Dirigeants : Le communicant doit-il être le bouc émissaire d’une crise réputationnelle ?

S’il est bien une situation où le communicant peut vite se retrouver sur un siège éjectable ou voué aux gémonies par son client ou son dirigeant, c’est bien lorsque la crise commence à poindre. De lui, on attend alors tout, y compris qu’il éteigne derechef l’incendie médiatique qui s’annonce même s’il n’est que muni d’un seau d’eau. Récemment, c’est une professionnelle historiquement reconnue de la communication, Anne Méaux, présidente et fondatrice de l’agence Image 7, qui s’est vue clouer au pilori par certains exégètes éditoriaux pour la catastrophique stratégie de communication de François Fillon pendant la dernière campagne présidentielle ? Vision simpliste ou vraie faute ? Réflexion libre.

Est-ce la rançon du succès ou des résidus du mythe du spin doctor tout-puissant capable à lui seul de transfigurer la réalité et déminer les crises ou les affaires qui s’amoncellent sur la tête d’une figure publique, d’une marque ou d’une entreprise ayant pignon sur rue ? Toujours est-il que le communicant continue d’être associé à une force manipulatoire ou un as de la cosmétique pouvant transformer une 2CV en une Ferrari ou estomper d’encombrantes histoires par la seule force du verbe et de l’agenda médiatique. Ne nous voilons pas la face. Il existe effectivement une catégorie de professionnels qui persiste à jouer avec les lignes, quitte à les franchir sans vergogne. A cet égard, on peut mentionner l’opération d’intox en ligne façonnée par une officine de communication lors de l’OPA du chinois Fosun sur le Club Med pour détruire la réputation de l’autre acquéreur en lice. Ceux qui s’assoient sur l’éthique ou ne s’encombrent guère de préventions déontologiques sont encore bien présents dans le paysage médiatique. Ce sont d’ailleurs souvent les mêmes qui promettent monts et merveilles à des prospects ou des clients pour lesquels un orage réputationnel se prépare. Pour autant, cela fait-il du communicant un animal omnipotent ? Pas si sûr.

Transparence avant tout

AM - Fillon 2017Une récente enquête parue dans le Journal du Dimanche révèle en effet combien il peut être aléatoire d’être le communicant en chef lorsque le produit (qu’il soit un individu, une entité ou une marque) a la tentation de jouer sa propre partition ou de suivre son agenda caché. Cette passionnante investigation de Laurent Valdiguié revient sur les errements de la communication de François Fillon à mesure que les révélations du Canard Enchaîné et quelques autres médias s’accumulent et viennent pourrir l’image du candidat de la droite républicaine à l’élection présidentielle. L’histoire est édifiante car elle souligne avec force qu’un communicant peut vite devenir l’idiot utile ou le bouc émissaire alors même qu’il aura pourtant essayé d’accomplir sa mission au meilleur des intérêts de son client. C’est précisément ce qui est arrivé à Anne Méaux, une figure pourtant chevronnée du milieu de la communication lorsqu’elle a choisi de s’engager dans la campagne de François Fillon.

Au départ, elle adopte pourtant les bons réflexes. Alors qu’elle est sur le point de prendre les rênes de la communication de l’ombrageux Sarthois, elle raconte avoir « posé franchement la question » : « François, est-ce qu’il y a des choses que je dois savoir ! » (1). La réponse du candidat à l’Elysée est sans ambages selon Anne Méaux (2) : « Sans la moindre hésitation, il m’a dit : « Non, Anne, il n’y a rien ». Cette question préalable est paradoxalement souvent oubliée par nombre de professionnels qui foncent d’emblée dans le déballage de la boîte à outils censée réaliser les miracles qui feront d’untel un cheval de course imbattable. Elle est néanmoins fondamentale pour amorcer la relation entre un dirigeant et le communicant qui va piloter sa réputation auprès des parties prenantes. A cet égard, Anne Méaux a agi avec sagacité. Surtout dans le monde politique où l’on sait que nombre d’impétrants ont régulièrement des batteries de casseroles plus ou moins visibles et qui peuvent constituer autant d’obstacles ou de ferments de crise. Cette interrogation est essentielle pour tisser le rapport de confiance et pouvoir ainsi opérer efficacement et intelligemment à l’aune des enjeux, des risques et des opportunités qui existent. En cela, le lien qui unit le communicant à son donneur d’ordre n’est plus ni moins le même que celui qu’un avocat entretient avec le justiciable qu’il défend. Cela implique par conséquent que les choses soient évoquées en toute franchise et pleine transparence. Sinon, grande est la probabilité de bâtir un dispositif bancal ou même à côté de la plaque.

Un duo soudé sinon rien

AM - Meaux FillonCertes, d’aucuns pourront toujours arguer que certains dossiers circulaient déjà sous le manteau dans quelques milieux bien informés au sujet de François Fillon et de ce qui va nourrir son implacable chemin de croix médiatique conduisant à son élimination du 2ème tour de la présidentielle. Et que dans ces conditions, il aurait convenu d’être plus circonspect plutôt que se fier à la parole de celui dont on va gérer la communication. Personnellement, je pense que si l’on commence à travailler dans un climat de défiance avec un client alors autant cesser net la collaboration. Là où les choses se corsent effectivement, c’est lorsque le dit client ne joue pas pleinement cartes sur tables avec son communicant. Pour être en mesure d’anticiper un maximum d’hypothèses et d’options, ce dernier doit être nourri abondamment, y compris en ce qui concerne les sujets délicats. Cet état des lieux est capital. Or dans le cas de François Fillon, décision a été prise de ne rien dire à sa communicante pourtant rompue aux situations de crise les plus sensibles.

De l’affaire des emplois présumés fictifs de collaborateurs parlementaires occupés par sa femme Pénélope et ses enfants pendant plusieurs années à celle des costumes du tailleur de luxe Arny’s offerts par le sulfureux conseiller Robert Bourgi, Anne Méaux n’en découvrira à chaque fois l’existence qu’au fur et à mesure des révélations de la presse. Lorsque le Canard Enchaîné tire une première salve avec ce qui deviendra le PenelopeGate, François Fillon improvise de lui-même sa réponse (3) : « C’est de la misogynie ». Ce qu’un proche du candidat interprète comme la griffe suggérée par la communicante qui se défend aussitôt (4) : « Je n’y suis strictement pour rien. Je ne suis peut-être pas Einstein mais moi aussi, j’ai vu tout de suite que cet argument était désastreux ». Sauf qu’une fois l’embardée commise, il devient très difficile, voire quasi impossible au communicant de rectifier le tir surtout lorsque d’autres éléments viennent s’additionner. Anne Méaux le concède d’ailleurs volontiers (5) : « Bien sûr qu’il fallait anticiper. Ceux qui me connaissent savent bien que je suis pour la transparence, pour tout dire tout de suite ».

Sortir les cadavres du placard

AM - Fillon costumesMalheureusement, ce qu’a vécu Anne Méaux n’est pas un épiphénomène. Combien d’acteurs ont-ils cette fâcheuse et tenace propension de mettre la poussière sous le tapis sans rien dire avant d’expédier dare-dare le communicant de service pour passer l’aspirateur en catastrophe ? A la différence près que quand les événements s’emballent, on ne distingue plus la poussière prestement occultée du nuage médiatique (et dorénavant digital) qui s’ensuit. Il s’enclenche dès lors une course insondable où tout peut côtoyer son contraire comme l’évoque Anne Méaux (6) : « Il faillait déminer un truc par jour, y compris mille choses fausses. On m’a appelée pour savoir si j’avais prêté 50 000 € à Fillon ». Et dans ce chaos où les histoires s’entrechoquent entre faits avérés et fake news colportées, il n’est pas rare de voir le communicant désigné à la vindicte collective. D’être celui qui n’a pas réussi à enrayer la machine infernale à concasser une réputation et fracasser des ambitions. Fataliste, Anne Méaux résume ces semaines infernales où la communication de François Fillon fut étrillée (à juste titre car non ouvertement préparée en amont) (7) : « Dans cette histoire, j’aurai tout appris au fur et à mesure » jusqu’au point d’orgue final de l’affaire des costumes qu’elle juge sèchement (8) : « Les costumes nous ont tués ». Elle appellera d’ailleurs François Fillon pour demander confirmation de la véracité des faits ou pas. Et surprise, ce dernier lui avouera tout en révélant même le nom du donateur !

La calamiteuse communication de François Fillon doit véritablement sonner comme un enseignement majeur pour les dirigeants ou tout acteur amené à avoir une expression publique. Il faut vraiment en finir avec cette croyance stupide qu’occulter des faits (même si ceux-ci ne sont pas encore tombés dans le domaine public) permettra de contourner des crises et que le communicant saura poser les sparadraps magiques. Qui plus est à l’heure des réseaux sociaux où les cadavres dans le placard sont capables de ressusciter avec une vigueur et une viralité dévastatrices. Tenir les communicants à l’écart des points de crispation, des zones d’ombre éventuelles ou autres mines réputationnelles potentielles est le meilleur moyen de plomber une stratégie de communication. La chose n’est certes pas aisée à faire pour le communicant mais il faut oser poser les questions qui fâchent ou mettre sur la table les dossiers qui dérangent avant que le vent ne se lève. Sinon, cela revient à vouloir circonscrire un incendie de forêt muni d’un seul extincteur.

Sources