Web 2.0 : Bad buzz, vous avez dit bad buzz ?
Le « bad buzz » est la grande frayeur tapie dans les réseaux sociaux et prête à déchiqueter n’importe quelle réputation en l’espace de milliers de clics à la seconde. Pour les communicants, c’est la grenade dégoupillée capable de mettre à mal des mois d’efforts pour soigner l’image d’une marque, d’une entreprise ou d’une personnalité.
Durant la 2ème édition du Hub Forum qui s’est tenu les 6 et 7 octobre à Paris, une table ronde a rassemblé plusieurs experts du digital pour décortiquer le phénomène, exemples à l’appui. Le Blog du Communicant 2.0 vous propose une synthèse de ce riche débat. Le « bad buzz » est-il autant à craindre, qui est-il, pourquoi surgit-il et peut-il être évité ? Autant de questions que les panelistes ont évoquées très directement sous la houlette de Thierry Wellhoff, président du Syntec RP.
Un petit clic et tout s’écroule
Pour Warren Buffet, richissime homme d’affaires américains, le constat est sans détours à l’heure des médias sociaux : « Il faut vingt ans pour construire une réputation, il faut cinq minutes pour la détruire ». C’est un fait. Le « bad buzz » peut enflammer la blogosphère (et par ricochets les médias traditionnels) et générer des dommages collatéraux pouvant aller très loin si la posture idoine n’est pas adoptée ou si le temps de latence pour réagir est beaucoup trop lent.
Pour les panélistes de la table ronde du Hub Forum intitulée « #Fail : Bad Buzz & valeurs de l’organisation », l’unanimité est totale. Les risques réputationnels sont montés d’un cran depuis que le Web 2.0 permet à quiconque de s’emparer de la parole et de la diffuser à vitesse éclair pour s’attaquer à une marque, une entreprise ou une personnalité publique. Tous ont cité d’intéressants cas d’étude pour souligner la multiplicité des formes et des impacts qu’un « bad buzz » peut revêtir. En les écoutant, on peut distinguer 6 catégories majeures de « bad buzz ».
Catégorie n°1 : le « bad buzz » réputationnel
Pour quiconque à pignon sur rue, c’est probablement le type de « bad buzz » qui peut durablement affecter l’image d’une entreprise ou d’une marque, rompre la confiance ou l’empathie des parties prenantes, voire dans les pires cas, impacter lourdement les ventes. Ceci est d’autant plus vrai que l’empreinte numérique est la plus puissante des mémoires. Comme cas d’école emblématique, les experts ont spontanément cité les mésaventures de Nestlé et sa marque KitKat qui ont été attaqués en 2010 par l’ONG Greenpeace. Au lieu d’engager la conversation avec ses opposants, la firme helvétique a réagi de façon psycho-rigide soufflant ainsi à ses dépens sur les braises d’un « bad buzz » qui n’en demandait pas temps pour s’embraser (lire à ce propos le billet publié par le Blog du Communicant 2.0, « Nestlé/Greenpeace : pas de pause KitKat sur le Web »).
Dans le même registre, les participants de la table ronde ont évoqué le cas Monoprix. L’enseigne de distribution avait en juillet dernier mis à pied un salarié suspecté d’avoir pris des légumes dans les poubelles du magasin. Une sanction qui a déclenché un torrent de fureur chez les internautes. Les médias s’en étaient d’abord fait l’écho mais la polémique a fortement rebondi sur la toile au point d’amener Monoprix à s’investir dans le débat et de réussir à estomper ce qui aurait pu être un piège létal. Pour une analyse plus complète de ce cas, je vous conseille de visionner le bon billet vidéo de Guy Birenbaum dans sa chronique quotidienne « Deux minutes Net » sur Europe 1.
Le bad buzz de Monoprix par Europe1fr
Catégorie n°2 : le « bad buzz » controverse
Dans cette catégorie, la Toile regorge de polémiques qui éclatent à intervalles réguliers parce que des contenus tendancieux, osés ou tout simplement provocateurs viennent heurter des opinions fortement ancrées, adverses et peu décidées à passer l’éponge sur ce qu’elles considèrent comme une offense ou un contenu de « très mauvais goût ». Les experts de la table ronde ont cité deux cas récents ayant défrayé la chronique pour la virulence qu’ils ont engendrée sur le Web.
Pour le premier, il s’agit de la nouvelle campagne publicitaire d’Eram. Comme thématique de communication, la célèbre marque de chaussures à petits prix a choisi d’appuyer son plan promo autour de la notion de la famille mais en adoptant un ton volontiers trublion à l’instar de ses pubs un brin déjantées qui ont fait son succès d’antan. Dans les visuels de cette année, étaient en effet présentées des familles qui sortent du sacro-saint tryptique traditionnel « papa-maman-enfant » au profit de familles nettement moins conventionnelles. Le résultat ne s’est pas fait attendre et a déclenché un tollé sur la page Facebook de la marque, notamment de la part d’associations catholiques outrées que l’on puisse ainsi jouer avec des valeurs fondamentales.
Dans une veine assez semblable, la marque épilatoire Veet pensait probablement avoir décroché la martingale publicitaire en lançant sa nouvelle campagne baptisée « Mon minou tout doux » et en misant sur une tonalité sexy et décalée. Question bruit médiatique, le résultat a été effectivement au rendez-vous mais pas forcément en termes de qualité des retombées. Devant les remarques outrées des consommateurs sur Facebook, Twitter et le site Web de Veet, l’entreprise a préféré mettre rapidement un terme à la controverse en remisant définitivement au placard la contestée campagne.
Catégorie n°3 : le « bad buzz » résistance au changement
Pour les experts, cette catégorie est plus impalpable et aléatoire. Elle surgit sans prévenir alors que rien ne laisse vraiment présager de l’émergence d’un « bad buzz ». C’est précisément ce qui est arrivé en mars 2011 avec le mythique bubble-gum Malabar. Cadbury, l’entreprise détentrice de la marque décide en effet de changer le logo de son produit. Exit le blondinet aux gros biscottos et place à un petit chat taquin qui serait plus proche du cœur de cible de la marque (les enfants de 8 ans) que le bodybuildé peroxydé de ces 40 dernières années.
A priori, pas de quoi fouetter un chat sauf que c’est un torrent de commentaires virulents et de critiques négatives qui se déverse sur la Toile et les canaux numériques de la marque avec des slogans du style « Vous avez tué ma jeunesse » ! Un déferlement qui n’est pas sans rappeler la fureur digitale que l’enseigne d’habillement américaine Gap avait générée en son temps en voulant modifier de fond en combler son logo.
Toutefois, François Vogel, directeur général de TBWA Smarts, (et qui a géré le cas Malabar) a tenu à relativiser l’attitude à tenir dans ce genre de situation. La réaction de la blogosphère a certes a été violente mais elle a été sans conséquences particulières sur les ventes de la marque. Dans ce type de « bad buzz », il convient à ses yeux de savoir distinguer les simples fans, les consommateurs avérés et les influenceurs notoires avant d’envisager une réplique ou pas. En écho, Lucille Merra, consultante et chercheur en médias sociaux, souligne que le cas Malabar est une manifestation symptomatique de la résistance au changement émanant probablement d’ « aduslescents » nostalgiques de leur costaud blond.
Catégorie n°4 : le « bad buzz » comme arme militante
Sans doute moins fréquent que les premières catégories évoquées ci-dessus, ce « bad buzz » n’en est pas moins redoutable. Il est fréquemment l’apanage d’associations et d’ONG militant pour une cause et n’hésitant pas à recourir à la mécanique extrêmement virale de la Toile pour attaquer ou mettre sous pression une cible désignée. A ce jeu particulièrement machiavélique, l’organisation écologiste Greenpeace est devenue orfèvre en la matière. Depuis sa passe d’armes particulièrement réussie avec Nestlé et KitKat, Greenpeace multiplie les coups d’éclats en offrant à chaque internaute qui veut, toute une panoplie prête à employer (envoi d’e-mails préprogrammés, pages de pétition, fil Twitter dédiée, logos détournées, etc).
Cet été, la marque automobile allemande Volkswagen en a fait l’amère expérience. Alors que la firme de Wolfsbourg menait en coulisses un intension contre le durcisssement de certaines normes environnementales européennes, elle s’est retrouvée assaillie par l’ONG à travers une campagne Web bien huilée et dont on peut lire le descriptif détaillé dans le billet de la blogueuse MadMoizelle.
Depuis, la mobilisation n’est pas retombée. Durant le salon de l’Automobile de Francfort, Volkswagen a dû une nouvelle fois subir les assauts des militants de Greenpeace dans ses concessions automobiles. Feuilleton « bad buzz » à suivre !
Catégorie n°5 : le « bad buzz » fausse rumeur
C’est peut-être le « bad buzz » le plus vicieux à gérer car il éclate subrepticement et peut prendre d’astronomiques proportions s’il n’est pas enrayé à bon escient. Récemment, l’on a ainsi vu des milliers de lycéens et collégiens manifester spontanément par la simple rediffusion d’un message Twitter alarmiste leur disant qu’un projet de réduction d’un mois des vacances scolaires estivales était sur le point d’aboutir. L’info était un tuyau percé mais elle n’en a pas moins précipité les jeunes manifestants dans la rue.
Les experts de la table ronde se sont attardés sur un autre cas qui aurait également pu tourner au désastre s’il n’avait pas été jugulé prestement. Le 11 mai 2011, un incident voyageur se produit sur la ligne 11 de la RATP à la station Porte des Lilas. La RATP informe très vite les voyageurs mais une personne croit malin de tweeter aussitôt sur une collision grave entre deux rames. En l’espace de quelques minutes, la blogosphère s’échauffe en conjonctures et les médias ne tardent guère à se préoccuper de l’affaire. Grâce au monitoring en temps réel, la RATP parviendra à stopper la rumeur en diffusant à son tour des rectificatifs et en identifiant aussitôt celui qui n’était que « l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme qui a vu » ! Pour en savoir plus, lire l’excellent article de Rue89.
Catégorie n°6 : le « bad buzz » salariés
Aux cas développés par les experts du panel, je voudrais ajouter une sixième catégorie sans doute plus sporadique mais qui là aussi, peut-être vecteur de dégâts réputationnels sans commune mesure. Qu’on le veuille ou non et pour diverses raisons, des salariés mécontents peuvent devenir de redoutables machines à « bad buzz » si elles décident de véhiculer des informations négatives ou très sensibles et peu flatteuses sur leur entreprise. Pour bien cerner les enjeux, on peut se référer à ce propos au billet publié sur le blog du cabinet Altaïde.
Le phénomène n’est pas nouveau mais pour les employeurs qui ne sauront pas déployer une communication interne consistante et ouverte, il est fort à parier que les cas de « bad buzz » issus d’employés se multiplieront à l’avenir. En 2006, Nestlé Suisse avait dû affronter un salarié blogueur anonyme qui avait créé un blog baptisé « Nestlé Suisse Real News » pour dénoncer le management totalitaire et irrespectueux de la nouvelle directrice générale. L’affaire avait fait grand bruit car elle mettait au grand jour des comportements inadmissibles et à mille lieues des valeurs managériales prônées par le géant suisse. Après plusieurs mois de billets accusateurs, la directrice générale a fini par être démissionnée et renvoyée à ses chères études.
Conclusion – Le « bad buzz » n’est pas une fatalité
Tous les intervenants se sont accordés sur la nécessité impérative d’intégrer les médias sociaux dans leur stratégie de communication en insistant notamment sur deux points particuliers : 1/la veille numérique pour écouter, repérer et anticiper les signaux faibles pouvant amener une crise et 2/un dispositif pour répondre en temps réel. Or, il n’est nul besoin d’être un grand clerc pour constater qu’une majorité de grandes entreprises demeure encore réticente à l’idée de devenir une « entreprise conversationnelle » et préfère fréquemment rester rivée aux bons vieux canons incantatoires « top-down ».
Il y a encore du chemin en effet avant que les entreprises, communicants, dirigeants et marketeurs en tête, ne s’affranchissent de ces réflexes pourtant obsolètes. Au-delà d’une culture orientée vers les médias sociaux encore globalement faible ou alors restreinte à une vision très descendante, bon nombre d’acteurs notoires ont du mal à se faire à l’idée que les internautes participent désormais pleinement à l’alimentation de leur réputation. En bien ou en mal, ils sont devenus avec le Web 2.0 des vecteurs de réputation tout aussi clés que les beaux messages et les sublimes campagnes ciselés par leurs agences. Le « bad buzz » n’est pas une fatalité et peut même être évité. Encore faut-il avoir la volonté d’écouter et de nourrir la conversation en faisant valoir son point de vue tout en tolérant que d’autres puissent avoir une vue différente ou divergente.
Pour en savoir plus sur les intervenants de la table ronde
– Thierry Wellhoff, président du Syntec RP et l’agence Wellcom (Twitter : @ThierryWellhoff) – Voir son interview vidéo sur le « Bad Buzz »
– Bruno Clément, directeur général adjoint Planning stratégique créatif & digital de l’agence Public Système/Hopscotch (Twitter : @brunoclement)
– Lucille Merra, consultante Médias Sociaux Eurêka et chercheur en sociologie (Twitter : @lucileeureka)
– William Ory, responsable E-réputation de l’agence Wellcom (Twitter : @mr_william)
– François Vogel, directeur général TBWA Smarts (Twitter : @francoisvogel)
Pour en savoir plus sur le Hub Forum
– Le site officiel de l’événement
– L’organisateur, Vincent Ducrey et son ouvrage « Le Guide de l’Influence »
– A lire et à télécharger également, le guide « e-reputation et identité numérique des organisations » édité par le Groupement français de l’industrie de l’information »