Clash du président de Huawei contre Elise Lucet : Ce que tout dirigeant devrait retenir

De tous les patrons d’entreprise mis sur le gril dans le récent reportage de « Cash Investigation » sur la face sombre de la fabrication des smartphones, François Quentin, président de la filiale française du constructeur chinois, Huawei, est incontestablement celui qui a réussi le « tour de force » d’amplifier la crise réputationnelle en réagissant de manière saugrenue. Contraint aujourd’hui de piteusement rétropédaler, sa mésaventure doit vraiment inspirer les dirigeants encore pétris de culture communicante psychorigide. Analyse d’un plantage en 3 temps.

Sitôt sa diffusion achevée, l’émission animée par Elise Lucent a fait grand bruit avec les révélations accablantes qu’elle venait de pointer à l’égard des grandes marques de fabricants de smartphones. Interpelée avec ténacité par l’équipe des reporters de « Cash Investigation », l’immense majorité des patrons a oscillé entre la stratégie du blindage mutique à triple tour et les maladroites contorsions oratoires pour tenter d’esquiver l’injustifiable. Une seule marque a daigné affronter la réalité crue par la voix de son dirigeant : Wiko. Ce dernier n’a pas barguigné un instant devant les preuves exhibées et a aussitôt pris des engagements. A mille lieues de la toute-puissance arrogante d’un François Quentin, président de Huawei France bien décidé à éluder et à faire la peau aux journalistes.

Une caricature de communication des années 80

Huawei 2 - autrucheEst-ce dû au fait que Huawei est une multinationale chinoise pour que François Quentin se soit à ce point cru autorisé à brandir le goupillon patronal de l’excommunication médiatique envers la journaliste Elise Lucet venue l’interviewer après moult refus ? Il est vrai qu’en Chine, la communication corporate peine à s’éveiller tant elle est empreinte des bons vieux préceptes censoriaux qu’applique sans discontinuer le Politburo du pays et les entreprises qui y sont liées. La communication de ses fleurons technologiques comme Huawei n’échappe pas à la bride manipulatoire. Tous les journalistes spécialisés télécoms qui ont été un jour invités à pénétrer dans le sanctuaire de la maison-mère à Shenzhen, en savent pertinemment quelque chose. Encadrés comme des écoliers de primaire, ils ne pouvaient que rendre compte du show huilé à leur intention sans jamais pouvoir aller au-delà des artifices déployés.

Même si la filiale française opère sur un marché où le pouvoir de la presse est nettement plus conséquent, il n’en demeure pas moins que la culture communicante du serrage de bretelles reste celle qui prévaut largement. Pas étonnant donc que les équipes de Cash Investigation se soient cassées le nez sur les portes capitonnées de Huawei France lorsqu’elles ont demandé à rencontrer le président de la société pour lui montrer ce qu’elles avaient découvert dans l’usine d’un sous-traitant chinois de la marque : une adolescente de 13 ans passant 13 heures par jour à astiquer des écrans de smartphone Huawei. Il n’empêche que pareille posture de déni était immanquablement l’assurance de se retrouver rapidement confronté à une crise médiatique.

Erreur n°1 : Le déni plein de morgue

Huawei 2 - ITW Cash InvestigationQuiconque ayant un peu exercé au sein de la communication d’une entreprise, sait pourtant pertinemment que le silence ne constitue pas une stratégie de communication viable à brève échéance. Tout particulièrement lorsque des journalistes veulent s’entretenir avec des porte-paroles pour évoquer un sujet sensible et les faire réagir sur des preuves tangibles. Que l’entreprise s’accorde le temps de la réflexion est concevable. Qu’elle multiplie les manœuvres dilatoires pour espérer amoindrir la volonté des médias, est en revanche une erreur manifeste qu’a d’emblée commise Huawei France. En ne donnant jamais aucune suite aux requêtes réitérées de Cash Investigation, l’équipe dirigeante n’a paradoxalement fait qu’aiguillonner la volonté des journalistes de Cash Investigation d’aller jusqu’au bout et d’obtenir mordicus un début de réponse. Surtout que ceux-ci ne travaillent pas dans l’urgence d’un bouclage d’un JT de 20 heures mais au contraire qu’ils ont plusieurs mois devant eux pour effectuer leurs enquêtes sur le terrain.

Conséquence de ce jeu de cache-cache illusoire : Elise Lucet et son équipe ont repéré dans l’agenda, une intervention publique de François Quentin se tenant au Cercle des Armées à Paris. Une occasion en or pour aller solliciter le réfractaire de service et lui extirper des commentaires. A ce stade, la mécanique médiatique est impitoyable. Conscients de leurs chances minimes d’en savoir plus, les journalistes n’hésitent pas dans ces cas-là à jouer habilement de la caméra. L’irruption filmée d’Elise Lucet procède pleinement de cette technique qui permet au final d’avoir des images choc à défaut d’obtenir des propos cohérents. A cet égard, François Quentin a servi une prestation communicante au-delà des espoirs des journalistes. En feignant l’ignorance devant une figure journalistique parmi les plus connues de la profession et en jouant un rôle de garde-chiourme exigeant une carte d’identité de la part d’Elise Lucet, le président de Huawei France ne pouvait que carboniser son image.

 

Erreur n°2 : Il signe et persiste

Huawei 2 - censureDans le feu de l’action, n’importe qui peut avoir une réaction maladroite et hors sujet. L’essentiel est ensuite d’en prendre vite conscience et d’atténuer ce qui peut encore l’être pour éviter que la polémique n’enfle exagérément. A première vue, François Quentin n’est pas de cette catégorie de dirigeants à faire retomber la pression et prendre un salutaire pas de recul pour mieux jauger la situation.

Sa saillie communicante notablement remarquée (là où son homologue de Samsung Europe s’est esquivé de façon plus agile et sans fracas) a inexorablement suscité la curiosité des confrères de Cash Investigation. Dès le lendemain de la diffusion du reportage, le président de Huawei France n’y coupe pas. Il est sollicité par Julien Bonnet de L’Usine Digitale lors des Assises de l’Industrie à Paris. Ce dernier lui demande de revenir sur les raisons de son irascibilité manifeste envers Elise Lucet. Loin de calmer le jeu, le dirigeant poursuit son pilonnage (1) : « J’ai activé tous mes réseaux et Madame Lucet n’aura plus aucun grand patron en interview, sauf ceux qui veulent des sensations extrêmes ou des cours de Media Training ! ». Des propos incongrus flirtant avec le bon vieux temps de l’ORTF où un coup de fil ministériel suffisait à faire passer un journaliste à la trappe en cas de turbulence patentée !

L’article d’Usine Digitale est aussitôt abondamment échangé sur les réseaux sociaux (près de 600 fois sur Twitter et 500 fois sur Facebook). Du quasi jamais vu pour ce média dont l’article récemment le plus lu ne dépasse pas les 50 interactions. La citation prend alors des proportions catastrophiques d’autant plus qu’on apprend au passage que François Quentin était au courant du problème de travail d’enfant depuis mai 2014 (2), soit un mois avant l’entretien musclé avec Elise Lucet. Dès lors, pourquoi avoir prétendu face caméra n’être informé de rien ? Au regard de la suspicion gravissime d’exploitation d’enfants, une telle rhétorique mensongère plombe durement l’image de l’entreprise.

Erreur n°3 : Le cautère sur la « langue de bois »

Huawei 2 - Tweets François QuentinDevant la controverse qui grossit démesurément, le service Communication sort (enfin) du bois et publie le même jour un communiqué sur sa page Facebook. Dans le plus pur style de la novlangue corporate qui irrigue tant les publications officielles des entreprises, Huawei France reconnaît implicitement les faits mis en exergue par les journalistes de Cash Investigation et assure avoir désormais rompu les liens commerciaux avec l’entreprise fautive (3). Malheureusement pour la marque et l’entreprise, la mise au point intervient nettement trop tard. La confiance est désormais rompue au regard de la teneur très virulente des messages déposés par les internautes. Lesquels ne se privent pas de stigmatiser l’attitude de François Quentin et ses lubies de censure !

De son côté, Elise Lucet, ne tarde guère à réagir à son tour sur la page Facebook de Cash Investigation : « Nous avons lu attentivement le communiqué de l’entreprise Huawei sur son site Facebook. Nous prenons bonne note de la décision du groupe Huawei d’interrompre ses relations commerciales avec son sous-traitant chez qui nous avons découvert du travail d’enfants à Nanchang dans le centre de la Chine. Nous serions d’ailleurs ravis de pouvoir consulter l’audit qu’aurait commandité Huawei et les éléments qui attestent de la fin de leur collaboration avec ce sous-traitant. Le Président de Huawei France a déclaré mercredi 5 novembre : « J’ai activé tous mes réseaux et Madame Lucet n’aura plus aucun grand patron en interview. » Les enquêtes de Cash Investigation se poursuivent ». Autrement dit, les journalistes ne lâcheront rien, pas même devant les menaces excommunicatoires de François Quentin.

Résultat : il faudra encore 48 heures à ce dernier pour enfin faire acte de contrition et mettre de l’eau dans son vin. Sur son compte Twitter, il publie le 8 novembre, deux messages qui visent à desserrer l’étau réputationnel dans lequel il s’est diablement empêtré. Il écrit d’abord ceci : « J’ai été déstabilisé par l’approche de #CashInvestigation. Je respecte le travail journalistique de cette équipe » avant d’enchaîner sur un magistral rétropédalage : « Je n’ai pas l’intention de porter atteinte à la réputation de l’équipe #CashInvestigation et regrette sincèrement ces propos mal exprimés ».

L’ère de la communication « ceintures et bretelles » est révolue

Si le souffle de la crise est maintenant en phase de retomber, la réputation de Huawei France et celle de son président n’en sortent guère grandies. Déjà que l’entreprise avait précédemment fort à faire concernant ses supposés sulfureux liens avec le gouvernement et l’armée de la Chine (lire à cet égard ce billet du blog), voilà désormais qu’elle apparaît comme une société où le déni façon bunker et la bouillie corporate sont les seules réponses apportées face à des atteintes graves caractérisées aux conditions de travail les plus élémentaires et aux droits des enfants.

En essayant malgré tout de passer en force et de balayer d’un revers méprisant les sollicitations journalistiques, Huawei a également « gagné » l’assurance d’être durablement dans le viseur des médias. Nul doute que les enquêtes vont se multiplier dans les mois prochains pour savoir si l’entreprise a concrètement pris des mesures ou s’est au contraire encore fourvoyé dans la communication du « circulez, y a rien à voir ». Il va falloir désormais une sacrée énergie à Huawei France pour parvenir à instaurer un socle minimal de confiance. A l’heure où les ambitions marketing et commerciales de Huawei sont grandes en France et en Europe, il ne faudrait pas perdre de vue que le corps sociétal devient de plus en plus sourcilleux sur la responsabilité sociétale des entreprises.

Sources

– (1) – Julien Bonnet – « Cash Investigation : le président de Huawei France répond à la polémique sur le travail des enfants » – L’Usine Digitale – 6 novembre 2014
– (2) – « Le président d’Huawei se justifie après le reportage de « Cash Investigation » – Le Monde.fr – 6 novembre 2014 –
– (3) – Communiqué Huawei France du 6 novembre 2014 – « Suite à l’émission Cash Investigation, nous souhaitons apporter les précisions suivantes »

A lire également sur le sujet

– Ma chronique sur le Plus du Nouvel Observateur – « Cash investigation : Les marques de portable restent silencieuses – C’est une erreur » – 6 novembre 2014



10 commentaires sur “Clash du président de Huawei contre Elise Lucet : Ce que tout dirigeant devrait retenir

  1. Hassen  - 

    Je trouve abusé la manière dont Elise Lucet a abordé ce patron! Elle l’a abordée de manière violente et spectaculaire juste pour faire de l’audimat et donner l’impression qu’elle est contre le grand méchant loup. Mais au juste a t’elle dit qu’elle est sa marque de téléphone portable? Parce qu’elle interroge son Iphone au debut non?

    1. laloune  - 

      « violente et spectaculaire » ? on a pas dû voir le même reportage:

      – a priori elle ne l’a pas interrogé à coup de matraque façon Jack Bauer
      – spectaculaire : si c’est simplement le fait de s’incruster à un rendez-vous auquel elle n’était pas conviée alors oui, ceci dit l’article montre bien le mépris dont ont fait preuve les services de comm de Huawei en laissant lettre morte les demandes d’interview

      « Mais au juste a t’elle dit qu’elle est sa marque de téléphone portable? Parce qu’elle interroge son Iphone au debut non? »

      là encore une fois on a pas du voir la même chose, regardez et écoutez mieux : est-ce que à un moment les utilisateurs sont montrés du doigt? Si la responsabilité de cette situation n’étaient que dans les mains du consommateur ça ferait belle lurette qu’il n’y aurait plus de problèmes de ce type

  2. cdf  - 

     » Il est vrai qu’en Chine, la communication corporate peine à s’éveiller tant elle est empreinte des bons vieux préceptes censoriaux qu’applique sans discontinuer le Politburo du pays et les entreprises qui y sont liée »
    Ce monsieur Quentin n est pas chinois mais un pur representant de l elite francaise (telecom paris/ direction de Thales puis Huawei). Il n est peut etre a Huawei qu un executant car j ignore quel est son degre de liberte dans la societe (probablement pas tres grand, car Huawei France ne fait que de la vente et ce monsieur ne doit pas parler un mot de chinois -> il est exclu de toute les decisions importantes qui sont prises a Schenzen)

    Pour le reste, on peut que se feliciter de l atttitude hautaine et menacante de ce monsieur (tiens ca me rappelle certains de nos politiciens pris la main dans le sac) car ca va forcer Huawei a s ameliorer alors qu une « bonne » reaction sur le plan de la com aurait permis de laisser perdurer le scandale (qui est ne l oublions pas d exploiter des enfants, pas qu un PDG francais prenne de haut et menace une journaliste)

  3. epcfrench  - 

    Vous êtes ridicule avec votre boycott inutile, car que cela vous plaise ou non les enfants qui travaillent ont besoin de ce travail pour aider leur famille à vivre ! Vous ne comprenez rien et n’êtes certainement jamais sorti de votre pays d’assistés ou les enfants n’ont heureusement pas besoin de travailler !

    Quand à tous ces communicants ils sont tous aussi ridicules que vous car il faudrait mettre pour une fois les choses au clair: OUI il y a des enfants qui travaillent dans la plupart des pays en développement, NON ce n’est pas bien, mais ce n’est pas avec des reportages faits par des idiots qui transposent leur rêgles franco françaises dans le reste du monde que la situation va s’améliorer !

    Cela prendra du temps et seul le développement économique de ces pays permettra d’améliorer la situation.

    1. Olivier Cimelière  - 

      Je crois que vous allez un petit peu vite en besogne dans votre lecture du travail des enfants en Chine. Si économiquement, les enfants ont malheureusement besoin de travailler pour subvenir aux besoins de la famille dans certains pays (au détriment de l’école et des études), on ne peut toutefois pas admettre certaines conditions inhumaines et irrespectueuses. Or c’est le cas précisément dans le reportage de Cash Investigation (13h/jour payés une misère, ceci 28 jours sur 31 par mois).
      Un enfant n’a pas à être traité comme un esclave corvéable à souhait. Si on applique jusqu’au bout votre raisonnement, les petits enfants congolais qui travaillent dans les mines devraient être contents de bosser plutôt que n’avoir rien à gagner comme revenus. J’espère que vous pouvez développer une vision un peu moins expéditive non ?

    2. Onlaperdu  - 

      Néocolonialisme dont la revendication pseudo-assumée n’a pour seul objectif que préserver votre petite vie avec votre petit confort en prélevant le pouvoir de choix de l’utilisateur final au profit d’une multiunationale… Vous travaillez pour qui? ;o)

    3. Poirier  - 

      « Cela prendra du temps et seul le développement économique de ces pays permettra d’améliorer la situation. »

      –> Renseignez avant de debiter de telles aneries : la Chine est un pays developpe dans lequel les mineurs de moins de 16 ans n’ont pas le droit de travailler. Les usines pointees du doigts par le reportage risquent rapidement de se faire epinglees par les autorites. D’autant plus que sous la gouvernance de Xi Jinping, la corruption devient une activite a haut risque.

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