5G : Quels enjeux d’acceptabilité et d’image à relever d’urgence pour les acteurs télécoms ?

Alors qu’elle constitue un saut quantique pour les télécoms mais n’est pas encore déployée commercialement sur le territoire français, la technologie 5G fait déjà face à une fronde sociétale véhémente qui lui reproche pêle-mêle des impacts sanitaires, environnementaux et même comportementaux. Au point pour d’aucuns de remettre profondément en cause l’intérêt de faire évoluer les actuels réseaux mobiles aux normes 3G et 4G vers cette nouvelle génération. Industriels, opérateurs et autorités de tutelle avancent à pas comptés mais ne pourront guère esquiver le débat à terme au risque de crises additionnelles. Analyse.

Si l’actuelle pandémie du Covid-19 a un temps gelé le calendrier du déploiement opérationnel de la 5G en France, elle n’a pas pour autant freiné les ardeurs déterminées des opposants à cette nouvelle technologie de communication mobile. Il est même fort probable qu’un pic contestataire soit de nouveau observé lorsque l’Arcep (Autorité de régulations des communications électroniques) relancera d’ici le deuxième semestre 2020, les enchères (initialement prévues en avril, celles-ci ont été reportées du fait du coronavirus) auprès des opérateurs télécoms pour l’attribution des bandes de fréquence sur lesquelles fonctionnera la 5G tricolore.

5G : un débit contestataire grandissant

A l’instar des normes précédentes 3G et 4G qui ont véritablement chamboulé les usages de la téléphonie mobile au quotidien, la 5G s’annonce encore plus révolutionnaire. Grâce à des débits montants et descendants décuplés et un très faible temps de latence, cette technologie propulse encore plus la société et les utilisateurs dans une connectivité digitale ubiquitaire. Au-delà de pouvoir réaliser des visio-conférences sans faille et avec une netteté incroyable depuis un smartphone ou de télécharger en un clin d’œil l’intégrale d’une série TV, la 5G élargit aussi grandement le spectre des objets connectés comme la voiture autonome, la robotisation accrue de l’industrie ou encore la télémédecine pouvant réaliser des actes de chirurgie à distance.

C’est dans ce contexte de numérisation accélérée que le gouvernement et l’autorité de tutelle, l’Arcep ont lancé fin 2019 un programme d’enchères pour l’attribution de blocs de fréquence radio aux opérateurs télécoms sur la bande de fréquence 3,5 GHz. Avec de surcroît un enjeu économique à la clé puisque l’Etat espère engranger au passage entre 1,5 et 3 milliards d’euros (1). En termes d’attribution des fréquences, l’Allemagne et l’Italie ont déjà un coup d’avance puisque les opérateurs titulaires sont désormais connus avec plus de 6,5 milliards d’euros déboursés de leur part (2).

La propagation du Covid-19 a bouleversé entretemps tous les calendriers. En France, la situation est pour le moment au point mort mais pas les récriminations comme le note Sébastien Soriano, président de l’Arcep (3) : « Beaucoup de gens vous disent : ‘Mais ça sert à quoi, la 5G ? Qu’est-ce que c’est encore que cette technologie qui va encore griller la planète et servir les intérêts des entreprises privées et nous rendre esclaves avec une économie de surveillance ?’. J’exagère un peu. Mais c’est quelque chose qu’on entend de plus en plus ».

Les ondes de la discorde ne sont pas nouvelles

Le haut-fonctionnaire avoue même être sidéré par le fracas des débats que suscite la 5G (4) : « En tout cas, jamais sur la 4G on aurait entendu une telle chose. ». Pourtant, l’assertion relève plus du vœu pieux que de l’observation factuelle. Au fil des progrès et du développement des réseaux de téléphonie mobile (mais aussi des lignes électriques à très haute tension), le sujet des ondes électromagnétiques n’a cessé de prendre de la consistance et d’engendrer des oppositions résolues émanant d’ONG, d’associations écologistes et de collectifs citoyens. Lesquels accusaient les ondes radio d’impacts sur l’environnement et surtout sur la santé humaine.

En 2004, l’association Robin des Toits s’est créée de toutes pièces pour mener le combat contre les technologies sans fil qui englobaient à l’époque le Wifi, la 2G, la 3G, Bluetooth, DECT et le WIMAX (un standard de communication aujourd’hui peu utilisé à grande échelle). Dès le départ, le ton virulent est donné et l’ennemi clairement désigné : la technologie sans fil qui par le truchement de ses antennes-relais provoque des effets délétères sur la santé publique. Pour Robin des Toits, le sans fil est un scandale sanitaire du même registre que l’amiante. De fait, l’association demande l’interdiction de ces technologies tout en s’attaquant aux opérateurs télécoms qu’elle suspecte de collusions financières avec les scientifiques pour que les études ne démontrent rien. Presque deux décennies plus tard, l’antienne demeure invariable.

La grogne à la vitesse de la 4G

Même si Robin des Toits apparaît comme un détracteur très tempétueux s’appuyant sur des rapports scientifiques particulièrement controversés (comme ceux de Bioinitiative), l’association a été rejointe depuis par d’autres acteurs comme Priartem (Pour rassembler, informer et agir sur les risques liés aux technologies électromagnétiques) et Agir pour l’environnement. Des figures scientifiques emboîtent également le pas comme l’astrophysicien Aurélien Barrau ou encore le très contesté Pr Belpomme.

Près de seize années plus tard, le travail de sape de ces anti-radiofréquences ne s’est jamais démenti. Lors de l’apparition de la 4G, le déploiement a été émaillé de critiques. A chaque nouveau chantier, Orange (comme les autres opérateurs) s’est fréquemment heurté à des citoyens soutenus par les associations. Un exemple parmi d’autres en témoigne. En juillet 2013 alors que le n°1 français des télécoms s’apprête à lancer la commercialisation de son offre 4G à Toulouse, des groupes de riverains et de parents d’élèves s’indignent et interpellent la mairie sur l’installation d’antennes-relais nouvelles (5) : « La 4G signifie encore plus d’antennes et une hausse des niveaux d’exposition, alors que les indices pointant le danger des ondes électromagnétiques s’accumulent ». Les mêmes accusent ouvertement les opérateurs de ne pas respecter les seuils légaux d’exposition aux ondes à cause d’antennes qui émettent à leurs yeux beaucoup plus fortement qu’elles ne le devraient.

La polémique ne retombe pas

L’imminente arrivée de la 5G en phase commerciale n’a pas tempéré les ardeurs. Le terrain demeure au contraire toujours aussi sensible. En janvier 2020, Priartem et Agir pour l’environnement ont ainsi déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour obtenir la suspension des textes relatifs au déploiement de la 5G. Motif invoqué par Stephen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’Environnement (6) : « On inverse les choses : on prend la décision et on réfléchit après (…). On ne dispose quasiment d’aucun élément sur les évaluations sanitaires et environnementales ». Si les ONG ont été déboutées en mars par le Conseil d’Etat, elles maintiennent en revanche leur pétition en ligne intitulée « Stop à la 5G » qui a rassemblé à ce jour près de 79 000 signataires.

Autre écho obtenu : celui de l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire). Expert de l’agence, Olivier Merckel estime qu’il existe un manque de données scientifiques sur les effets sanitaires de l’exposition à certaines fréquences d’ondes électromagnétiques. A ce titre, un rapport va être consacré au sujet avec une publication planifiée pour le premier trimestre 2021. Mais avant même d’avoir rédigé son analyse et ses recommandations, l’expert n’hésite pas à dire que seront mis en évidence des « effets particulièrement inquiétants » (7) pour certaines fréquences pouvant entraîner une nécessaire modification des seuils d’exposition.

Quand les fake news s’en mêlent

Dans cette controverse particulièrement vive, certains opposants sont également prompts à s’enflammer pour le moindre argument pouvant mettre en cause la technologie 5G et ceux qui en font la promotion. Y compris en recourant allègrement à l’épandage de fake news sur les réseaux sociaux. C’est précisément ce qu’a fait l’association Robin des Toits sitôt publiée l’ordonnance gouvernementale du 26 mars 2020 prise dans le cadre de la crise sanitaire du Covid-19.

Cette ordonnance assouplit en effet les procédures relatives aux conditions d’exploitation des antennes relais. Objectif : permettre aux opérateurs d’intervenir plus vite sur les infrastructures pour qu’elles soient en mesure d’absorber l’augmentation du trafic lié au confinement des gens. Vu du prisme de Robin des Toits, cela donne une hasardeuse interprétation du dit texte (8) : « il est légitime de penser que cette libéralisation du secteur a pour but de préparer le déploiement de la 5G ». Or, c’est faux. L’ANFR (Agence nationale des fréquences radio) souligne qu’(9) « il s’agit d’une mesure qui permet de reparamétrer le réseau et qui concerne uniquement les fréquences attribuées pour la 2G, la 3G et la 4G. Certains opérateurs ont besoin de plus de capacités à certains endroits ».

Et de fake news, la 5G n’en manque pas depuis que le Covid-19 s’est déclaré. D’aucuns y ont même vu une association évidente des deux comme Thomas Cowan, un obscur généraliste londonien. Dans une vidéo visionnée plus de 400000 fois (et supprimée depuis de YouTube), l’impétrant assure que la 5G a contribué à propager le virus à travers toute la planète sauf l’Afrique qui ne dispose pas de réseau 5G. En omettant allègrement de parler du fait que très peu nombreux sont les pays à avoir aujourd’hui une couverture en 5G opérationnelle !

La 5G attaquée sur d’autres fronts

En plus de la récurrente toile de fond sanitaire qui a toujours émaillé les débats, la 5G soulève néanmoins plus de questions sensibles que la 4G sur deux dimensions. La première est l’environnement. Début 2020, Jean-Marc Jancovici et Hugues Ferreboeuf, respectivement président et directeur du projet du think tank The ShiftProject (qui milite pour une économie décarbonée) ont publié une tribune édifiante dans Le Monde avec une interrogation fondamentale en guise de titre « La 5G est-elle vraiment utile ? ». Dans ce texte, ils estiment qu’avec la 5G (10) « il y a aujourd’hui un consensus pour dire qu’un équipement 5G consomme trois fois plus qu’un équipement 4G, et qu’ajouter des équipements 5G aux sites existants (2G, 3G, 4G) conduira à doubler la consommation du site. Par ailleurs, avec la 5G il faudra trois fois plus de sites qu’avec la 4G pour assurer la même couverture, conformément aux souhaits du gouvernement. Au final, avec ce déploiement la consommation d’énergie des opérateurs mobiles serait multipliée par 2,5 à 3 dans les cinq ans à venir ».

Sans compter l’impact que la 5G devrait entraîner en matière d’équipements électroniques. Selon Frédéric Bordage, créateur du site d’information GreenIT.fr, la nouvelle technologie provoquera l’obsolescence prématurée de centaines de millions de smartphones 4G parfaitement fonctionnels pour faire place à des terminaux compatibles avec le nouveau standard de communication. Autant de conséquences qui se traduiront par une empreinte carbone accrue. Enfin, une deuxième dimension affleure, et c’est là sans doute là le point critique nouveau envers les bonds technologiques : la 5G va renforcer notre addiction à la connectivité en ajoutant à notre vie quotidienne quantité d’objets dorénavant reliés au réseau et avec lesquels nous pourrons aussi communiquer.

Plus de débit, moins d’acceptabilité

Une chose est acquise. Le niveau d’acceptabilité des nouvelles technologies est en train de s’incurver. Dans certains pays comme la Suisse, la Nouvelle-Zélande, des sabotages ont même été commis contre des pylônes hébergeant des antennes-relais. Autant durant ces dernières années, il était encore possible de dérouler un discours empreint de technologisme béat et onirique, autant aujourd’hui, les attentes sociétales ont varié. En plus de l’aspect sanitaire qui perdure, la dimension environnementale est devenue plus prégnante. Le mythe du numérique qui permettait d’épargner des arbres en n’imprimant pas un document sur du papier, a vécu. Il est acquis désormais que le numérique (dans son acception large) est absolument énergivore en termes de capacités de stockage et de transmission. La 5G n’échappe pas à cette règle.

Une remise en cause similaire est aussi enclenchée concernant nos modes de vie devenus tellement dépendants du numérique. Entre connectivité permanente pour son travail et/ou ses loisirs et exigence sans fin de performance et de vitesse, l’humain n’est pas loin d’être devenu ce hamster azimuté qui tourne frénétiquement dans sa roue sans plus savoir se mettre en mode pause. L’arrivée de la 5G et sa puissance de débit inédit commencent à interroger nombre de sociologues, psychologues, médecins mais aussi usagers autour de la question centrale de l’utilité d’une telle célérité technologique.

Quand le discours technophile sature

Même si les débats restent musclés sur la dimension santé des technologies sans fil, les détracteurs ont malgré tout peine à convaincre tant qu’aucune étude scientifique ne sera parvenu à établir une corrélation indéniable entre ces technologies et certaines maladies. Depuis plusieurs dizaines d’années, la littérature médicale s’est considérablement enrichie sur le sujet et aucune preuve irréfutable n’est venu étayer réellement le combat des associations. Opérateurs et équipementiers se retranchent d’ailleurs fort justement derrière cette absence de faits avérés et la législation en vigueur sur l’exposition aux ondes.

En revanche, les discours de ces derniers semblent ne pas avoir pris totalement la mesure des renversements de paradigmes à l’œuvre à l’égard des technologies sans fil. Pour l’instant, ils restent toujours et majoritairement cantonnés sur le rêve technologique, sur l’instantanéité et sur la performance. Pour justifier le passage de la 4G à la 5G, les opérateurs mettent également en avant le risque de saturation des réseaux actuels (un argument qui avait d’ailleurs déjà été brandi lors de la conversion de la 3G à la 4G !). Il n’en demeure pas moins que cette communication loupe le coche pour répondre aux attentes sociétales qui sont de moins en moins éprises de technologies numériques. Un récent article des Echos fait même état de salariés d’Orange qui en interne se montrent ouvertement dubitatifs sur la nécessité de déployer la 5G !

L’effet « waow » ne suffit plus

Qu’on le veuille ou non, les technologies sans fil n’ont plus le profil magique dont elles pouvaient encore se prévaloir il y a une dizaine d’années. A l’époque, la solution viendrait forcément des télécommunications numériques. Si celles-ci ont effectué d’incontestables avancées qui profitent à la société au sens large, elles se doublent désormais d’enjeux environnementaux et humains sur lesquels il n’est plus possible de faire l’impasse. PDG d’Orange, Stéphane Richard a récemment annoncé investir des centaines de millions dans les énergies renouvelables. C’est un premier pas mais qui demeure encore flou pour l’utilisateur final.

Tenir des postures stratosphériques face à des oppositions tenaces, concrètes et récurrentes, c’est s’exposer à terme au rejet de plus en plus massif et à une défiance record, à l’instar de celle qui plombe profondément les autorités politiques depuis des décennies. Environnement et qualité de vie doivent devenir des territoires d’expression plus prononcés chez les opérateurs et plus largement les acteurs industriels des communications numériques. Ne miser que sur l’effet « waow » de la techno est une impasse en formation. Une preuve ? Alors que la 6G n’est encore qu’embryonnaire, elle fait déjà l’objet d’une pétition en ligne exigeant son abandon pour les mêmes motifs qui affectent aujourd’hui la 5G !

Sources

– (1) – Cécilia Di Quinzio – « Tout savoir sur le lancement de la 5G en France » – Stratégies – 22 novembre 2019
– (2) – Ibid.
– (3) – Sébastien Dumoulin – « 5G : les ondes de la colère » – Les Echos – 5 mars 2020
– (4) – Ibid.
– (5) – Xavier Hurtevent – « Toulouse. 4G : pourquoi elle suscite la polémique » – La Dépêche du Midi – 5 juillet 2013
– (6) – M-C.R – « Pétition et recours d’ONG contre la 5G » – Stratégies – 24 janvier 2020
– (7) – « L’ANSES veut en savoir plus sur les effets de la 5G sur la santé » – AFP – 27 janvier 2020 https://www.cbnews.fr/digital/image-anses-veut-savoir-plus-effets-5g-sante-49064
– (8) – « CORONA VIRUS : le gouvernement profite de la pandémie pour déréglementer la téléphonie mobile au risque de l’accroissement des problèmes sanitaires qui y sont liés » – Site Internet de Robin des Toits
– (9) – Vincent Coquaz – « Le gouvernement a-t-il « généralisé la 5G » pendant le confinement ? » – Libération – 13 avril 2020
– (10) – Jean-Marc Jancovici et Hugues Ferreboeuf – « La 5G est-elle vraiment utile ? » – Le Monde – 9 janvier 2020



Un commentaire sur “5G : Quels enjeux d’acceptabilité et d’image à relever d’urgence pour les acteurs télécoms ?

  1. Perrufel  - 

    Les technologies radio sont de plus en plus utilisées pour les objets connectés.
    En // pour se s’injecter en mode sans fil à Internet vous choisissez entre les réseaux mobiles et le Wi-Fi solutions utilisant les ondes électromagnétiques radio,
    Mais une technologie nouvelle basée sur l’usage de Leds ( NF62471) offre désormais une voie complémentaire pour surfer sur Internet en utilisant des ondes optiques moins polémiques.Cela s’appelle le LiFi ou l’OCC.

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