement fendu d’un article appelant Guillaume Pépy à intercéder, arrêter de « harceler » (sic) et donner quitus à Elisa Tovati. En vrac, il liste une série d’arguments comme la liberté de la laisser faire sa promotion d’autant que le train ne circule plus depuis 2009. Si effectivement la posture procédurière de la SNCF n’est certes pas la plus sexy et empathique, elle n’en demeure pourtant pas moins fondée juridiquement parlant. Sauf qu’une fois encore, l’opposition classique du rationnel contre l’émotionnel dans une crise tourne toujours au désavantage du premier.

Ceci étant dit, la tactique communicante empruntée par Elisa Tovati et ses conseils soulève quelques questions qu’étonnamment aucun article de presse n’a encore à ce jour analysé de plus près. L’album incriminé par la SNCF est en vente depuis exactement le 24 février. Compte tenu de la pomme de discorde actuelle, il était évident que le litige allait tôt ou tard ressurgir puisque le disque a été commercialisé sans qu’aucune solution ne soit entretemps intervenue. Guère étonnant donc que le 27 mars se produise l’envoi d’un courrier d’avocat à l’encontre d’Elisa Tovati. Or, étonnamment, l’artiste ne fait nullement mention de cette lettre. Pourtant suivie par plus de 13 000 followers sur son compte Twitter, elle reste totalement silencieuse. Au contraire, elle relaie le programme de ses activités promotionnelles et du showcase qu’elle s’apprête à donner en Province. Une surprenante absence de réaction pour quelqu’un qui vient de voir son travail artistique de deux ans menacé. Elle aurait pu allègrement mobiliser sa communauté de fans d’autant que cette dernière ne s’est pas fait prier pour prendre sa défense une fois l’affaire connue.

Ce n’est qu’une semaine plus tard que la réplique est enfin dégainée en deux temps dans le Parisien et sur Canal +. De là, à soupçonner une orchestration habile d’une stratégie de l’émotion, il n’y a qu’un pas que certains lecteurs du Parisien n’hésitent pas à accomplir (5) : « Belle stratégie de la pleurniche. Bravo Elisa, belle campagne promo ». Ceci est d’autant plus bizarre que depuis dimanche, Elisa Tovati s’exprime désormais ouvertement sur son compte Twitter. Dimanche matin, elle a clairement appelé au « rétablissement de la vérité suite au communiqué de la SNCF. Merci pour votre soutien. Elisa ». Le tout en invitant l’AFP et le Journal du Dimanche à s’emparer du sujet !

Tovati - Tweet ET

Et maintenant ?

Quelle que soit l’issue finale des démêlés entre la SNCF et Elisa Tovati, cette dernière aura au moins enregistré un écho médiatique nettement plus conséquent autour de son album que celui recueilli à sa sortie deux mois auparavant. Même sur la page officielle de la chanteuse sur YouTube, le clip de la chanson principale n’enregistre à ce jour que 44 000 vues depuis 1 mois sans parler des autres vidéos qui peinent à accumuler des milliers de vues. On a connu des emballements artistiques plus flamboyants.

Quant à la SNCF, l’enjeu va désormais être de dégonfler le dossier sans passer pour une organisation impitoyablement tatillonne et légalement chicaneuse. Face à l’instrumentalisation émotionnelle habile, il ne s’agit pas de répondre sur la seule foi du droit au risque sinon de réactiver la pression et d’écorner son image institutionnelle. Après tout, l’album d’Elisa Tovati ne passionne guère les foules d’un point de vue artistique. Sur le site de la FNAC, on ne trouve nulle trace de Cabine 23 dans le Top 100 de la variété française. Dès lors, autant régler prestement l’affaire d’une manière ou d’une autre et laisser le disque trouver sa voie artistique. La vérité si je mens, non ? !

Sources

– (1) – Eric Bureau et Emmanuel Marolle – « La SNCF veut interdire le disque d’Elisa Tovati » – Le Parisien – 5 avril 2014
– (2) – Ibid.
– (3) – Ibid.
– (4) – Communiqué officiel de la SNCF – 5 avril 2014
– (5) – Eric Bureau et Emmanuel Marolle – « La SNCF veut interdire le disque d’Elisa Tovati » – Le Parisien – 5 avril 2014

Additif

– Guillaume Chapeau – « La SNCF a voulu censurer Elisa Tovati et n’assume pas » – Numerama – 7 avril 2014

 



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