Tom Liacas : « Entreprises, humanisez vos communications ! »
Lors de l’excellente conférence Reputation War qui s’est tenue le 11 janvier à Paris, j’ai eu l’opportunité de rencontrer Tom Liacas, un expert chevronné en matière d’activisme sur le terrain et sur le Web. Aujourd’hui co-fondateur et directeur général de l’agence #engagementlabs qui conseille des sociétés, Tom a longtemps été un militant qui a ferraillé contre les projets de certaines entreprises et institutions au Canada, son pays natal. Tom a eu l’extrême gentillesse de m’accorder quelques instants pour évoquer les entreprises face aux mobilisations de consommateurs et/ou de citoyens. Entretien exclusif pour le Blog du Communicant 2.0.
Fort d’un cursus inédit et expérimenté, Tom Liacas est un stratège rompu aux techniques du militantisme qui guide désormais des entreprises du classement Fortune 500 dans les méandres digitaux et réels de l’agit-prop impulsé par des ONG, des associations de défense et des groupes activistes. Il faut dire qu’avant d’aider les compagnies à mieux dialoguer avec des opposants, Tom a longtemps fait partie de ceux-ci. De cette expérience originale, il en a tiré une philosophie de communication particulièrement pertinente et totalement au fait des enjeux réputationnels actuels des entreprises.
Mini-bio express
L’action et la mobilisation médiatiques, Tom Liacas y est pour ainsi dire tombé dedans. Fraîchement titulaire d’une maîtrise d’Etudes Media, le jeune universitaire canadien s’implique vite dans le militantisme au cours des années 90 avant même l’avènement des médias sociaux. Il apporte ainsi sa contribution à des campagnes comme Indymedia et Adbusters pour les aider à amplifier leur impact médiatique auprès du corps sociétal et des dirigeants.
Plus tard, il est partie prenante dans le lancement de Memefest, un réseau international de personnes militant pour le changement social à travers l’usage sophistiqué des médias et de la communication. Au fil des ans, Tom élargit sa palette en participant par exemple à la création d’Ethiquette, un site qui recense les produits de consommation verts au Canada et Ethipedia, une plateforme collaborative où les entreprises peuvent échanger de bonnes pratiques en matière de développement durable.
Grâce à ce pedigree fort consistant, Tom a acquis une compréhension profonde des vulnérabilités des entreprises et des gouvernements sur le terrain des médias sociaux. Il en a aussi tiré des enseignements pour adapter leurs communications de manière plus efficace à l’encontre des activistes. Autour de cette expertise incomparable, il a décidé de fonder en 2011 sa propre société de conseil baptisée Engagement Labs afin de permettre aux industries d’engager des discussions constructives autour des projets controversés. De fait, le regard de Tom est absolument précieux. Il fait de la communication, un authentique levier d’engagement au lieu des sempiternels messages incantatoires que d’aucuns professent encore.
Quelles sont les vulnérabilités et les mauvais réflexes que vous avez le plus souvent rencontrés de la part des entreprises auxquelles vous vous opposiez ?
Tom Liacas : Au fur et à mesure des années, j’ai remarqué trois faiblesses récurrentes chez la plupart des entreprises confrontées à des contestations ou des critiques virulentes. La première d’entre elles est le manque de crédibilité. Cet aspect n’a jamais cessé de se dégrader. Des études comme le baromètre Edelman Trust soulignent d’ailleurs année après année que la parole des publicités, des entreprises, des dirigeants, etc porte de moins en moins auprès des citoyens et des consommateurs. En parallèle, l’opinion des pairs et le « bouche-à-oreille » enregistrent des taux croissants de confiance. Du coup, lorsqu’une mobilisation surgit autour d’un projet donné, la parole des militants l’emporte quasiment systématiquement sur celle des entreprises. De ces dernières, le public ne retient que le côté mercantile, voire avide tandis que pour les militants, il se laisse gagner par leur aspect sincère, protecteur et désintéressé.
Le deuxième point où les entreprises se retrouvent de plus en plus en porte-à-faux est l’accélération du tempo des initiatives qui surgissent à leur encontre. Le temps des entreprises et le temps des activistes sont de plus en plus désynchronisés. Là où les premières s’échinent à pondre des communiqués aseptisés, standardisés, validés par les services juridiques et diffusés à contretemps, les seconds sont agiles (notamment grâce aux réseaux sociaux), émettent des informations spontanées même si elles sont imparfaites ou mal formulées et ne s’interdisent rien. Je vous laisse imaginer l’ampleur du fossé qui s’instaure en matière de perception du public entre entreprises et activistes !
Le troisième point handicapant pour les entreprises est clairement leur manque d’empathie. Dans le cas d’enjeux sociétaux qui inquiètent et/ou affectent le quotidien de très nombreuses communautés, les entreprises opèrent la plupart du temps sur un registre farouchement rationnel où le langage technique et abstrait prédomine. Du coup, leur communication s’en trouve déshumanisée et éloignée de ceux auxquels elle est censée s’adresser. L’entreprise n’est plus qu’une entité froide et désincarnée. Autant dire que la pente est presqu’impossible à remonter ensuite face à des associations qui misent au contraire sur la proximité, la compréhension, le concret et l’émotionnel.
En quoi les médias sociaux ont-ils totalement bouleversé la donne en matière de réputation des entreprises ?
Tom Liacas : L’avènement des médias sociaux a constitué à la fois un puissant catalyseur et un fantastique accélérateur permettant d’exploiter de manière encore plus percutante les faiblesses des entreprises que je viens d’énumérer. Auparavant, les activistes disposaient de moins de possibilités pour susciter de l’écho autour de leurs initiatives. Il s’agissait surtout de ce que j’appelle de « mobilisation de niche » dont la portée était plus limitée. Surtout si les médias traditionnels n’y accordaient aucune ou peu de couverture éditoriale. Du coup, il fallait imaginer des actions frappant l’imagination pour être entendu mais la mémoire de celles-ci avait tendance à s’effacer avec le temps.
Aujourd’hui, le Web conserve toutes les traces des oppositions qui se font jour envers des entreprises. Cette sédimentation numérique est indéniablement un problème pour la réputation d’une société. A cela, s’ajoute la vitesse de propagation des idées et des événements qui peuvent ainsi toucher de larges proportions de gens sans avoir forcément besoin du concours des médias classiques pour provoquer un impact. Aujourd’hui, il suffit d’une page Facebook montée dans l’heure pour s’adresser très rapidement à toutes les strates de la société. Pour les entreprises, c’est un changement radical. Elles ne peuvent plus rester discrètes, inactives ou même mentir de façon éhontée. Elles sont aussitôt interpelées par des activistes qui ne les lâcheront pas de sitôt.
Si une entreprise ne devait retenir qu’un seul enseignement crucial en matière de veille réputationnelle et d’infowar, quel serait-il ? Que doit-elle absolument faire à vos yeux ?
Tom Liacas : Je vais peut-être vous surprendre mais je lui dirai sans ambages : « Imaginez-vous en être humain ! ». Vos actes et vos déclarations sont désormais jugés par le public comme si vous étiez un simple individu devant répondre de ses propres attitudes envers les autres. L’ère des entreprises toutes puissantes et d’essence quasi divine est totalement révolue. Celles-ci sont devenues de simples mortels comme n’importe quel quidam. C’est particulièrement vrai sur le terrain des médias sociaux où tout le monde est égal.
Un seul quidam motivé, informé et fort de 100 000 abonnés peut agir avec autant d’impact qu’une organisation mondiale de plusieurs milliers de personnes. C’est l’humain qui dispose désormais du pouvoir dans le 2.0. Les entreprises ont tout intérêt à intégrer immédiatement ce renversement de paradigme et humaniser en conséquence leurs communications. C’est là-dessus que la perception du public s’établira et nourrira par ricochet la réputation de l’entreprise. Si celle-ci continue de se vivre et de se montrer comme une entité sans âme et sans empathie pour son environnement, les dommages réputationnels seront à la hauteur de cette carence humaine.
A votre avis, quelles sont les tendances émergentes et/ou en train de consolider en 2013 et au-delà ?
Tom Liacas : A très court terme, je pense que les crises surgissant sur les médias sociaux vont s’accroître et s’amplifier. Avec encore pas mal de « fails » issus des entreprises ! A mon avis, il n’est pas non plus exclu que le rythme des crises soit de l’ordre du quotidien. Pourquoi ? Tout simplement parce que le public apprend de plus en plus et a accès à des sources d’informations démultipliées. Ce même public n’hésite donc plus à s’exprimer et à faire connaître ses mauvaises expériences à l’égard d’un produit, d’un service, d’une marque ou d’une entreprise. Souvent, il ne se contente pas seulement de dénoncer mais il entend mettre la pression sur la source de son mécontentement afin de mobiliser et d’obtenir réparation. De ce fait, les entreprises vont être obligées de se convertir à une veille réputationnelle digne de ce nom, d’écouter activement leurs différentes audiences et de dialoguer avec des réponses concrètes et non plus des beaux messages.
A plus longue échéance, je ne serai pas étonné que cette pression 2.0 finisse toutefois par s’équilibrer et se contrebalancer. En effet, si les réseaux sociaux ne servent que de chambre d’écho pour dénoncer, il est fort à parier que la lassitude et le désintérêt commenceront à poindre. Pour éviter cela, il va falloir imaginer une nouvelle façon d’échanger entre tous les acteurs. A cet égard, je crois vraiment que les pouvoirs publics ont un rôle crucial à jouer pour impulser cette démocratie participative afin que tout le monde puisse avoir la parole mais qu’il en ressorte également des résultats tangibles. Si l’on reste au stade de la cacophonie où chacun cherche à hurler plus fort que l’autre, le débat ne sera pas vraiment constructif. Ce n’est dans l’intérêt de personne.
Cela sous-entend notamment que les militants devront aussi apprendre à être comptable de leurs prises de position et des conséquences qui peuvent en découler. Par exemple, s’opposer fermement aux énergies fossiles pour favoriser celles qui sont renouvelables peut tout à fait se concevoir. En revanche, cela suppose que les opposants acceptent alors une énergie plus chère en termes de facture si leur revendication est entendue. Les réseaux sociaux doivent et peuvent réellement favoriser cette co-construction des débats sociétaux qui concernent différents acteurs.
Remerciements à Christophe Ginisty, président Monde de l’IPRA pour l’organisation de la conférence Reputation War et à David Millian, consultant et auteur du très bon blog Comfluences pour la mise en relation avec Tom Liacas
Pour aller plus loin
– Retrouver Tom Liacas sur son fil Twitter, son profil Linkedin et son blog Social Disruptions
– Lire le billet de Tom sur les différents profils des entreprises sur le Web social – « Psychopaths, Robots & Airheads : corporations on social media » – Social Disruption – 3 janvier 2013
– Visiter le site de sa société Engagement Lab
4 commentaires sur “Tom Liacas : « Entreprises, humanisez vos communications ! »”-
ReputationWar -
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Olivier Cimelière -
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Olivier Caussin -
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Olivier Cimelière -
Retrouvez la synthèse de la conférence sur Storify : http://storify.com/ReputationWar/reputationwar
Excellent résumé pour ceux qui auraient eu la malchance de louper la conférence !
Fascinant personnage. J’ai beaucoup apprécié sa présentation à ReputationWAR. Le problème de lassitude évoqué dans l’interview est bien réel. Espérons qu’il n’émoussera pas la résolution de conflits par le dialogue que Tom et ces collègues mettent en place.
Je confirme que Tom a une approche extrêment saine, constructive et transparente du dialogue 2.0. Il incite vivement les entreprises à s’impliquer et à se débarrasser de mauvais réflexes cultivés pendant des années mais sans recourir aux techniques plus ou moins manipulatoires des spin doctors. Sa vision est à cet égard très précieuse et riche en opportunités futures.
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