Cœur artificiel Carmat : Et de battre ma com’ s’est arrêté ?
Au-delà de l’incontestable prouesse technologique et médicale, le cœur artificiel de Carmat est également un enjeu de communication de tout premier ordre pour sa société génitrice. La première greffe mondiale réalisée en décembre 2013 avait suscité d’immenses espoirs thérapeutiques avant d’encaisser un rude échec avec le décès du patient pionnier quelques semaines plus tard. Portant sur les fonts baptismaux l’épopée de ce projet cardiologique hors normes en 2008, la communication de Carmat éprouve aujourd’hui comme un souffle au cœur depuis la mort du premier homme implanté. Analyse des enjeux.
Un storytelling digne de « Grey’s anatomy »
La jeune histoire de Carmat est intimement liée au lancement d’un pari chirurgical fou qui a toujours fasciné le corps médical et les humains en règle générale : mettre au point un cœur 100% artificiel capable de se substituer intégralement aux greffes d’organes dont plus de 100 000 patients d’insuffisance cardiaque dans le monde sont en attente chaque année (1). Grâce à une technologie de pointe mêlant le meilleur de l’expertise sur les valves cardiaques et les avancées techniques en matière de systèmes complexes et de microéléments issus de l’industrie de l’aérospatiale, Carmat inaugure une nouvelle ère visant à terme à pouvoir fournir un « cœur embarqué » conçu par l’homme pour l’homme.
Une telle trame narrative n’aurait certainement pas déplu aux scénaristes de la célèbre série américaine Grey’s Anatomy où les héros en blouse blanche rivalisent de prouesses médicales pour sauver des personnes de situations d’extrême péril et les rendre à leurs proches dans un happy end émotionnel bouleversant. Pour Carmat, c’est peu ou prou le genre de storytelling qui a d’emblée accompagné la création de l’entreprise qui allait mettre au point le premier prototype du genre. En plus de la fascinante vision technologico-thérapeutique que représente ce cœur 100% made in ex-nihilo, Carmat incarne aussi la réponse à une incommensurable problématique humaine : réduire la mortalité de patients auparavant condamnés par la pénurie chronique de greffons cardiaques ou bien tout simplement allergiques aux transplantations d’organes.
Indexer le cœur aux battements de la Bourse
C’est précisément sur cet ADN combinant fascinante expertise médicale de haut vol et fabuleuse promesse de vie meilleure que la communication de Carmat n’a jamais cessé de s’appuyer. Avec un objectif précis : lever des fonds financiers très conséquents pour donner corps au défi et concrétiser l’engagement annoncé : un cœur artificiel adaptable au corps humain, permettant de vivre une vie normale, le tout à un coût abordable en termes de prise en charge médicale.
L’entrée en bourse de Carmat en 2010 a précisément actionné ces puissants leviers communicants pour séduire et convaincre au final de nombreux investisseurs institutionnels et particuliers comme par exemple Trufle Capital, leader européen du capital investissement, EADS, fleuron de la technologie aérospatiale ou encore OSEO (aujourd’hui intégré à BPI France) qui accorde d’emblée 33 millions d’euros de subsides au projet. Le succès sera d’ailleurs au rendez-vous. Introduite à un peu moins de 20 €, l’action de Carmat ira jusqu’à tutoyer les 180 € en 2011 (2), forte des perspectives radieuses annoncées pour le cœur artificiel.
Les mêmes ressorts communicants seront à l’œuvre lors de l’augmentation de capital de Carmat qui intervient un an plus tard. Avec en parallèle, un méticuleux dispositif médiatique où les dirigeants de Carmat s’expriment dans les colonnes et sur les plateaux des médias les plus renommés. Une saga dont on peut retrouver les différentes ponctuations sur la page Facebook de la société ouverte à l’aube de l’introduction en Bourse en 2010. Cette page alterne régulièrement les informations sur les progrès accomplis par les équipes de Carmat, photos et schémas à l’appui, et les déclarations et compte-rendu financiers de la société. Déjà le 27 mai de cette même année, 2013 était annoncé sur Facebook comme l’échéance visée pour faire battre le cœur Carmat !
Le point d’orgue avant la fausse note
Lorsqu’en septembre 2013, Carmat obtient l’autorisation de l’ANSM (Agence nationale de la sécurité du médicament) de procéder à la future implantation de son cœur artificiel bioprothétique, émotion et attente fiévreuse grimpent alors d’un cran. Bientôt, l’aventure va prendre corps avec la première greffe sur un être humain.
Le 18 décembre, c’est chose faite. Une équipe de l’hôpital Georges-Pompidou réalise l’impensable : un cœur 100% façonné par la main et l’intelligence de l’homme bat dans le corps d’un patient déjà en train de dialoguer avec sa famille comme l’annonce fièrement le communiqué de presse de Carmat. La planète salue avec enthousiasme cet incroyable exploit qui repousse les limites de la médecine.
Le 2 mars, les pics d’optimisme retombent pourtant brutalement avec la mort du patient. C’est l’hôpital qui se charge de colporter laconiquement la triste nouvelle aux médias. Immédiatement, le temps des questions surgit autour des causes du décès. Sont-elles imputables au cœur artificiel, aux complications post-opératoires ou résultent-elles d’un amalgame des deux explications ? C’est le concepteur du cœur et cofondateur de Carmat, le Pr Alain Carpentier qui va alors livrer un premier élément d’explication (3) : « Il y a eu un court-circuit. Cela a entraîné un arrêt cardiaque identique à celui que peut présenter un cœur naturel pathologique ». Problème : l’autre cofondateur, le Dr Philippe Pouletty s’inscrit en faux contre cette thèse. La communication de Carmat devient alors brouillée d’autant que le Pr Bernard Cholley affirme à son tour qu’un « composant électronique a dysfonctionné entraînant une mort subite. Quand les ingénieurs l’ont remplacé après explantation de la prothèse, le cœur est reparti » (4). Au niveau boursier, la sanction ne tarde guère à tomber avec une action qui cote désormais à 90 € (5).
L’émotion à la rescousse ?
C’est en plein milieu de ce pataquès communicant qu’est alors dévoilée le 16 mars à la Une du Journal du Dimanche, l’identité du patient dont l’anonymat avait été jusque-là soigneusement préservé des médias. L’homme au premier cœur artificiel a désormais un visage et un nom : Claude Dany. Dans le quotidien dominical, la famille du patient raconte par le détail les longues semaines d’espoir, d’attente, d’angoisse et au final leur fierté pour leur parent qui a en fin de compte contribué à faire avancer la science. Rebelote quelques jours plus tard avec cette fois, un reportage photographique complet dans Paris Match où sont publiées les photos de Claude Dany juste après l’opération. On le voit plutôt bien portant malgré l’appareillage encombrant qui le suit et même esquisser un petit sourire.
Derrière cette opération d’humanisation, s’agit-il de juguler une controverse technico-médicale qui pourrait gravement atteindre la réputation de Carmat si elle venait à trop s’amplifier ? Le timing des publications a en tout cas de quoi interpeler mais pas d’apporter toutes les réponses. En effet, la lecture des témoignages de la famille vient quelque peu moduler l’optimisme affiché par les représentants de Carmat durant les semaines qui avaient suivi la transplantation cardiaque ainsi que les communiqués de l’hôpital faisant état d’un patient en plutôt bonne condition qui (6) « s’alimente et ne nécessite plus d’assistance respiratoire continue. Il se soumet volontiers aux exercices de rééducation physique qui lui permettent d’augmenter progressivement son périmètre de marche ». Or, les propos des proches évoquent plutôt un homme rapidement mal en point au point d’être placé en réanimation, trachéotomisé et placé sous respirateur artificiel. Pas vraiment l’image projetée d’un homme jouissant pleinement de son cœur tout neuf !
Conclusion – Le silence n’est pas d’or !
Face à ces versions quelque peu divergentes, Carmat a alors choisi de se replier dans un silence uniquement rompu par deux communiqués émis le 4 mars et le 17 mars pour marteler que l’essai clinique du premier cœur artificiel allait se poursuivre en France et que les investigations autour du cœur défaillant étaient encore en cours. S’il convient effectivement d’avancer avec la plus grande prudence tant que les conclusions médicales et techniques ne sont pas complètes, le quasi silence radio de Carmat est un pari épineux pouvant laisser accréditer diverses interprétations.
Plus vous laissez le champ libre, plus le risque est grand de voir s’imposer une perception globale pas forcément cohérente avec la réalité avérée des faits. Pour Carmat, c’est d’autant plus crucial que sa réputation ne repose pas uniquement sur des considérations d’innovation technologique et thérapeutique. Depuis le début, elle se nourrit d’une histoire émotionnelle forte et universelle. Comme le fait remarquer l’analyste financier Daniel Anizon pour expliquer l’engouement des petits et grands investisseurs dans Carmat, le projet de cœur « est une histoire qui parle à chacun ». Il s’agit donc que cette histoire continue à battre dans le bon sens plutôt que s’emballer librement à coups de conjectures se heurtant au mutisme de Carmat.
Sources
(1) – Site Internet officiel de Carmat
– (2) – Sandrine Cabut et Chloé Hecketsweiler – « Bataille de communication autour du cœur artificiel de Carmat » – Le Monde – 20 mars 2014
– (3) – Anne-Sophie Jacques – « Les court-circuits de la com’ de Carmat » – Arrêt sur Images.net – 22 mars 2014
– (4) – Ibid.
– (5) – Sandrine Cabut et Chloé Hecketsweiler – « Bataille de communication autour du cœur artificiel de Carmat » – Le Monde – 20 mars 2014
– (6) – Ibid.
– (7) – Ibid.