@EquipierQuick : Du bad buzz dans le hamburger ?

Pendant une dizaine de semaines fin 2012, un mystérieux équipier a semé la zizanie dans un restaurant d’une enseigne Quick d’Avignon en tweetant rageusement sur ses conditions de travail critiquables et le non-respect des normes d’hygiène. Finalement démasqué, l’auteur a été licencié et se prépare désormais à affronter son ex-employeur devant les prétoires de la justice. Quelle lecture retirer de cette passe d’armes sur les réseaux sociaux où marques et entreprises sont souvent vulnérables ?

Cette anecdote est loin d’être un épiphénomène. Elle s’inscrit au contraire dans un contexte général où depuis quelques années, les tensions au travail se sont exacerbées et la défiance managériale accrue tandis que s’imposaient concomitamment les médias sociaux dans la vie quotidienne de chacun, au domicile comme au bureau. Dès lors, rapide a été la tentation d’en faire un exutoire des avatars subis au boulot et un déversoir des rancœurs et frustrations diverses que l’univers professionnel engendre de manière croissante et parfois traumatisante. Déjà en 2010, des salariés d’Alten, une société d’ingénierie et de services, avaient été congédiés pour avoir dénigré leur entreprise sur Facebook. Portée en justice, l’affaire a accouché de verdicts fluctuants sans pour autant endiguer la multiplication des litiges.

Une mise en scène soigneusement élaborée

@EquipierQuick entendait dévoiler les coulisses en live sur Twitter

Dans le cas de l’équipier Quick, le moins qu’on puisse dire est que Nicolas Canut (son vrai nom est désormais connu) a astucieusement concocté son opération d’infiltration à la sauce 2.0. Si l’interprétation de ses motivations profondes diverge selon les protagonistes, la machinerie numérique mise en place par l’impétrant relève en revanche d’une orchestration bien huilée pour créer un bad buzz conséquent. Le 1er novembre, le jeune homme publie ses premiers tweets sous l’alias @EquipierQuick où il annonce ouvertement qu’il va profiter de son CDI dans un restaurant Quick pour conter par le menu, ses conditions de travail dès son premier jour de travail prévu pour le 3 du même mois.

La formulation entretient habilement un halo de mystère pour planter le décor et titiller la curiosité des twittos qui commencent à le suivre et qui croient pour certains à un coup de com’ de l’enseigne elle-même. Avant même d’avoir franchi les portes de l’établissement, il jette déjà un indice en pâture : le manager du restaurant serait une femme détestable (1) : « Je vous avoue qu’aller au #Quick mystère m’angoisse depuis qu’1 manager est arrivée. Elle se moque de nous et nous menace ». Ambiance !

L’hameçon est efficace puisque des journalistes se manifestent rapidement comme notamment le rédacteur en chef de Slate.fr, Johan Hufnagel dont le site consacrera deux longs et documentés articles sur l’histoire de ce travailleur infiltré pas comme les autres. A peine installé à son poste, l’équipier Quick redouble d’ardeur pour restituer l’ambiance apparemment pressurisante qui règne dans le restaurant. Mieux (ou pire, c’est selon !), il indique à plusieurs reprises que la sécurité alimentaire du restaurant et les standards d’hygiène sont allègrement foulés. Un argument qui a potentiellement de quoi faire vaciller la réputation de Quick. Début 2011, la chaîne avait effectivement dû affronter une grave crise au cours de laquelle un adolescent de 14 ans était décédé à cause d’une intoxication alimentaire contractée dans un établissement d’Avignon.

La rumeur enfle et se viralise

Amalgame assez vite établi avec le restaurant qui avait vécu une crise en 2011

La direction de Quick ne tarde guère à repérer le trublion anonyme qui s’épanche sur les coulisses peu ragoûtantes du mystérieux restaurant. Directrice de la communication de l’enseigne, Valérie Raynal entre alors en contact avec le twittos masqué pour essayer de démêler les fils de cette histoire peu banale mais aux risques réputationnels avérés. D’autant plus avérés que Slate.fr publie dès le 16 novembre un premier sujet sur l’affaire après avoir réussi à s’entretenir avec l’équipier corbeau (2). Dans le même temps, ce dernier maintient la cadence. Il alterne coups de griffe insidieux avec des tweets plus modérés narrant des tranches de vie avec les clients ou les hamburgers en promotion ! Visiblement, l’individu prend un malin plaisir à brouiller les pistes et à alimenter les interrogations.

Le 24 novembre, il passe même à la vitesse supérieure en donnant une interview toujours sous le couvert de l’anonymat au site régional Mlactu.fr. Le titre est particulièrement cinglant et racoleur (3) : « Témoignage exclusif : @EquipierQuick balance tout ». Le ton oscille entre celui d’un garnement content du vilain tour qu’il joue et celui d’un « justicier » qui se doit de révéler certaines choses (4) : «  Ma plus grande satisfaction, c’est d’avoir capté leur attention pour leur montrer ce qui se passe dans mon restaurant. On capte aussi l’attention publique (…) Je ne fais pas ça pour moi, mais pour mes collègues, pour qu’on en parle (…) Ce n’est pas de la vengeance. C’est une démarche constructive, pas pour faire le buzz. Mais oui, ça leur fait quand même du tort. On a essayé de rentrer en contact avec eux, aucune réponse, j’ai donc décidé de passer aux réseaux sociaux. Maintenant la bombe est lancée et elle devrait bientôt exploser ». Le lendemain, le site régional prend d’ailleurs ouvertement fait et cause pour le jeune homme en signant un édito particulièrement provocateur (5) où l’amalgame est précisément établi avec la crise précédente survenue à Avignon en 2011.

La direction de Quick monte au créneau

Enquête active pour démasquer l’équipier corbeau chez Quick

Entretemps, la direction de Quick n’a pas chômé. Elle est parvenue à identifier l’auteur du fil Twitter et a aussitôt diligenté une enquête interne pour vérifier les assertions de cet encombrant équipier. Avec la publication des deux articles l’incriminant publiquement, l’entreprise de restauration rapide dégaine alors quelques jours plus tard un droit de réponse pour démentir les allégations proférées par @EquipierQuick (6) : « Le groupe Quick a immédiatement interrogé ses salariés qui n’ont aucunement confirmé le témoignage diffusé sur le site internet mlactu.fr. Bien au contraire, l’ensemble des salariés du restaurant s’est déclaré particulièrement choqué des propos publiés les 24 et 25 novembre 2012 qui portent atteinte au sérieux avec lequel ces derniers exercent, chaque jour, leur travail dans un souci permanent de satisfaction de la clientèle. Il s’avère que le prétendu témoignage exclusif a pour origine les agissements d’un salarié mal intentionné ayant pour unique objectif, au mépris de la vérité, de faire parler de sa personne ».

En parallèle, l’agitateur au masque désormais tombé est mis à pied par la direction et reçoit rapidement une lettre de convocation pour un entretien préalable à un licenciement. Lequel tombe en application fin décembre. Nicolas Canut alias @EquipierQuick est exclu de l’établissement non sans avoir continué à narrer ses bisbilles administratives avec le management de l’entreprise et à soutenir mordicus que ses propos sont authentiques. Il poursuit assidûment la mise à jour de son fil Twitter et appelle à la mobilisation autour de son cas. Au départ suivi par une poignée plutôt confidentielle de 300 followers, le compte a atteint à l’heure d’aujourd’hui plus de 5500 personnes dont de nombreux journalistes intrigués par l’affaire qui prend des proportions.

La guerre est déclarée

Au début de 2013, Nicolas Canut décide même de sortir la grosse artillerie. Non content de voir sa timeline Twitter attirer de plus en plus de monde, il crée en complément un blog (7) où cette fois, il mitraille à tout va contre son ex-employeur. Dans un long post intitulé « Equipier Quick vs France Quick : les feux de l’amour » (8), il se livre à une longue tirade autojustificatrice. Il dénonce pêle-mêle le double langage de la direction qui avait pourtant assuré qu’il ne lui arriverait rien et des tentatives de manipulation avec l’éclosion de faux comptes Twitter détournant celui de l’équipier Quick. Le tout sur un ton enflammé et volontiers cogneur.

Témoignage vidéo : @EquipierQuick ne regrette… par Mlactu

Il n’en faut pas plus pour que l’entreprise réplique à son tour avec un communiqué où elle annonce son intention de porter l’affaire en justice (9) : « La décision est prise, nous allons effectivement porter plainte pour diffamation et/ou dénonciation calomnieuse en début de semaine prochaine ». Effet collatéral de ce déballage public : une dépêche AFP et plusieurs articles de presse amplifient aussitôt l’écho médiatique et par ricochet, braquent la lumière sur certains aspects « embarrassants » du dossier. Le restaurant dénoncé par l’équipier Quick s’avère en effet être le même mis en cause lors du décès du jeune homme en 2011. Ensuite, Nicolas Canut apparaît également être un personnage plutôt procédurier ayant déjà successivement attaqué en justice (10) « plusieurs personnes, ses parents, son lycée, un procureur de la République, un fameux réseau social » (sic).

Outre faire le miel de quelques médias, le conflit amène alors plusieurs organisations de la gauche radicale à s’emparer de l’affaire pour lui donner une coloration politique. L’équipier Quick reçoit ainsi le soutien officiel de la CGT et de membres du Front de Gauche et s’entretient avec la dirigeante de Lutte Ouvrière, Nathalie Arthaud. Et dans le secteur de la restauration, se mettent à fleurir des comptes Twitter similaires à celui de Quick comme EquipierFlunch , EquipierMcDo et EquipierPizzaHut qui visent à répliquer la démarche de leur infortuné confrère !

L’ennemi peut venir de l’intérieur

Tout peut se savoir ou se dénoncer très vite

Sans présager des conclusions judiciaires qui seront établies dans les mois à venir, cette controverse digitale montre à quel point les entreprises sont de plus en plus exposées au diktat potentiel de salariés estimant que leur sort professionnel est déplorable. Déjà en 2011, une étude Novamétrie avait mis en évidence que 37% des salariés français s’étaient autorisés des propos critiques envers leur société d’appartenance et 25% avaient osé parler sans détour de leur licenciement. Si on multiplie cette proportion de gens pouvant passer à l’acte par le nombre sans cesse croissant d’usagers des réseaux sociaux, la potentialité d’attaques réputationnelles s’en trouve nettement augmentée.

Pour les entreprises, l’enjeu est considérable. Que les offensives soient soutenues par des arguments valides ou par des mensonges éhontées ou biaisés, l’impact provoquera très souvent (et malheureusement) des dommages en termes d’image pour la société visée. Lors de la conférence « Reputation War », ce basculement a été abondamment évoqué par les intervenants. Directeur de l’Ecole de guerre économique et directeur associé du cabinet de conseil Spin Partners, Christian Harbulot a notamment rappelé les fondamentaux qui structurent ce genre de crise appelée à se produire de plus en plus souvent (11) : « La légitimité des acteurs est souvent faussée dans la perception qu’en a le corps social. Celui qui attaque est souvent vu comme celui qui dénonce avec justesse tandis que l’entreprise est immédiatement considérée comme juge et partie. Elle doit se défendre et se justifier tout en étant vue fréquemment comme suspecte. Résultat : le doute profite à l’assaillant ».

D’après ses observations, Christian Harbulot estime que le phénomène de l’équipier Quick peut se produire n’importe où et chez n’importe qui. Surtout si un terrain plus ou moins délétère existe au préalable  pour que des assaillants internes ou proches de salariés passent à l’action en ciblant les points faibles de l’adversaire désigné. Pour lui, « ils revendiquent le franchissement de la ligne rouge pour défendre ce qu’ils estiment être un combat de bon droit » (12).

Conclusion – Les entreprises condamnées à subir et expier ?

Un tweet d’un salarié mécontent peut ruiner une réputation

Dans les crises réputationnelles, l’effet « David contre Goliath » n’est pas foncièrement nouveau. Le gros puissant et riche a toujours plus spontanément prêté le flanc à la suspicion que le petit humble et modeste. En revanche, la donne change clairement avec les réseaux sociaux qui procurent une chambre d’écho incomparable pour distordre encore plus ce décalage aux yeux de l’opinion publique. Christian Harbulot l’a martelé durant son intervention. Les entreprises doivent sortir de leur coquille frileuse pour aller à la rencontre de leur écosystème, connaître les acteurs, dialoguer avec eux avant même que des turbulences n’interviennent.

Dans le cas de Quick, on peut noter que la chaîne de restauration a certes réagi promptement pour juguler la polémique attisée par l’équipier Quick mais le dommage réputationnel était déjà à l’œuvre. Ceci d’autant plus que l’entreprise est à peine présente sur Twitter. Il existe bien un compte Quick France avec 44 followers (mais zéro tweet !) et un compte ComQuickFrance avec 87 followers ouvert seulement depuis le 19 décembre 2012, soit en pleine crise. Trop tard pour espérer faire entendre sa voix dans un univers où les trublions bénéficient a priori, à tort ou à raison, d’un cote de sympathie.

S’il n’existe pas de martingale 100% garantie, les entreprises ne sont pas non plus condamnées inéluctablement à être les dindons de farces numériques plus ou moins consistantes. Dans une conférence donnée en septembre 2012 au Pérou, Christophe Ginisty, nouveau président de l’IPRA (International Public Relations Association), a clairement énoncé les quatre axiomes essentiels qui peuvent (et doivent) être activés avant que les événements ne tournent vinaigre (13) :

  • La surveillance et l’analyse des conversations. Il faut écouter ce qui se passe sur Internet de sorte d’être prêt à réagir immédiatement lorsque quelque chose se produit. L’unité n’est plus en jours mais en heure.
  • Le changement de comportements. Il n’y a pas de choix, la confiance du consommateur potentiellement activiste ne se retrouvera que si les organisations et les personnalités se comportent de manière éthique et responsable et s’ils augmentent leur niveau de transparence vis-à-vis du public.
  • L’engagement dans les conversations. Pour espérer gagner la confiance des internautes, il faut se placer soi-même dans une logique conversationnelle et entamer le dialogue sans attendre que la crise ne survienne. Car l’antériorité de ces conversations sera précieuse en cas de problème.
  • L’anticipation. Puisque désormais vous savez qu’une crise peut arriver, autant vous y préparer. Il faut se doter aujourd’hui des outils qui seront potentiellement utiles en cas de crise et travailler sur les scénarios de réponse qui vous permettront, le moment venu de gagner en efficacité.

S’ingénier à se retrancher derrière les petits vademecums de crise qui rassurent tellement a priori mais sont souvent d’une vaste vacuité a posteriori, fera en revanche le lit de ces futures crises 2.0. L’aventure d’Equipier Quick doit à cet égard enseigner à chaque entreprise et chaque communicant que la donne a changé. Désormais, il s’agit de s’inspirer de l’excellente citation qu’avait déclarée la journaliste Marjorie Paillon lors de la conférence Reputation War : « Faites la réputation, pas la guerre ! ».

Sources

(1) – Jérôme – « Maître Corbeau sur un arbre perché tenait en son bec un burger » – Qualitiges.org – 6 janvier 2013
(2) – Jamal El Hassani – « Quick : quand les réseaux sociaux dévoilent les coulisses de l’entreprise » – Slate.fr – 16 novembre 2012
(3) – Maud Fontanel – « Témoignage exclusif : @EquipierQuick balance tout » – Mlactu.fr – 24 novembre 2012
(4) – Ibid.
(5) – « Quick : journal de bord d’une gestion de crise ratée » – Mlactu.fr – 25 novembre 2012
(6) – Droit de réponse de la société France Quick – 2 décembre 2012
(7) – Blog d’Equipier Quick 
(8) – Equipier Quick – « Equipier Quick vs France Quick : les feux de l’amour » – Blog Equipier Quick – 2 janvier 2013
(9) – Grégoire Fleurot – « Equipier Quick : De Twitter aux tribunaux » – Slate.fr – 5 janvier 2013
(10) – Ibid.
(11) – Conférence « Reputation War » du 11 janvier 2013 à Paris
(12) – Ibid.
(13) – Christophe Ginisty – « Comment les réseaux sociaux vont favoriser les situations de crise » – Ginisty.com – 18 septembre 2012

Mises à jour

(1) – Nicolas Canut (alias @EquipierQuick) – « L’affaire des tweets @EquipierQuick vs Quick : ma vérité » – Ma vérité sur.com – 1er février 2013
(2) – « Affaire des tweets : l’ex-employé du Quick d’Avignon dépose plainte » – Midi Libre – 31 janvier 2013