Guerlain : Une crise réputationnelle qui ne passe pas crème !
Début d’année mouvementé pour le parfumeur Guerlain qui fait partie du groupe LVMH. Alors même qu’il annonce le lancement imminent de sa toute nouvelle et révolutionnaire crème réparatrice baptisée « Orchidée Impériale Gold Nobile », cette dernière se retrouve aussitôt sous la mitraille des critiques et des moqueries sur les réseaux sociaux et dans les médias. En cause ? L’utilisation du terme scientifique « quantique » pour vanter les propriétés régénératrices de son onguent ainsi qu’en arrière-plan, l’astronomique coût de son pot de 50 ml fixé à 650 €. La marque cosmétique reste pourtant droite dans ses bottes en dépit d’un risque patent de passer pour un charlatan abusif. Décryptage d’une communication de crise maladroite.
La promesse est pourtant alléchante pour qui veut atténuer le poids des ans que nos dermes finissent par inexorablement accuser. Sur la page d’accueil (première version corrigée depuis) de sa dernière trouvaille en matière de crème, Guerlain n’y va pas par quatre chemins : « L’incarnation d’un luxe rare et exclusif. Orchidée impériale Gold Nobile est la dernière avancée de la ligne de soins complets d’exception Orchidée impériale. Après 20 ans de recherche, Guerlain crée Orchidée impériale Gold Nobile et révèle une nouvelle voie de réjuvénation cosmétique pour la peau née de la science quantique. Enrichie d’une orchidée prodige de lumière, la Gold Nobile, la technologie Gold Quantum aide à restaurer la lumière quantique d’une cellule jeune et amplifie la réjuvénation de la peau sur les signes marqueurs de jeunesse et de lumière ». Ce texte assez sidérant n’émane pas d’un marabout comme il en existe quantité sur Internet mais d’une marque célèbre détenue par un non moins célèbre empire industriel français.
Autopsie d’un bullshit marketing
C’est précisément ce charabia à mi-chemin entre verbiage « new Age » et vague promesse scientifique qui va mettre la puce à l’oreille à G Milgram, un youtubeur de 166 000 abonnés qui s’amuse depuis 2020 à démonter les trucs abusifs et pseudo-scientifiques de bonimenteurs et d’escrocs en tout genre qui prétendent soigner divers maux, notamment à partir du quantique !
Le 2 janvier 2024, il met en ligne une édifiante vidéo qui décortique le fameux concept quantique tant vanté par Guerlain sur son site Web. L’origine de son intérêt tient à des documents marketing internes à la marque qui lui ont été confiés anonymement par courriel courant 2023. Il s’est alors attaché à lire les différents fichiers argumentaires visant à fixer les éléments de langage du dit produit révolutionnaire. La lecture est assez décoiffante. Le mot « quantique » est assaisonné à toutes les sauces pour bien mettre en valeur la découverte scientifique que Guerlain vient d’achever. En résumé, grâce à sa technologie Gold Quantum, la lumière quantique appliquée à la cosmétique anti-âge via une orchidée prodige, agit alors à l’échelle de l’infiniment petit pour restaurer les ravages dermatologiques du temps.
La deuxième partie de la vidéo est alors implacable. Soucieux d’objectiver son sentiment d’être en face d’une gigantesque arnaque, G Milgram consulte et interroge une dizaine d’experts et de chercheurs spécialistes en physique quantique pour savoir si le discours enchanteur de Guerlain est scientifiquement crédible. Les multiples réponses étrillent littéralement le baratin marketing qu’un des répondants qualifie de « jargon quantumo bullshit » ! Pire encore, les 20 années de recherche mises en avant par la marque n’ont produit aucune publication scientifique dans une revue de référence. Sur le site, Guerlain se contente tout juste d’invoquer des tests instrumentaux et une évaluation clinique par un dermatologue, 2 fois par jour pendant 2 mois en Chine. Sans même fournir un quelconque chiffre ou repère.
L’improbable réaction de la marque
Sitôt publiée, la vidéo affole les compteurs sur les réseaux sociaux trop heureux de tourner en dérision et de critiquer de manière acerbe la potion magique de Guerlain qui ressemble désormais plus à un attrape-gogo à 650 € le pot de 50 ml. Sur le site officiel de la marque, les internautes sont nombreux à déposer des commentaires hilarants et mordants pour railler la pépite quantique de Guerlain. Une volée de bois vert qui va même attirer l’attention d’Etienne Klein, le renommé physicien et philosophe des sciences ! Interpelé par l’utilisation du terme « quantique », celui-ci va diffuser plusieurs tweets grinçants comme (1) : « J’ai d’abord cru à un canular, mais non : une marque dit avoir créé une crème chère en utilisant une « nouvelle voie de réjuvénation pour la peau née de la science quantique ». J’entends d’ici les cadavres de Schrödinger, Dirac et Heisenberg faisant des rotations dans leur tombe » avant de conclure sèchement (2) : « J’attends que des gens de Guerlain nous expliquent par le menu et sans se payer de mots fumeux empilés les uns sur les autres en quoi leur crème est « quantique »… ».
La marque encaisse mal les persiflages au point de demander aussitôt (via une déclaration à l’AFP) au youtubeur G Milgram de retirer sa vidéo. Motif : les documents utilisés sont confidentiels et relèvent du secret des affaires. Cette initiative fatale qui relève pourtant du bien connu effet Streisand, va aussitôt produire le résultat inverse et attiser la curiosité d’autres internautes, G Milgram ne se privant pas au passage de communiquer à son tour sur l’exigence de censure du parfumeur cosméticien. Le buzz va d’autant plus enfler que dans le même temps, Guerlain s’évertue à supprimer les commentaires narquois et défavorables que des internautes déposent sur son site. Comme en pareille occasion, les médias vont alors embrayer à leur tour et narrer les mésaventures réputationnelles de Guerlain avec sa crème plus perlimpinpin que quantique.
Opération nettoyage du mot mais pas du concept !
De guerre lasse, la marque baisse quelque peu pavillon. Elle finit par apporter des éléments de réponse le 4 janvier (3) : « La société a pris acte des interrogations ou risques de confusion autour de l’utilisation du terme quantique. Guerlain, attachée à la bonne compréhension de ses messages et de sa recherche, a donc décidé de repréciser sa communication afin de lever toute ambiguïté ». Aussitôt, le vocable « quantique » est expurgé du site dédié à la nouvelle crème. Voilà pour la reprécision de la communication. A ceux qui lui reprochaient l’absence de crédits scientifiques, elle précise ensuite que sa gamme (4) « s’appuie sur des avancées scientifiques importantes dans le domaine de la biologie quantique appliquée aux cellules cutanées, avec des résultats démontrés» en collaboration avec des biophysiciens de l’université Palacky, en République Tchèque » et invite chacun à prendre connaissance des travaux sur une page Web dédiée.
Le tout avant de conclure avec un zeste de mauvaise foi que Guerlain n’entend pas pour autant abandonner l’utilisation du terme « quantique » en arguant le fait que (5) « le domaine de la biologie quantique est un champ d’investigation scientifique récent et reconnu. Elle a mis en évidence que les cellules vivantes émettent, au-delà des molécules, des particules bien plus petites, des photons ou UPE (Ultra-weak Photon Emission). Ces photons sont les constituants élémentaires de la lumière ». Autrement dit, comment rétropédaler sans se déjuger malgré les remarques imparables des scientifiques spécialistes du quantique recueillies par G Milgram.
Un regrettable charabia
Ce n’est certes pas la première fois que la cosmétologie se fait pincer publiquement en train de mordre des lignes blanches et d’allégrement inventer des allégations oniriques mais fallacieuses. Pour appâter le chaland et jouer avec nos émotions face au vieillissement, on ne compte plus les acteurs du secteur qui bricolent d’entiers lexiques à forte résonnance scientifique et à grand renfort d’innovation technologique. Le 17 novembre dernier, la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) publiait à nouveau un article où elle énumérait les très nombreux cas de figure où l’industrie cosmétique joue en permanence avec les mots et les allégations qui souffrent souvent d’un manque patent de justifications concrètes.
L’anecdote Guerlain vient malheureusement enrichir le catalogue des déviances. A force de vouloir vendre du rêve, on en oublie (parfois très cyniquement) la réalité mais également l’éthique professionnelle de la communication et du marketing. Il est regrettable qu’une marque aussi singulière et légendaire comme Guerlain se prête à un tripatouillage digne de ces gourous guérisseurs qui pullulent et s’arrogent des pouvoirs de soins inexistants. Ce type de pratique est communément voué à nourrir des crises qui ne jouent pas en faveur de la réputation de la marque et de l’entreprise. Reste à espérer qu’un autre acteur n’aura pas prochainement l’idée saugrenue de vouloir lancer la toute première crème conçue à base d’intelligence artificielle. Au train où vont les choses, plus rien n’est surprenant !
Sources
– (1) – Tweet d’Etienne Klein – 2 janvier 2024 à 20h36
– (2) – Ibid.
– (3) – DSG – « Guerlain réagit face à la polémique sur sa crème «quantique» – Stratégies – 4 janvier 2024
– (4) – Ibid.
– (5) – Ibid.
Voir la vidéo de G Milgram en intégralité (20’)