Communication de crise : 10 critères indispensables pour évaluer la gravité d’une crise

Face à une crise qui se forme ou qui éclate, il est souvent peu aisé de jauger immédiatement la puissance potentielle de celle-ci et d’adopter la bonne posture. Pourtant préoccupantes de prime abord, certaines s’estompent aussi vite qu’elles sont apparues tandis que d’autres semblent inoffensives à première vue avant de devenir un véritable bourbier réputationnel. Pour tenter de s’y repérer, l’éditeur du logiciel de veille digitale Visibrain a identifié 4 critères d’évaluation auxquels le Blog du Communicant en ajoute 6 autres.

Les réseaux sociaux ont véritablement amplifié les probabilités qu’une marque ou qu’une organisation se retrouve confrontée à une crise. La plupart du temps, il s’agit de soubresauts ponctuels qui n’engendrent pas de bad buzz viral ou qui restent cantonnés dans les tréfonds du Web. Pour autant, même une anodine vidéo ou un commentaire négatif isolé peut parfois générer un emballement qu’il convient alors de vite soupeser en termes de dangerosité réputationnelle.

La veille digitale constitue à cet égard un baromètre indispensable que tout communicant se doit d’intégrer dans son dispositif d’outils de communication. Par sa capacité à rapidement évaluer l’intensité potentielle d’une anomalie constatée, une crise peut souvent être évitée ou nettement atténuée. La plateforme de veille digitale Visibrain a récemment mis à jour un petit vadémécum à l’occasion de la crise des pizzas Buitoni contaminées par la bactérie E-coli (lire par ailleurs sur le blog). Elle définit 4 critères à surveiller comme le lait sur le feu.

Indicateur n°1 : le volume de messages publiés

Il n’y a pas à proprement parler de seuil fatidique systématique, ni de chiffre magique au-delà duquel la crise est avérée. En effet, ce seuil s’établit avant tout en fonction du volume quotidien moyen qu’une marque ou une organisation génère autour de son nom. C’est clairement ce chiffre qu’il convient d’avoir en tête pour pouvoir ensuite fixer un seuil de criticité. Par exemple, si le volume de messages se met à doubler soudainement alors qu’aucune opération promotionnelle n’est en cours, il est fort probable que quelque chose d’anormal est en train de se produire. L’observation de ce critère peut être facilement paramétrée grâce à un outil de veille qui envoie automatiquement une alerte lorsque le seuil de criticité est dépassé.

En guise d’illustration, Visibrain revient sur le cas Buitoni. En temps normal, la marque engendre moins de 50 posts publics par jour. Entre le 17 mars et le 31 mai 2022, le volume des conversations a été multiplié par 100 pendant le scandale avec près de 110 000 posts publiés sur le scandale sanitaire et près de 1,5 million de réactions sur l’ensemble des réseaux sociaux.

Indicateur n°2 : le champ lexical utilisé

Sitôt le flot des premiers messages surgi, il s’agit de cerner les mots-clés qui émergent. Dans le cas de Buitoni, 32% des messages se rapportaient au décès d’un enfant ayant consommé une pizza contaminée. Les mots ont une véritable importance car certains peuvent devenir des signes de ralliement autour d’un hashtag dédié qui va alors ensuite cristalliser les conversations relatives à la crise.

Signe de l’importance de l’affaire aux yeux des internautes, un hashtag #BuitoniGate est apparu pour centraliser les conversations. Des appels au boycott, y compris de Nestlé, apparaissent également dans la foulée mais sont peu repris (moins de 1 000 posts au total).

Indicateur n°3 : les profils à risque

Dans toute crise qui démarre sur les réseaux sociaux, il y a systématiquement des profils qui peuvent faire chambre d’écho, partager et faire circuler l’information parmi plusieurs communautés mais également trouver des relais auprès d’autres profils sensibles comme les journalistes, les activistes et les influenceurs. Plus rarement, des célébrités et des figures politiques peuvent également donner un coup d’accélérateur.

Dans tous les cas de figure, il convient d’identifier les profils à risque actifs dans la diffusion et l’émission de messages. Comme le souligne Visibrain dans une vidéo (voir ci-dessous), si le volume de messages est plus important que la moyenne ordinaire mais qu’il reste uniquement au sein d’une communauté, le risque est moindre. En revanche, si les messages commencent à percoler dans d’autres cercles du fait de ces profils à risque, l’intensité de la crise monte nettement d’un cran. Au sujet de Buitoni, 81 000 internautes ont pris la parole parmi lesquels on trouve 912 journalistes, 228 personnalités politiques (dont 4 candidats à la présidentielle), 90 professionnels du secteur, 80 associatifs et 11 célébrités. Soit autant de profils à risque qui ont fait basculer la discussion dans les grands médias.

Indicateur n°4 : l’internationalisation du buzz

L’internationalisation d’une crise est son stade ultime. Elle survient souvent du fait de facteurs culturels communs qui provoquent les mêmes émotions, de la proximité géographique et/ou de la survenance du même problème lorsqu’une marque ou une organisation est implantée dans plusieurs pays.
En ce qui concerne Buitoni et bien que les cas de contaminations ont été uniquement localisés en France, le sujet a malgré tout débordé des frontières. 25% des conversations émanaient de l’international avec un top 5 de pays où la marque est connue et commercialisée (Italie, Espagne, Etats-Unis, Belgique et Suisse).

Les 6 critères additionnels du Blog du Communicant

Si la crise née sur les réseaux sociaux a des critères spécifiques tels que définis par Visibrain, celle-ci fonctionne également selon une logique globale récurrente. Avec six critères qui peuvent rendre une crise plus visible et plus ample qu’une autre qui restera confinée dans un périmètre restreint ou uniquement sur un réseau social, voire passera sous le radar médiatique.
Ces critères sont essentiels à intégrer pour estimer le risque de reprise et d’amplification du sujet en cause dans les médias traditionnels :

  1. La présence de victimes humaines : une crise où des personnes sont blessées, sinistrées et/ou tuées, est un événement qui suscitera beaucoup d’émotion et entraînera une pression médiatique très forte. Les animaux sont également de plus en plus vecteurs de crise (maltraitance, chasse, conditions d’élevage) et génèrent beaucoup d’indignation. Les actions coup de poing de l’association de défense des animaux, L214, sont une illustration symptomatique (lire à ce sujet sur le blog).
  2. La notoriété de l’organisation : les médias s’attachent plus facilement à évoquer une crise concernant une personnalité, une marque célèbre ou une entreprise très connue ou historique . Ce n’est d’ailleurs jamais par hasard que les mouvements activistes s’efforcent toujours de mêler à une polémique un grand nom. Lorsque L214 s’attaque parfois aux pratiques de PME méconnues, elle associe aussitôt le nom de ses clients qui sont souvent de grands enseignes de distribution ou de restauration pour accroître l’impact.
  3. L’ampleur des dégâts : plus l’impact matériel, géographique, financier, social ou environnemental est élevé, plus la crise est susceptible de connaître une forte couverture médiatique qui laissera ensuite des traces réputationnelles. Autrement dit, plus les zéros s’accumulent avant la virgule, plus l’émoi risque d’être particulièrement important.
  4. La proximité géographique et/ou culturelle : le séisme et tsunami dans l’océan Indien de 2004 avait suscité un émoi mondial considérable du fait de la présence de très nombreuses victimes occidentales. En 2010, des inondations au Pakistan ont connu un bilan meurtrier bien supérieur mais l’absence de victimes occidentales n’a pas généré une forte couverture médiatique .
  5. L’agenda médiatique : l’intensité médiatique d’une crise peut varier selon la période où celle-ci survient. De grands événements politiques, sportifs, sanitaires ou géopolitiques peuvent parfois occulter une crise du fait des choix éditoriaux et des priorités décidées par les médias. A contrario, les périodes de vacances et/ou de week-ends où l’actualité est moins forte, augmentent le risque d’exposition médiatique, les journalistes ayant besoin de nourrir leurs supports.
  6. Les sujets sociétaux sensibles : une crise qui comporte une dimension sociétale comme le sexisme, l’homophobie, la religion, le racisme, l’injustice ou le non-respect de la dignité humaine, augmente sa probabilité de dégénérer en crise majeure.

Face à la crise, pas de recette magique mais de l’agilité et du bon sens

Pour autant, il ne s’agit pas de penser qu’une crise doit impérativement cocher les 10 critères énoncés ci-dessus pour constituer une crise. Par essence, une crise est un événement évolutif et à géométrie variable où il suffit parfois d’un grain de sable difficilement repérable pour que tout parte pourtant en vrille. La récente série télévisée américaine « Super Pumped » (actuellement visible en France sur Canal +) en fournit une illustration flagrante. Cette série qui narre les dérives et les déboires rencontrés par Travis Kalanick, le fondateur d’Uber, revient notamment sur la tempête vécue par l’entreprise en 2017 par le seul truchement du mot-dièse #DeleteUber (lire à ce sujet sur le blog)

Fin janvier 2017, le compte Twitter d’Uber pour la ville de New York annonce qu’il désactive les prix des heures de pointe pour les trajets à l’aéroport JFK à la lumière des protestations contre le décret de Donald Trump qui interdit les immigrants de sept pays à majorité musulmane. Or, la décision est très mal vécue par les chauffeurs Uber qui sont musulmans en grand nombre. Ils y voient une mesure de rétorsion à leur égard pour briser les manifestations.

Peu de temps après, un illustre inconnu avec très peu d’abonnés du nom de Dan O’Sullivan est le premier à tweeter #DeleteUber. Le hashtag devient rapidement un sujet de premier plan sur Twitter et la tendance n° 1 dans le pays la même nuit à tel point que toute la presse nationale s’en empare et que des centaines de milliers d’utilisateurs désactivent leur compte Uber dans les semaines suivantes.

Pourtant, il existait un indice laissant supputer que la réputation d’Uber était déjà hautement inflammable. Durant ce même mois de janvier 2017, Susan Fowler, une ingénieure d’Uber, avait écrit un billet de blog détaillant la culture de la misogynie chez Uber, comment elle avait été agressée sexuellement par son superviseur direct, et comment la culture d’entreprise d’Uber l’avait menacée de la licencier si elle parlait de l’agression. Agilité, bon sens, vigilance restent les meilleurs atouts pour tenter d’anticiper la survenue d’une crise.

Pour en savoir plus

Télécharger le modèle de note de crise de Visibrain