Analyse d’une crise naissante (?) : l’affaire du top model Lauren Wasser vs les tampons hygiéniques Kotex

L’histoire dramatique du mannequin américain Lauren Wasser vient d’être révélée par le site d’information Vice. A cause d’un tampon hygiénique de la marque Kotex, la jeune femme a été atteinte d’une grave et fulgurante infection qui a conduit à l’amputation de sa jambe droite en octobre 2012. Presque 3 ans plus tard, après une longue convalescence physique et morale, elle attaque en justice le groupe américain Kimberley-Clark Corporation, fabricant de la marque incriminée. Analyse d’un cas de figure où l’entreprise pourrait très vite se retrouver sur la corde raide en matière de réputation.

Le 17 juin dernier, Lauren Wasser a décidé de sortir du silence dans lequel elle s’était murée jusque-là. Au site d’information en ligne Vice, elle a partagé en détails et sans concession, son poignant récit de trois années d’un calvaire qui a démarré dans la nuit du 3 octobre 2012. Ce soir-là, le top model de 24 ans alors en vogue dans son métier et par ailleurs basketteuse accomplie, est prise de forte fièvre et de douleurs insupportables et s’écroule dans son lit. A cette période, elle est également en pleine menstruation et utilise comme à son habitude depuis ses 13 ans des tampons hygiéniques Kotex Natural Balance. Sa mère qui s’inquiétait de ne pas avoir de nouvelles, appelle la police qui découvre alors la jeune femme inanimée et avec plus de 41°C de fièvre (1). Hospitalisée d’urgence, les médecins diagnostiquent un Syndrome du Choc Toxique (SCT) qu’un tampon peut parfois engendrer en favorisant le développement d’une toxine pouvant aller jusqu’à la gangrène. D’où la décision du corps médical d’amputer Lauren Wasser pour lui sauver la vie. Trois ans plus tard, elle porte l’affaire devant la justice américaine et réclame plus de transparence en termes d’information sur les risques sanitaires des tampons.

De quels arguments favorables disposent Kotex et son fabricant ?

Kotex - packagingBien que pour le moment, le service communication du groupe Kimberley-Clark Corporation se borne au « traditionnel » refus de commenter une enquête judiciaire en cours suite à la plainte déposée par Lauren Wasser, la lecture détaillée des sites Web de la marque Kotex montre que celle-ci n’élude nullement le risque de SCT lié à l’usage régulier de tampons hygiéniques. Qu’il s’agisse de la version américaine ou française de la marque, les informations médicales sont relativement claires et assez fournies pour se forger une compréhension minimale de la conduite à tenir pour éviter des complications.
Les sites insistent par ailleurs qu’un tampon doit être en moyenne changé à des intervalles réguliers compris entre 4 et 6 heures.

Un point contradictoire avec le récit de Lauren Wasser où il s’avèrerait que le tampon était porté depuis plus de 10 heures. Or, même si le risque de SCT est généralement estimé à 1 femme pour 100 000, les spécialistes recommandent de ne pas excéder les 6 heures et de changer de tampon pour la nuit (2). Dans le cas de Lauren Wasser, il semblerait que le port excessif du tampon ait pu favoriser la propagation de la toxine bactérienne. Laquelle est connue et étudiée par le corps scientifique depuis 1978 avec l’apparition des premiers tampons hygiéniques sur le marché. Dans les années 80, la marque Rely d’un autre acteur du secteur Procter & Gamble, avait d’ailleurs provoqué plusieurs décès à cause d’une cellulose en gelée contenue dans le produit et favorisant les microbes (3).

Un bien étrange silence de la marque

Photo prise par Jessica Rovero

Photo prise par Jessica Rovero

Même si la touchante histoire de Lauren Wasser n’a pas encore atteint un pic médiatique important, l’entreprise demeure étonnamment muette sur le sujet alors même que les articles se multiplient particulièrement dans la presse féminine et ceci dans tous les pays. Sans parler de la compagne photographe de Lauren Wasser, Jennifer Rovero qui utilise désormais son compte Instagram pour publier les photos de son amie avec sa prothèse apparente. Un compte suivi actuellement par 76 000 abonnés dont 8000 ont déjà « liké » les clichés abrupts d’un corps mutilé.

En dépit de ces premiers signaux faibles et de la reprise progressive du sujet dans les médias étrangers, il est impossible de trouver trace de la moindre allusion à l’affaire Lauren Wasser. Qu’il s’agisse des réseaux sociaux et des sites Web liés à la marque Kotex ou du site corporate de la maison-mère, aucune information officielle n’a été diffusée à l’heure où ce billet est rédigé (soit 6 jours après les révélations de Vice). Sauf à avoir discrètement opéré un nettoyage drastique sur le Web, la marque Kotex s’en sort néanmoins relativement bien pour le moment. Sur les réseaux sociaux en particulier, l’émotion se cristallise avant tout autour du récit de la jeune femme et des photos montrant son handicap. Sur Twitter, un hashtag (#LaurenWasser) est régulièrement alimenté sans toutefois atteindre une intensité digne d’un bad buzz. La marque est quant à elle citée plus sporadiquement.

Une affaire destinée à faire pschitt ?

Kotex - Press releaseCertes, Lauren Wasser ne jouit pas de la notoriété d’une Cindy Crawford ou d’une Laetitia Casta. L’impact médiatique est de fait atténué et se cantonne pour l’instant aux publications féminines et « people ». Néanmoins, à force de jouer la montre et l’absence de déclarations officielles, le groupe Kimberley-Clark Corporation prend un risque réputationnel non négligeable. Ceci d’autant plus qu’en fouillant un peu dans les archives de la « newsroom » en ligne du site corporate, on peut lire un communiqué émis le 4 septembre 2012 (soit juste un mois avant les faits survenus à Lauren Wasser) où l’entreprise avertit qu’elle procède à un retrait de plusieurs références de ses tampons dont le Kotex Natural Balance (celui utilisé par la jeune femme). Motifs avancés : imperfections des matières premières, suspicion de présence de particules métalliques et niveau accru de bactéries. Bien qu’aucune plainte à l’époque n’ait été enregistrée selon la société, le retrait se voulait préventif. La grande proximité des dates (qu’aucun média n’a surprenamment pas relevé dans ses articles) entre les deux événements pourrait néanmoins conduire à des investigations supplémentaires qui mettraient alors l’entreprise sous pression.

Ce modèle de crise fonctionne en tout cas un peu comme les volcans à lente éruption où l’on observe une intensification de l’activité magmatique sans que l’explosion ne se produise pour autant de suite. Dans l’affaire Kotex, il ne faudrait pas grand-chose pour que le dossier de Lauren Wasser bascule et prenne une toute autre ampleur comme par exemple le soutien public d’une célébrité féminine, d’une association médicale engagée, voire pire encore, des témoignages d’autres cas de victimes utilisant le tampon en question. Il est vrai que la situation est délicate pour Kimberley Clark. Sur un sujet aussi intime et émotionnel, la communication est toujours un exercice de funambulisme aléatoire. Le fait d’être en plus une immense multinationale (42 500 employés dans 37 pays et 21,2 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2013) n’est précisément pas un atout aux yeux de l’opinion publique toujours prompte à clouer au pilori les grandes entreprises sans toujours tenir compte de tous les faits.

Quelle issue possible ?

Kotex - TwitterA ce stade, il serait prétentieux de déjà décrire un scénario inéluctable tant les paramètres peuvent varier et qu’on ignore également encore certains autres éléments qui peuvent conférer une toute autre coloration au dossier. Une chose est en revanche certaine. S’il est établi par la suite que le tampon est réellement déficient (malgré un usage semble-t-il trop long de la jeune femme), l’entreprise devra alors agir avec des mesures concrètes, notamment à destination de Lauren Wasser d’une part, et en supprimant la gamme en question d’autre part.Le groupe Kimberley-Clark ne peut en aucun cas laisser la moindre zone de défiance s’instiller au risque de contaminer la perception des consommateurs envers d’autres marques comme Kleenex mais encore les couches-culottes Huggies et Pull-Ups qui touchent à un domaine encore plus sensible (voire irrationnel) : l’enfance. Jusqu’à présent, le groupe américain jouit plutôt d’une bonne réputation avec des prix honorifiques comme « Great Place To Work » régulièrement attribués. Cependant, un retournement ou une même disruption d’image est possible si l’affaire était amenée à prendre de l’ampleur médiatique. La psychose pourrait alors s’installer et dans un tel contexte, la grosse entreprise est toujours le bouc émissaire tout désigné.

 

Sources

– (1) – Tori Telfer – « Toxic Shock: Why This Woman Is Suing a Tampon Company After Losing Her Leg » – Vice – 17 juin 2015
– (2) – Laurène Lévy – « Syndrome du choc toxique : une mannequin amputée à cause d’un tampon hygiénique » – Journal des Femmes – 23 juin 2015
– (3) – Tori Telfer – « Toxic Shock: Why This Woman Is Suing a Tampon Company After Losing Her Leg » – Vice – 17 juin 2015