Pétitions en ligne : Tendance durable ou science-fiction ?
La pétition en ligne est-elle la nouvelle arme d’influence face à laquelle les pouvoirs et influenceurs dévissent progressivement de leur piédestal séculaire au profit de groupes organisés et très efficaces ? Sans jouer les pythonisses « low cost », cette tendance lourde a de fortes chances de se consolider et de s’amplifier en 2013 et au-delà. Etat des lieux d’un phénomène à comprendre et intégrer d’urgence dans les stratégies de communication.
Plus aucune thématique n’échappe à la mobilisation de ces bataillons numériques. Qu’il s’agisse d’une sordide histoire de viol collectif dans l’Ohio dont s’emparent les Anonymous pour trouver les coupables ou d’une pétition mondiale portée par l’organisation online Avaaz pour faire accéder la Palestine à un nouveau statut à l’ONU, n’importe quel sujet est susceptible de tomber dans l’escarcelle de ces militants qui entendent faire valoir leurs opinions et peser autant que les tenants classiques des pouvoirs politiques, économiques, sociaux et médiatiques. Avec un penchant certain pour la pétition 2.0 !
Les rapports d’influence en pleine évolution
Les anecdotes citées ci-dessus sont loin d’être des cas isolés ou des scénarios de pure fiction issus de l’imagination fertile d’un romancier à la John Le Carré. Alice Jay, directrice des campagnes pour le compte du groupe pétitionnaire en ligne Avaaz est catégorique à ce sujet (1) : « Internet est juste devenu l’endroit où le changement se produit. Vous pensez local, vous agissez local. Vous pensez national, vous agissez national. Vous pensez global, vous agissez global ». Autrement dit, quelle que soit l’échelle considérée, tout le monde peut un jour ou l’autre se retrouver concerné par une action menée depuis la Toile ou bien en déclencher une !
Ce constat est d’ailleurs corroboré par la dernière édition du rapport du Conseil national du renseignement américain intitulé « Tendances mondiales 2030 : des mondes alternatifs ». Tous les quatre ans, le rapport s’attache à cerner les tendances de fond qui bouleversent (ou vont bouleverser) la planète et les rapports entre les communautés y vivant. Un des faits saillants relevés dans l’édition 2012 est l’autonomisation accrue des individus et la montée en puissance de l’influence des groupes informels tandis que le pouvoir deviendra de plus en plus diffus parmi les Etats. Christopher Kojm, président du Conseil, se montre catégorique dans ses observations (2) : « Nous allons voir une démocratisation croissante à la fois au niveau national et international ».
Sous la poussée tectonique des réseaux sociaux et du Web, les règles de l’influence se sont en effet progressivement déplacées. Si auparavant la cartographie des leaders d’opinion était relativement bien balisée avec des politiques aux manettes, des experts attitrés, des patrons d’industrie et des éditorialistes en vue, l’échiquier des acteurs s’est singulièrement complexifié à mesure que l’usage des médias sociaux a gagné du terrain parmi toutes les couches sociales. N’importe qui a aujourd’hui le loisir de s’exprimer, d’interpeler et d’agréger des congénères pour défendre une cause ou dénoncer une dérive.
Quand la technologie libère la parole
Une conséquence immédiate de ce déplacement de l’influence est l’apparition de nouvelles menaces comme le souligne Christopher Kojm (3) : « Avec un plus grand accès généralisé aux technologies létales et perturbatrices, les personnes qui sont des experts dans des domaines spécialisés pourraient vendre leurs services aux plus offrants ». Si Christopher Kojm pense évidemment au cas le plus extrémiste qu’incarne le terrorisme, le paradigme s’applique tout autant en matière de protection de la réputation des entreprises, des marques et des individus et des conflits pouvant survenir.
Dans une interview donnée sur ce blog, Tom Liacas, ex-activiste et directeur général de l’agence Engagement Labs, estimait que dans un avenir très proche (4), « les crises surgissant sur les médias sociaux vont s’accroître et s’amplifier. Avec encore pas mal de « fails » issus des entreprises ! A mon avis, il n’est pas non plus exclu que le rythme des crises soit de l’ordre du quotidien. Pourquoi ? Tout simplement parce que le public apprend de plus en plus et a accès à des sources d’informations démultipliées. Ce même public n’hésite donc plus à s’exprimer et à faire connaître ses mauvaises expériences à l’égard d’un produit, d’un service, d’une marque ou d’une entreprise ».
La question consubstantielle à ce constat qui se pose aussitôt est celle de la provenance de ces menaces réputationnelles. D’où peuvent partir ces incendies qu’on nous promet inéluctablement ? Au cours de la conférence Reputation War qui s’est déroulée le 11 janvier dernier à Paris, Franck Puget, directeur général de Ker-Meur, une agence suisse de conseil en sécurité et intelligence économique, a brossé les grandes typologies d’activistes en ligne. Ancien officier des Forces spéciales et du renseignement économique, il connaît sur le bout des doigts les rouages de l’influence (5) : « Sur le web, les motivations des acteurs ne diffèrent guère du monde physique et peuvent se ranger en trois catégories : la motivation étatique où des services gouvernementaux sont à la manœuvre, la motivation idéologique qu’on retrouve notamment chez les ONG et les associations et la motivation individuelle qui est plus aléatoire car l’élément déclencheur peut varier. Il peut s’agir par exemple d’une vengeance contre un employeur, d’un souci pour exister aux yeux de la société ou de la défense d’intérêts très personnels ».
La pétition 2.0 s’incruste sur le Web
Avec le numérique, la bonne vieille pétition papier noircie de grigris connaît tout particulièrement un regain de vigueur. Sur la toile, les plateformes proposant d’accumuler des signatures pour faire progresser une cause ou alerter sur une dérive essaiment à l’infini. Une des plus notoires est Change.org. Créée en 2007, elle est devenue aujourd’hui une véritable petite multinationale en soi de la pétition en ligne avec une présence sur 4 continents et une centaine d’employés. 2012 fut l’année de son apogée avec près de 2,5 millions de signatures collectées avec l’affaire Trayvon Martin, un jeune Noir assassiné par un vigile en Floride. Depuis, le rythme n’a pas faibli. Change.org recense en moyenne 500 pétitions toutes les 24 heures et 2 millions de membres supplémentaires par mois (6).
En France, Change.org s’est implanté depuis mai 2012 avec des intentions similaires pour faire bouger les lignes et pousser des sujets sociétaux qui risqueraient autrement de passer à la trappe des priorités des décideurs traditionnels. Egalement présent lors de la conférence Reputation War, Benjamin des Gachons, directeur des campagnes pour l’Hexagone, est très clair sur les objectifs poursuivis (7) : « C’est une plate-forme d’émancipation où les moments individuels se transforment en mouvement ».
Plus politique mais tout aussi influente, Avaaz est une autre plateforme qui a réussi à s’immiscer avec fracas et efficacité dans les débats portant sur les Droits de l’Homme, les droits civiques et les questions environnementales. Egalement créée en 2007, Avaaz est établi dans 18 pays mais son terrain de jeu est véritablement planétaire avec plus de 17 millions de membres prompts à cliquer pour amplifier l’écho numérico-médiatique autour d’une cause. A son palmarès, Avaaz revendique notamment le rassemblement de plus d’1 million de signatures pour l’éducation universelle des enfants au Pakistan après la tentative de meurtre subie par la jeune lycéenne de 15 ans, Malala Yousafzai. Tout en réussissant à impliquer au passage les Nations Unies pour répercuter le message auprès du président pakistanais qui finira par signer lui-même !
Les marques aussi dans le viseur
Il serait illusoire de croire que cet activisme signataire ne s’attaque qu’à des sujets d’ordre politique et sociétal. Marques et entreprises doivent également faire face à des adversaires qui traquent leurs moindres allégations mensongères ou ratages inadmissibles. Ainsi depuis onze années, le site Lesarnaques.com s’est fait un devoir de recevoir les doléances de consommateurs floués, de régler des litiges et d’informer le public à propos des e-commerçants véreux et aux pratiques contestables. Actuellement, il flirte avec la barre des 900 000 visiteurs par mois. Outre aider à l’arrestation de petits escrocs sévissant sur les sites de petites annonces, le site a également réussi à faire fermer par voie de justice cinq sites marchands peu scrupuleux grâce aux signalements des internautes.
Ce type d’initiatives connaît là aussi un engouement marqué. En 2009, s’est constitué par exemple l’Observatoire indépendant de la publicité (OIP) qui propose notamment une plateforme Internet où sont passées au crible les affirmations publicitaires des fabricants de produits et de services et des distributeurs. Gare à ceux qui prennent des libertés oratoires dans leurs laïus publicitaires. Le site n’hésite pas à les épingler et à solliciter les internautes pour évaluer et relayer les débordements constatés. Sébastien Vray, coordinateur à l’OPI explique (9) : « Récemment, nous avons épinglé l’enseigne Leclerc qui vante dans une campagne à 4,5 millions d’euros son propre logo « conso-responsable ». Nous préférerions qu’elle se réfère à des labels européens dont les critères sont connus ».
Conclusion – Cela n’arrive pas qu’aux autres !
Dans ce contexte où Mister Nobody est désormais capable de faire plier des organisations, les entreprises ont tout intérêt à remiser au grenier leurs vieilleries communicantes d’une époque révolue. Désormais, pour convaincre, il ne s’agit plus d’affirmer et de séduire mais d’expliquer et de dialoguer. Enoncée ainsi, l’équation a l’air d’une simplicité quasi biblique. Pourtant, combien de communicants et de dirigeants freinent encore des quatre fers, persuadés que leurs antiennes éculées ont encore un avenir que le digital 2.0 ne saurait contester. Pascale Azria, directrice générale associée de l’agence Kingcom et présidente de la commission digitale de Syntec RP s’agace d’ailleurs de cette psychorigidité encore prégnante (10) : « Par absence de culture digitale, ignorance ou volonté de nier la réalité du phénomène, trop d’entreprises françaises pensent encore que « cela » ne les concerne pas, qu’elles ne sont pas réellement exposées. Qu’elles se détrompent ».
Les sceptiques, frileux ou ignares du numérique seraient pourtant bien avisés d’accomplir leur petite révolution culturelle avant qu’un gros « fail » ne leur tombe sur la tête sans crier gare, provoquant ainsi des dégâts d’image pouvant être très coûteux, voire irréversibles. A cet égard, on peut noter que pour une fois, les politiques ont pris un peu d’avance dans la compréhension de cet activisme dégainant les pétitions à tour de bras. Ainsi au Royaume-Uni, le comité qui gère les travaux parlementaires de la Chambre des Communes accepte d’examiner des sujets qui parviennent à mobiliser 100 000 signatures dans l’optique d’un futur débat par les élus.
La Maison Blanche a pour ainsi dire fait encore plus fort en septembre 2011 en instaurant « We the People ». Ce service accessible sur le site Internet du pouvoir exécutif central américain propose à tout citoyen âgé de 13 ans minimum de créer des pétitions pour tout type de sujet. Si une pétition réunit au minimum 25000 signatures, un officiel de la Maison Blanche examinera alors la question posée. L’opportunité a si bien fonctionné qu’elle a abouti récemment à une polémique. Des pétitionnaires ont réclamé la construction de « L’Etoile de la Mort », une réplique de la station spatiale de Star Wars ! Le projet a évidemment été rejeté. Cependant, le seuil de recevabilité d’une pétition a été rehaussé à 100 000 signatures pour éviter des répétitions farfelues ou extrêmes à l’avenir.
L’anecdote souligne en tout cas l’absolue nécessité d’écouter ses parties prenantes et d’engager avec elles, quitte à ne pas les satisfaire sur tous les points mais à au moins les considérer comme des interlocuteurs valables. Il reste de toute évidence beaucoup de chemin à parcourir pour qu’enfin une majorité de dirigeants et communicants ose s’aventurer sur cette « terra incognita ». C’est la condition sine qua non d’une réputation habilement gérée comme le martèle Pascale Azria (11) : « L’écoute donne le pouls de l’opinion, permet de savoir qui parle, de comprendre ses publics, ses attentes, ses ressorts. Savoir comment fonctionne l’influence, qui sont les personnes qui comptent dans le dédale des conversations et tenter d’entendre les signaux faibles pour anticiper et agir en conséquence ». La feuille de route est claire. Il suffit de s’en emparer et oublier les réflexes vermoulus de la com’ de papa !
Sources
(1) – James Ball – « Avaaz : can online campaigning reinvent politics ? » – The Guardian – 15 janvier 2013
(2) – Phillip Kurata – « Le rapport sur les tendances mondiales prédit de grands changements d’ici 2030 » – IIP Digital – 20 décembre 2012
(3) – Ibid.
(4) – « Tom Liacas : Entreprises, humanisez vos communications ! » – Le Blog du Communicant 2.0 – 12 janvier 2013
(5) – Conférence Reputation War – 11 janvier 2013 à Paris
(6) – Philippe Coste – « Pétitions en ligne : tout le monde derrière » – L’Express – 29 avril 2012
(7) – Ibid.
(8) – Rafaële Rivais – « Lesarnaques.com, l’empêcheur empêché » – Le Monde – 31 juillet 2012
(9) – Martine Valo – « Les consommateurs ne sont plus dupes de la publicité verte » – Le Monde – 9 mars 2012
(10) – Pascale Azria – « Etes-vous prêt pour la guerre de la réputation ? » – Stratégies – 10 janvier 2013
(11) – Ibid.
2 commentaires sur “Pétitions en ligne : Tendance durable ou science-fiction ?”-
aurel -
-
vincent -
Faire la révolution pour ne pas finir comme ces pauvres « ologs »(néologisme désignant dans l’oeuvre INISCENE, les métamorphosés néuronaux devenus amorphes)dans cette fiction en libre access:
http://www.iniscene.blogspot.fr/
http://www.petitionpublique.fr/PeticaoVer.aspx?pi=P2013N34803
PETITION POUR FAIRE LA REVOLUTION
petitionpublique.fr
voici ce que j’ai trouvé
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