United Airlines : Quelles leçons tirer du crash d’une communication de crise partie en vrille ?

Il a suffi de deux vidéos postées sur Twitter montrant un passager en train de se faire brutalement évacuer du vol 3411 Chicago- Louisville affrété par United Airlines pour que la réputation de cette dernière vole en éclats dans le monde entier. Surtout lorsque le PDG de l’entreprise en rajoute une couche en adoptant d’abord un ton comminatoire qui fleure bon le formulaire juridique avant d’enfin s’excuser platement 48 heures plus tard devant les turbulences médiatiques et digitales secouant la compagnie aérienne. Etait-ce évitable ?

Au départ, tout s’enclenche à cause d’une horripilante pratique mais très commune dans le monde du transport aérien : le surbooking. Autrement dit, la compagnie vend plus de billets qu’il n’y a de sièges disponibles dans l’appareil pour s’assurer d’un taux de remplissage maximal et limiter ainsi les fauteuils vides (et non-rentables) à cause de passagers qui annulent, changent ou ne se présentent pas. Quiconque voyage régulièrement en avion s’est forcément retrouvé un jour à ne pouvoir embarquer malgré un billet dûment payé et enregistré.

Tollé général sur le vol 3411

United - banniere communicationLe 9 avril dernier, c’est exactement cette scène qui s’est noué à bord du vol 3411 au départ de Chicago. United avait besoin de libérer quatre sièges pour des passagers prioritaires. D’après certaines sources (1), il s’agissait d’employés d’United devant se rendre à Louisville, la destination finale. La compagnie procède alors à un tirage au sort qui désigne 4 passagers déjà installés mais devant quitter l’appareil séance tenante. Les trois premiers s’exécutent tandis que le quatrième refuse catégoriquement arguant qu’il est médecin et qu’il a des patients à voir impérativement. A la demande du commandant de bord (selon les procédures en vigueur), des officiers de sécurité interviennent, empoignent manu militari le réfractaire et le traînent sans ménagement par terre pour l’évacuer.

Le débarquement de passagers est un fait qui survient quasi quotidiennement, la plupart du temps pour des problèmes de surréservation ou alors de passagers passablement excités. Le Département des Transports américain indique d’ailleurs qu’en 2016, United a procédé à ce genre d’opération 3765 fois sur un total de 86 millions de passagers (2). Près de 62900 autres ont en revanche accepté de partir d’eux-mêmes moyennant indemnisation de la compagnie aérienne. L’immense majorité de ces cas (et notamment ceux sortis de l’appareil sans leur consentement) n’a pourtant pas suscité un bad buzz planétaire. Dès lors, pourquoi cette affaire a particulièrement polarisé les médias sociaux et la presse ?

Pourquoi autant d’ampleur ? 3 raisons

United - Tweet NVBLe premier point à relever est qu’United Airlines est historiquement une entreprise tatillonne et plutôt abrupte à l’égard de ses passagers. En l’espace de 4 ans, la compagnie aérienne s’est distinguée à plusieurs reprises par des décisions peu appropriées. A Noël 2013, 160 voyageurs pour New York ont ainsi dû se résoudre à passer le réveillon dans l’aérogare de Roissy devant l’inaction totale d’United. En mai 2015, c’est une adolescente autiste qui se voit inviter à quitter l’avion car le pilote n’est pas à l’aise à son encontre ! Enfin, fin mars 2017, c’est au tour de deux fillettes d’être expulsées au motif qu’elles portent des leggings qui ne correspondent pas au code vestimentaire que les salariés et enfants de salariés d’United doivent avoir lorsqu’ils empruntent un vol opéré par l’entreprise (3). Ce dernier cas avait pourtant déjà fait l’objet d’un bad buzz sur Twitter. Une passagère émue par la situation ubuesque de deux petites filles avait tweeté à plusieurs reprises, attirant dans la foulée plusieurs médias américains. Mais comme d’habitude, United Airlines s’était borné à répondre succinctement qu’elle ne faisait que se conformer aux règlements aériens applicables.

Ce passif réputationnel, United Airlines n’en a tiré aucun enseignement puisque le pugilat du 9 avril a viré à la polémique mondiale pour deux autres raisons. Cette fois, l’incident entre le passager et la compagnie a été filmé et diffusé aussitôt sur Twitter par deux passagers choqués par la violence physique de l’évacuation. Or, lorsque des images, de surcroît brutales (le médecin avait la lèvre ensanglantée et hurlait) déboulent sur les réseaux sociaux, il y a de fortes chances pour qu’elles constituent un élément déclencheur de crise. Cela n’a pas loupé. La vidéo de Jayse Anspach a été partagée plus de 169 000 fois et celle de Tyler Bridges près de 22 900 fois ! Avec un effet boule de neige que le chercheur belge en réputation digitale, Nicolas Vanderbiest, estime être un « record » en la matière : 1,9 millions de tweets ont circulé au sujet de cette crise (plus du double de l’attentat au camion-bélier de Stockholm).

United - weiboUn autre facteur est également à intégrer pour expliquer l’impact phénoménal de la crise United. L’homme qui est exclu sans aucun ménagement est un médecin d’origine asiatique et portant de nets stigmates physiques lors de cette évacuation musclée. Ces caractéristiques ne sont pas neutres et ont d’ailleurs largement rebondi dans toute l’Asie et notamment la Chine.

Sur l’ultra-populaire messagerie chinoise WeChat, des centaines de milliers de personnes appellent alors au boycott d’United, sous-entendant pour nombre d’entre eux que la compagnie est raciste. Sur Sina Weibo (l’équivalent chinois de Twitter), l’histoire est lue et partagée plus de 95,5 millions de fois (4). Sale coup réputationnel pour United Airlines dont la Chine est justement une destination majeure dans ses activités aériennes.

L’incroyable posture du PDG

Oscar Munoz Photographer: Andrew Harrer/Bloomberg

Oscar Munoz Photographer: Andrew Harrer/Bloomberg

Face à la viralité digitale qui est dévastatrice pour la réputation d’une marque ou d’une entreprise, l’attitude adoptée par Oscar Munoz, PDG d’United Airlines a largement contribué à exciter les passions. Dans un communiqué d’à peine 4 lignes et publié 24 heures après les faits, le n°1 de la compagnie débite des phrases d’excuses monocordes qui sentent à plein nez le vocabulaire juridique froid et formaliste. Le porte-parole d’United, Charlie Hobart, n’est guère plus probant. Contacté par le New York Times, il se contente d’énumérer les faits et de rappeler qu’ils n’ont fait qu’appliquer la procédure face à un passager auquel on a parlé poliment mais qui s’est tellement énervé qu’il fallait appeler la sécurité (5). Mais le pire survient probablement lorsqu’en fin de journée, le PDG envoie une note interne aux salariés qui est dénuée de toute empathie (6) : « Comme vous le lirez, la situation s’est malheureusement aggravé lorsqu’un des passagers a refusé de débarquer alors que nous lui avons demandé poliment. Il devenait donc nécessaire de contacter les officiers de sécurité de Chicago Aviation pour nous aider ».

Pour un haut dirigeant qui venait d’être un mois plus tôt distingué « Communicant de l’Année » aux USA par le magazine professionnel PR Week, le grand écart choque et le message interne ne tarde guère à fuiter en dehors de l’entreprise, suscitant d’abondantes moqueries et pastiches en tout genre où la marque United en prend pour son grade. Wall Street lui-même sanctionne les réactions de la compagnie avec une chute immédiate du cours de l’action à -4% avant de se stabiliser à – 1,1% (7). Il faudra pourtant encore que s’écoulent 24 heures pour qu’enfin Oscar Munoz revienne à une posture plus adaptée en présentant « ses plus profondes excuses pour ce qui est arrivé. Personne ne devrait être maltraité de cette façon » (8) ajoutant au passage que la compagnie aérienne allait revoir ses procédures et sa politique d’ici le 30 avril.

United - stock-chart-logo

Incidences ou pas ?

United - pasticheDésormais, alors que la furie médiatico-digitale a commencé à retomber, les experts débattent sur le véritable impact de cette crise particulièrement mal gérée. Pour d’aucuns et en dépit du retentissant bad buzz, United Airlines ne pâtira pas tellement de ce crash réputationnel. Pour les analystes financiers en particulier, les voyageurs continueront d’emprunter les vols United aux USA où l’entreprise est largement leader depuis sa fusion avec Continental en 2015. Ceci même s’ils ne portent pas une grande estime à la compagnie du fait de ces sorties de piste à répétition. C’est effectivement un point à retenir. Bien qu’il puisse apparaître cynique, le leadership commercial d’United sur le continent américain est tel qu’il est bien malaisé d’éviter systématiquement un vol United.

Ceci étant dit, l’entreprise aurait pu s’épargner cette crise en assumant d’emblée les faits que les vidéos virales ont propagés partout dans le monde. Même si l’enquête ultérieure montrera peut-être que le passager violenté n’était pas si victime et innocent (bien que les images plaident plutôt pour lui), United aurait pu tuer dans l’œuf cette gigantesque polémique qui ternit malgré tout son image. D’ailleurs, la page Wikipedia de l’entreprise s’est immédiatement enrichie d’un paragraphe traitant de l’algarade entre le médecin et les malabars de la sécurité. Ensuite, certaines autorités ont déjà annoncé qu’elles allaient se pencher sur un renforcement des droits des passagers face au surbooking. C’est le cas notamment au Canada où le ministre des Transports Marc Garneau s’est dit « très troublé par ce qui s’est passé » et compte proposer un projet de loi créant une «charte des droits pour les passagers» (9). Sans parler des concurrents qui ne se sont pas privés de rebondir sur les déboires d’United, en particulier la vidéo assez moqueuse d’Emirates !

Une chose est certaine : United Airlines a grillé tous ses jokers réputationnels. Si jamais, un nouvel incident de ce genre vient à se reproduire dans les mois qui viennent, le bad buzz pourrait se payer encore plus méchamment cash. Même à l’intérieur d’un avion, tout peut dorénavant se savoir. Y compris à 8000 mètres d’altitude puisqu’aujourd’hui, on peut se connecter au Web tout en étant sur son siège en plein ciel !

Sources

– (1) – Daniel et Matt Stevens – « United Airlines Passenger Is Dragged From an Overbooked Flight » – New York Times – 10 avril 2017
– (2) – Ibid.
– (3) – Violaine Jaussent – « Voyageurs et bagages maltraités : cinq fois où la compagnie United Airlines a été décriée » – Francetvinfo.fr – 11 avril 2017
– (4) – Heather Chen et Grace Tsoi.– « United Airlines: Chinese and Vietnamese anger at passenger removal » – BBC News Asia – 11 avril 2017
– (5) – Daniel et Matt Stevens – « United Airlines Passenger Is Dragged From an Overbooked Flight » – New York Times – 10 avril 2017
– (6) – Taylor Tepper – « The CEO of United Was Hired to Fix a PR Crisis. Then He Started Another One » – Time.com – 11 avril 2017
– (7) – Ibid.
– (8) – Michael Sasso, Justin Bachman et Linly Lin– « United CEO Apologizes Again After First Mea Culpa Falls Flat » – Bloomberg – 11 avril 2017
– (9) – « Scandale United Airlines: Ottawa va protéger les passagers »- Les Affaires.com – 11 avril 2017