Communication, Réputation & Influence : Que retenir de fondamental en 2018 ?

Cette année, pas de fulgurances prédictives à l’agenda du blog ! Au lieu de s’échiner à tracer d’incertaines tendances pour l’année à venir, essayons déjà de repérer quelques enseignements majeurs survenus tout au long de ces 12 derniers mois. Je m’aperçois en effet qu’au-delà des nouveautés qui émergent dans les pratiques de communication, persistent encore bien des trous dans la raquette sur ce qui devrait pourtant être acquis depuis longtemps et considéré comme fondamental pour opérer des stratégies de communication, de réputation et d’influence efficientes. Ce n’est pas encore le cas lorsqu’on feuillette le calendrier 2018.

La dédaigneuse expression « c’est de la com » a plus que jamais de beaux jours devant elle. Je ne m’en réjouis pas personnellement d’autant qu’un grand nombre de professionnels a à cœur de faire progresser le métier et gagner en crédibilité. Malheureusement, 2018 aura à nouveau prouvé que les ficelles éculées ou les emballements « hype » du moment continueront d’être privilégiés par certains acteurs. Malgré les désastres ou les impasses qui s’ensuivent souvent, les déviances et les mythes ont la couenne dure. Espérons que ce petit passage en revue (non exhaustif) puisse contribuer à ce que ces derniers disparaissent. Sinon, c’est encore le rapport de confiance qui s’étiolera. Et sans celle-ci, on tombe alors dans des logiques d’influence binaires à coups de fake news, de trolls digitaux et d’idées simplistes.

Facebook, champion du monde de la communication pourrie

2018 a été une « annus horribilis » pour Facebook. Mais la créature de Mark Zuckerberg ne peut que s’en prendre à elle-même. A l’heure où ces lignes sont écrites, la réputation du n°1 des médias sociaux est largement ternie par les multiples scandales qui ont jalonné son année. Tout a commencé en mars 2018 avec les révélations autour du (feu) cabinet de conseil Cambridge Analytica. Grâce à un lanceur d’alerte, il s’avère que l’officine britannique d’influence a aspiré les données de dizaines de millions d’utilisateurs de Facebook à leur insu et s’en est servi pour promouvoir le programme de Donald Trump durant la présidentielle de 2016 aux Etats-Unis.

Déjà énorme en soi, cette découverte n’est rien au regard de ce qui va suivre. Le New York Times publie une première enquête en juin 2018 qui dévoile la gestion très laxiste et mercantile des données personnelles par Facebook. Des accès privilégiés auront ainsi été accordés à des sociétés comme Apple, Microsoft et Amazon sans parler d’acteurs russes. En octobre 2018, la crise s’accentue. Le Parlement britannique met en ligne une série de mails internes à la société. On y apprend entre autres que Mark Zuckerberg comptait exploiter les données de ses utilisateurs en les vendant tout en assurant une surveillance renforcée des applis maison fonctionnant sur Android pour capter toujours plus de données. Une onde de choc qui sera de surcroît assortie d’autres défaillances comme le cyberpiratage de 50 millions de profils Facebook, le gonflage abusif des statistiques d’audience des vidéos sur Facebook ou l’exposition accidentelle des photos privées de 6,8 millions d’utilisateurs.

Devant ce tsunami réputationnel, on aurait pu croire que Facebook ferait preuve d’autant d’avant-gardisme dont il se vante régulièrement pour sa technologie et ses applications. Pourtant, c’est une rocambolesque et pitoyable stratégie de communication qui sera déroulée. Elle commence avec les auditions de Mark Zuckerberg devant des parlementaires américains puis européens. Le n°1 de Facebook va parvenir à royalement enfumer une assistance certes remontée mais pas vraiment pétrie de culture digitale. « Zuck » s’en sortira en multipliant les silences et les non-dits, en distillant des réponses dilatoires et en parsemant des éléments de langage qui datent de Mathusalem.

De Charybde en Scylla

En coulisses, c’est néanmoins l’alerte maximale au sein de la direction générale et des équipes de communication. Tous sont conscients malgré tout que les rebonds incessants affectent durablement l’image de l’entreprise et des services qu’elle propose. Alors comme souvent dans les crises mal gérées, on cherche un bouc émissaire qui serait à l’œuvre derrière cette décapilotade réputationnelle. Le coupable est tout désigné : un magnat des affaires dénommé George Soros qui a souvent tenu des propos très acerbes envers Facebook. L’entreprise mandate un cabinet d’affaires publiques pour faire du « dark PR » comme le révèle le New York Times (1) : « Madame Sandberg a supervisé une campagne de lobbying agressive visant à lutter contre les critiques envers Facebook, à déplacer la colère du public sur les entreprises rivales et à éviter une réglementation dommageable (…) Facebook a fait appel à un cabinet d’études républicain pour discréditer les manifestants activistes, notamment en les reliant au financier George Soros ». Facebook admettra du bout des lèvres huit jours plus tard.

Ce qui n’empêchera le « F » des GAFA de se livrer une dernière opération de communication totalement décalée et stupide. Le 13 décembre, Facebook ouvre benoîtement une boutique éphémère en plein cœur de New York. Objectif : expliquer aux passants comment régler leurs paramètres de confidentialité sur Facebook. Khaliah Barnes, responsable des questions de confidentialité chez Facebook, justifie l’action (2) : « Nous savons que les gens ont des questions sur les données personnelles et les publicités sur la plateforme, on s’est dit que c’était un excellent moment pour les rencontrer en personne ». Surréaliste !

Photo Meira Gebel/Business Insider

Au regard de cette débâcle réputationnelle gérée en dépit du bon sens et en recourant à des actions manipulatoires et/ou cosmétiques, Facebook s’est pris les pieds dans le tapis et dans les grandes largeurs. Ce désastre réputationnel doit absolument inspirer les professionnels de la communication sur les pratiques qu’il est impératif de bannir. Outre l’éthique qui est allègrement piétinée, les impacts sur la perception de Facebook sont terribles. Déjà en avril 2018 (alors à la seule lumière de l’affaire Cambridge Analytica), un sondage réalisé par CBS News et YouGov indiquait que 61% des Américains souhaitent que le Congrès fasse plus en termes de régulation des médias sociaux et des entreprises technologiques comme Facebook. Une autre étude diffusée en septembre 2018 par le Pew Research Center montre que les Américains révisent drastiquement leur attitude envers Facebook. 64% des 18-49 ans ont renforcé les paramètres de confidentialité de leur compte. 44% des 18-29 ans ont carrément supprimé l’application de leur smartphone. A cette défiance croissante chez les utilisateurs, s’ajoutent également d’autres avatars comme des enquêtes administratives aux USA comme en Europe, des amendes salées et un cours de l’action Facebook en chute libre depuis septembre 2018. Alors ? Quand va-t-on ranger la quincaillerie communication à la sauce Facebook qui est encore beaucoup (trop) pratiquée par nombre d’entreprises qui ne veulent pas comprendre que les rapports de force et les exigences sociétales ont changé ?

On se calme avec la frénésie des influenceurs !

Autre fait saillant de 2018 : la course aux influenceurs. Plus un brief ou un plan de communication n’échappe à cette martingale de l’influence. Puisque les Instagramers, YouTubers et consorts ont dorénavant pignon sur rue, les marques et les entreprises redoublent d’efforts et de budgets pour s’arracher ces fameux influenceurs supposés mieux réussir à parler et à convaincre le grand public. Et dans ce domaine, on frise désormais le grand n’importe quoi. On ne compte plus les budgets consacrés à l’acquisition (dans tous les sens du terme) de ces acteurs surgis souvent de nulle part mais capables d’agréger des milliers (voire des millions) de personnes dans des communautés digitales. Blogueuses fashionista, petits pois de la télé-réalité, candidats à la gloire digitale, etc, tous n’en finissent pas de vanter leurs capacités à faire adopter un produit tout en clamant main sur le cœur qu’ils/elles sont indépendants et non-achetables.

La réalité est cependant plus contrastée. Il va falloir commencer à se poser les vraies bonnes questions comme la prise de position remarquée de Keith Weed, directeur de la communication et marketing d’Unilever basé au Royaume-Uni en juin 2018 au festival des Cannes Lions. Deuxième annonceur mondial en termes de budgets publicitaires dépensés, le géant des biens de grande consommation entend combattre la fraude digitale et les influenceurs qui gonflent artificiellement leurs profils pour mieux les monnayer ensuite auprès des marques et des entreprises. Il devient effectivement salutaire d’opérer un tri drastique et pertinent. Oui, il y a de vrais influenceurs qui mobilisent des publics fidèles de par leur expertise et leur originalité. Et puis, il y a les autres qui se contentent d’afficher des métriques affolantes (avec des techniques pas toujours très reluisantes), qui se vendent comme des pots de yaourt pour tweeter, youtuber ou instagramer n’importe quel produit pourvu qu’on les paie, qu’on les invite gratuitement et pour les plus fainéants, qu’on leur donne la becquée avec des textes préconçus.

Le ménage devient impératif. S’il n’est pas accompli, les influenceurs disparaîtront à brève échéance. Les mauvais et les imposteurs mais aussi les authentiques acteurs digitaux qui risquent d’être assimilés par le public à des menteurs, des profiteurs dont l’unique but est une gloriole personnelle et pécuniaire. Et ce raisonnement s’applique également aux programmes d’employés ambassadeurs qui rencontrent de plus en plus de succès au sein des entreprises. Ces dernières ont enfin compris que leurs salariés sont autant de points de contact et de relais qui peuvent aider à nourrir une réputation. A condition de bien le faire et de ne pas sombrer dans les dérives formatées et ridicules comme celles d’Amazon.

Pour estomper sa mauvaise réputation d’employeur au sein de ses entrepôts logistiques, Amazon a déployé l’été dernier aux USA, un petit régiment digital de 15 salariés ambassadeurs sur Twitter. Avec un objectif phare : contrer les détracteurs et valoriser sa politique de ressources humaines appliquée dans ces mêmes entrepôts. Sauf que tout est tellement contrôlé et orienté que la démarche en devient factice. Le caractère authentique d’un salarié ambassadeur se trouve totalement estompé par l’obsession d’Amazon de cadrer stricto sensu et contrôler l’expression de ceux qui travaillent dans ses entrepôts. N’est pas influenceur qui veut !

N’oublions pas non plus ces deux points cruciaux !

Deux derniers points sont enfin à retenir : le phénomène inquiétant et persistant des fake news (ou infox en français académique) et la nécessité pour les marques et les entreprises de faire preuve d’un engagement sociétal qui aille au-delà des purs objectifs commerciaux et industriels. Concernant les fake news, le blog a consacré plusieurs billets sur ce sujet qui revêt une importance cruciale pour tout communicant qui se respecte. Ces « infos » frelatées à dessein ne sont plus seulement l’apanage des politiciens et des Etats. En mars 2018, la prestigieuse revue scientifique américaine Science a publié les résultats d’une étude sur les fake news qui feront date. Et les principaux enseignements donnent plutôt froid dans le dos.

Au chapitre des comportements sur le Web, c’est l’humain qui est bien plus contaminant que les fameux bots souvent suspectés d’amplifier automatiquement et à grande échelle les fake news. Ces humains sont au départ des petits comptes pas forcément hyperactifs et avec une masse relativement faible d’abonnés et d’abonnements. Autre constat : le motif qui conduit au partage relève de l’émotion. Surprise et dégoût étant en tête chez les fake news, alors que les véritables informations inspirent davantage de tristesse, d’anticipation, de joie et de confiance. Ce qui n’est pas sans conséquences notables en termes de volumétrie et de portée des fausses nouvelles. Alors que la vérité est rarement diffusée à plus de 1.000 personnes, le top 1% des cascades de fausses nouvelles touche généralement entre 1.000 et 100.000 personnes. De plus, il faut à la vérité à peu près six fois plus longtemps que la fausseté pour toucher 1.500 personnes. D’où l’absolue urgence de se doter de dispositifs de veille en ligne qui sachent observer les évolutions des communautés et des discours. Sans cette anticipation digitale, nombre de marques et d’entreprises vont se préparer des lendemains compliqués où leur réputation sera mise au supplice, faute d’avoir investi du temps et des ressources dans ces dispositifs.

La réputation sera par ailleurs d’autant plus solide et convaincante si marques et entreprises font preuve d’un engagement sociétal accru. Ce constat n’émane pas d’une lubie soudaine de marketeur ou de communicant pour faire briller sa devanture. Il n’est que le reflet des aspirations plus exigeantes des consommateurs et des citoyens, souvent deux faces d’une unique et même personne. En 2017, une étude d’Opinion Way pour Havas Paris et Paris Retail Week avait mis en évidence que l’utilité économique et sociale de l’entreprise est devenue un critère nettement plus scruté par les citoyens-consommateurs. 79% pensent que les entreprises ont le devoir d’agir pour la société et 64% que c’est une bonne chose qu’elles prennent part au débat public pour défendre les valeurs auxquelles elles croient.

Tout en évitant le « brainwashing » que d’aucuns ont cru qu’il allait passer comme une lettre à la poste, le terrain de l’engagement sociétal est obligatoire. A condition de s’impliquer dans une cause ou un chantier dans lequel l’entreprise est légitime et apporte une vraie valeur ajoutée. En tout cas, la perspective est désormais tracée. Publié au début de 2018, le rapport intitulé « L’entreprise, objet d’intérêt collectif » co-signé par Nicole Notat, ancienne syndicaliste et Jean-Dominique Senard, président de Michelin, met en évidence que la raison d’être des entreprises porte autant sur le rôle social et environnemental que sur le rôle économique. En soi, ce n’est pas totalement une révolution car nombre d’entreprises ont déjà fait de la RSE (Responsabilité Sociétale & Environnement) un levier majeur de leur développement et que des économistes ont appelé à repenser la vocation du modèle capitaliste encore très centré sur le court-terme et les dividendes.

Et puisque c’est l’heure des vœux, essayons de nous promettre qu’en 2019, la communication « bullshit » version Facebook et les influenceurs à deux balles cesseront d’être des pratiques en vogue pour privilégier une approche plus fine avec des marques concrètement engagées et soucieuses de contrer les fake news. Chiche ?

Sources

– (1) – Sheera Frenkel, Nicholas Confessore, Cecilia Kang, Matthew Rosenberg et Jack Nicas – « Delay, Deny and Deflect: How Facebook’s Leaders Fought Through Crisis » – The New York Times – 14 novembre 2018
– (2) – « Facebook s’explique dans une boutique éphémère à New York » – Webmarketingcom.com – 19 décembre 2018