Intelligence artificielle et bots : les dircoms sont-ils voués à bientôt disparaître ?
Robots conversationnels, service client virtuel, assistants personnels vocaux, moteurs de recherche sont désormais tous dopés à l’intelligence artificielle (IA). Ils s’immiscent dans la conversation des marques et des entreprises avec leurs différents publics et remplacent même dans certains cas la classique communication générée par un humain. L’an passé, l’institut Forrester prédisait 300% d’augmentation des investissements mondiaux dans l’IA en 2017. La tendance est indéniablement marquée mais est-elle mortifère pour autant pour les professionnels de la communication et du marketing ? Réflexion libre.
Certes, le célèbre mathématicien et cryptologue britannique Alan Turing déclarait dans les années 50 que d’ici les cinq prochaines décennies, un humain serait incapable de discerner si son interlocuteur est une machine ou un homme et ceci sur n’importe quel sujet du fait des progrès de l’intelligence artificielle (IA). A moins de vouloir continuer à se faire peur, sa prédiction reste encore loin d’être matérialisée mais recèle néanmoins des enjeux incontournables.
Il y a IA et IA
En soi, le rêve d’automatiser les flux communicationnels d’une marque ou d’une entité est aussi vieux que les premiers pas de l’informatique et des ordinateurs. Dès les années 50 sous l’impulsion du mathématicien américain John Mac Carthy, scientifiques et informaticiens n’ont cessé de mouliner des millions de lignes de codes pour rendre une machine capable d’effectuer certaines actions ou d’envoyer certains messages suite à une question en lieu et place de l’humain. Si pendant longtemps, l’intelligence artificielle a plus relevé de la science-fiction que d’une réalité avérée, ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui. Le 25 mai dernier, AlphaGo, le logiciel d’IA mis au point par Deep Mind (filiale d’Alphabet coiffant par ailleurs Google, Android, etc) a terrassé à deux reprises le n°1 mondial chinois de 19 ans au jeu de go, un jeu millénaire de réflexion stratégique parmi les plus compliqués au monde. Pas de doute, le cerveau humain dispose désormais d’un concurrent ou d’un allié (c’est selon !) pour repousser les limites de la communication, y compris entre objets connectés.
Ces dernières années, l’intelligence artificielle a indéniablement progressé dans sa capacité à intégrer des données et savoir s’en servir de manière autonome et appropriée. C’est ainsi que le terme de Machine Learning (ou Apprentissage Automatique en français) a vite fait irruption tant dans l’industrie numérique que celle de la communication. Cela consiste en la création d’un algorithme capable d’enrichir sa connaissance sur une fonction donnée à partir de data qu’il récolte et d’établir au fur et à mesure des corrélations et des récurrences bien plus rapidement et finement que des neurones humains ne pourraient le faire. Siri, la reconnaissance vocale d’Apple ou encore la voiture autonome de Google sont des exemples de Machine Learning où le calculateur apprend, étudie et capitalise sur ce savoir pour répondre, voire faire du prédictif.
A ce premier concept, est venu s’ajouter une deuxième dimension de l’intelligence artificielle connue sous le nom de Deep Learning. La définition qu’en donne l’association EuroCloud France cerne bien l’avancée importante que le Deep Learning apporte face au Machine Learning : « Ce qui rend le Deep Learning différent des méthodes de Machine Learning traditionnelles c’est que lors d’analyses complexes, les caractéristiques essentielles du traitement ne seront plus identifiées par un traitement humain dans un algorithme préalable, mais directement par l’algorithme de Deep Learning ». Autrement dit, l’algorithme sera capable de faire la différence lui-même entre une photo de bateau et une photo d’avion par exemple. Ou encore interpréter le sentiment général de commentaires déposés par des consommateurs sur un site d’e-commerce.
Et la communication dans tout ça ?
Bien que ces notions d’intelligence artificielle puissent paraître abstraites et complexes à se figurer, les communicants et les marketeurs auraient tort de ne pas se pencher un peu plus sur cette tendance. Qu’on le veuille ou non, l’IA commence progressivement à s’intégrer dans la palette stratégique et opérationnelle des pros de la com. Certes, il existe encore beaucoup de cas patents d’ « innovation washing » comme l’estime Thomas Gouritin, expert en marketing digital (1) : « Depuis plus d’un an, je teste un maximum de chatbots en français et en anglais (…) Pour être honnête, on a quand même encore souvent la désagréable impression que certains bots sont surtout là pour faire de l’innovation washing plutôt que s’adresser à une audience de vrais gens ». Nul doute effectivement que l’effet de manche « hype » n’est pas prêt de se calmer chez certains annonceurs ou agences voulant la jouer à la pointe de la technologie mais en oubliant au final que c’est l’expérience utilisateur qui prévaut et pas le coup de com’ à 2 centimes qui fait gagner des trophées dans certains événements professionnels nombrilistes.
Il n’empêche que l’intelligence artificielle peut également constituer un puissant levier conversationnel pour peu qu’on s’en donne les moyens et que les visées soient au service des publics concernés. C’est notamment l’approche qu’a retenue Toyota pour le lancement de son nouveau modèle baptisé Mirai et qui fonctionne à l’hydrogène. L’enjeu pour la marque japonaise et son agence Saatchi LA était d’adapter avec pertinence les messages en fonction des centres d’intérêt d’une centaine de catégories personnalisées de clients potentiels intéressés par les solutions de mobilité propres. Comme le détaille un article du site La Réclame (2) : « Au départ, 50 phrases ont été écrites par l’agence, et fournies à l’IA de Watson. Le célèbre programme d’IBM a également parcouru le web (YouTube, Wikipedia notamment) afin de se documenter au maximum sur le vocabulaire et la façon de s’exprimer de 100 cibles différentes d’acheteurs (…) Au final, au bout de deux mois et demi, et neuf sessions d’entraînement par l’agence, l’IA est arrivée à produire des accroches. Les messages ayant été tous relus au final par des concepteurs-rédacteurs de Saatchi LA. La campagne a ensuite été diffusée sur Facebook, auprès de 100 cibles, utilisant au final 1000 créations différentes ». A la lumière de ce cas d’étude, il est assez aisé de comprendre en quoi l’IA peut utilement renforcer une campagne de communication et faire gagner en temps et en ressources humaines pour élaborer plus de 1000 accroches toutes ultra-ciselées en fonction du profil adressé.
La communication va être transformée par l’IA
Directrice de la Communication de Microsoft France, un des acteurs mondiaux par ailleurs les plus impliqués dans le développement de solutions d’intelligence artificielle, Dominique Danaë est fermement convaincue que cette technologie va fondamentalement changer la donne dans l’exercice du métier de communicant (3) : « L’intelligence artificielle comme la Data transforment et transformeront nos métiers. L’exploitation de la donnée est une promesse incroyable dans la manière de produire des contenus, de les personnaliser et de les diffuser. Les équipes de communication compteront des développeurs et pas seulement des personnes ayant la capacité d’animer un capital relationnel en cross-canal. Nous voudrons créer de nouvelles interfaces Web très rapidement, comme nous produisons aujourd’hui très rapidement un print A4. Les métiers d’influence changeront radicalement. Les bots révolutionneront les Relations Presse en traitant les demandes de premier niveau des journalistes : quelle est la dernière actualité financière de l’entreprise ? Quelle est sa stratégie de développement ? Qui est son DRH ? Quelle est le pourcentage de femmes au board ? Puis-je avoir une photo du CEO en haute définition ? Un robot agrégateur peut fournir ces éléments de base instantanément et les mettre à disposition de l’internaute dans une interface produite par des communicants ».
Si d’aucuns peuvent y voir (ou y craindre) une vision technologiste de la communication, le fait est que la tendance est dorénavant lancée. Déjà en septembre 2015, une étude conjointe de Deloitte et d’Oxford University estimaient que 35% des emplois au Royaume-Uni étaient menacés de disparition du fait de l’automatisation de certaines actions d’ici les vingt prochaines années. Il semble en effet évident que certaines tâches jusqu’à présents dévolues à des profils humains au sein des services de communication s’effaceront petit à petit au profit de robots à l’intelligence artificielle plus puissante. A cet égard, il convient de suivre avec le plus grand intérêt l’excitant projet éditorial lancé en février 2017 par le journaliste et entrepreneur digital, Benoît Raphaël. Baptisés Flint et Jeff, deux bots journalistes proposent une newsletter quotidienne avec des articles sélectionnés par leurs soins. Jeff est plus particulièrement spécialisé sur le secteur des médias et coaché par son inventeur Benoît Raphaël. Mais l’expérience ne s’arrête pas là. Les destinataires peuvent ensuite cliquer sur un « J’aime » ou « J’aime pas » que le bot analysera pour affiner les prochains contenus expédiés avec le concours d’experts humains comme l’explique le créateur des deux bots (4) : « Ça va plus loin qu’un simple algorithme de personnalisation qui s’intéresse à la sémantique des liens cliqués. Si vous cliquez sur des articles sur le collaboratif, il va comprendre que vous ressemblez à des gens qui s’y intéressent et qui s’intéressent à d’autres choses, comme l’environnement ou les fablabs. ».
Faut-il avoir peur ou saisir l’opportunité ?
Alors faut-il que communicants et marketeurs commencent à vider leurs bureaux et remplir leurs cartons devant l’avènement annoncé de l’intelligence artificielle qui va de plus en plus irriguer les conversations dans les années à venir ? La question est en tout cas prise très au sérieux par le site américain The Drum spécialisé en marketing digital. En partenariat avec Sysomos, un éditeur d’outils de veille stratégique des médias sociaux, un sondage a été lancé début mai 2017 auprès des lecteurs professionnels. L’objectif est double : identifier les peurs et les interrogations des communicants et des marketeurs sur le sujet de l’intelligence artificielle (notamment en termes d’impact sur leur poste) mais également de déterminer le potentiel créatif qui peut aussi en découler pour les marques et les entreprises.
Une chose est en revanche acquise et irréversible. L’intelligence artificielle est amenée à être intronisée dans la panoplie du communicant. Dans un manifeste publié en février 2017 par le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, ce dernier ne laisse aucun doute sur le sujet et explique même que son entreprise va y recourir elle-même dans un proche futur (5) : « Nous travaillons en ce moment sur des systèmes qui pourront analyser des photos et des vidéos pour déterminer automatiquement quels contenus nos équipes de modération devraient regarder. (…) Nous cherchons également à construire une intelligence artificielle qui sera capable de faire la différence entre un article de presse qui parle de terrorisme et un message de propagande terroriste. ».
Pour autant, il ne s’agit pas de se laisser aller à un pessimisme délétère ou au contraire à la béatitude technologique. L’IA s’améliore de toute évidence mais connaît aussi quelques avatars étonnants. En février 2017, la presse spécialisée s’était assez amusé à parler d’une IA créée par Deep Mind qui était capable de devenir agressive lorsqu’elle était contrariée ou frustrée ! Cette anecdote doit faire penser que les IA restent et demeureront des outils (certes aux potentialités intellectuelles magistrales) conçus par des humains. Même si les bots et consorts se sophistiquent indéniablement, aucune technologie n’est encore réellement capable de discerner ou restituer avec acuité des émotions, des contextes sémiologiques et idiomatiques spécifiques que seul un humain connaisseur de ces derniers peut analyser avec justesse. Autant il est inexorable que les actions de dialogue à valeur ajoutée faible ou modérée seront menées par des robots à base d’IA, autant l’intuition et l’empathie humaines ne sauront être supplantées. Or, s’il est bien un métier où ses deux qualités sont essentielles pour déployer une communication agile, c’est bien celui de communicant. Comme l’écrit Gautier Roos de la Direction de la Prospective de France Télévisions (6) : « Intelligence artificielle + intelligence humaine = le combo gagnant pour les bots » !
Sources
– (1) – Livre blanc de Thomas Gouritin – « Les chatbots à l’épreuve du test – Ont-ils vraiment de la conversation ? » – Mai 2017
– (2) – Céline M. – « Toyota se sert de l’intelligence artificielle pour de la conception-rédaction » – La Réclame.fr – 23 mai 2017
– (3) – Romain Hamard – « L’intelligence artificielle et la data transformeront nos métiers » – We Are Com.fr – Avril 2017
– (4) – Elsa Ferreira – « Flint, le bot journaliste qui personnalise ses newsletters » – Makery.info – 13 février 2017
– (5) – Damien Leloup – « Modération, politique, intelligence artificielle… le « manifeste » de Mark Zuckerberg » – Le Monde – 17 février 2017
– (6) – Gautier Roos – « Intelligence artificielle + intelligence humaine = le combo gagnant pour les bots » – Meta-Media – 22 février 2017
Pour en savoir plus
– Lire les résultats des tests de chatbots de Thomas Gouritin sur medium.com/1jour1bot
– Obtenir le livre blanc de Thomas Gouritin – « Les chatbots à l’épreuve du test – Ont-ils vraiment de la conversation ? » en contactant l’auteur sur Twitter
– Lire l’article de Ludovic Louis – « Machine learning et deep learning, comment ça marche ? » – Siècle digital – 22 décembre 2016
– Pour participer au sondage de The Drum sur la communication et l’IA, cliquer ici
– Lire l’article du Blog du Communicant – « Communication et chatbots : Et si on se calmait un peu sur l’automatisation à tout prix ? » – 10 juillet 2016