Trust Barometer 2014 : Attention ! La défiance des publics menace la communication des entreprises

Ce n’est pas un scoop. Jamais les esprits n’ont été aussi échauffés et échaudés envers les élites, les dirigeants et les pouvoirs. Un cocktail diffus et détonnant de peur, de défiance et de suspicion s’est enkysté de manière récurrente dans les moindres recoins de la société. Plus aucun domaine n’est épargné par les admonestations énervées du corps sociétal. A cet égard, l’édition 2014 du Trust Barometer de l’agence Edelman souligne une nouvelle érosion de la confiance des publics à l’égard des gouvernements mais aussi des entreprises. Enseignements clés à retenir pour changer lorsqu’il en est encore temps.

La récusation suspicieuse des élites est devenue une antienne qui se calcifie année après année sans que ces mêmes élites ne semblent s’émouvoir outre mesure ou donner des gages tangibles de changement. La France n’échappe malheureusement pas à cette spirale mortifère de la défiance. Le pire exemple émane sans conteste du corps politique. Sans cesse, celui-ci professe la main sur le cœur qu’il sera désormais irréprochable. Sans cesse, celui-ci se fait à nouveau pincer dans de sordides affaires de frais indus, de pots-de-vin à gogos, de trafic d’influence monnayé sans état d’âme. Les récents et pitoyables dossiers Cahuzac, Morelle, Copé et Balkany ne sont que les pointes émergées d’un iceberg politique en pleine déliquescence à tel point que les extrêmes politiques apparaissent fallacieusement comme des options viables.

Plus inquiétant encore, les entreprises sont également de manière croissante dans la ligne de mire de l’opinion publique. A force de discours ampoulés où les paroles font souvent un insupportable grand écart avec les actes, le corps sociétal s’enfonce dans une crispation méfiante où personne n’aura rien à gagner au final. Le cru 2013 du baromètre Edelman avait déjà esquissé les contours écornés du leadership économique et entrepreneurial. La nouvelle édition confirme que les lézardes continuent à s’amplifier. Pour les communicants et les dirigeants d’entreprise, c’est plus qu’un enjeu à relever. C’est une nécessité de rectifier d’urgence les postulats sous peine de devenir totalement inaudible et répudié à l’instar des politiciens. 

Sale temps pour la confiance

Edelman 2014 - confianceCe fossé qui se creuse est extrêmement préoccupant car il est loin d’être nouveau. C’est ce que corrobore depuis 14 ans le très instructif Trust Barometer de l’agence de communication Edelman. Depuis plus d’une décennie, cet outil s’attache à mesurer l’indice de confiance attribué à quatre catégories d’acteurs institutionnels à travers le monde : les entreprises, les gouvernements, les médias et les ONG. L’échantillon sur lequel repose ce traditionnel coup de sonde d’Edelman est bien loin d’être un panel au doigt mouillé. L’enquête est en effet menée dans 27 pays auprès de 33 000 répondants âgés de 25 à 64 ans et ayant un niveau d’information élevé des enjeux socio-économiques. Autant dire que le corpus est suffisamment robuste pour procurer une grille de lecture et de comparaison édifiante au fil des ans.

Au gré des investigations annuelles effectuées par Edelman, il s’avère que la confiance s’effrite implacablement en dépit de quelques rebonds chroniques. Ainsi, le Trust Barometer relevait déjà en 2003 un glissement de la confiance jusque-là accordée aux autorités vers celles des pairs. L’avènement des médias sociaux n’a fait que très nettement valider et amplifier cette tendance érigée désormais en paradigme relationnel. En 2006, émergeait également un autre facteur qui s’est imposé depuis comme une évidence dans le digital 2.0 : le concept de « personne comme moi » pouvant être un porte-parole crédible.

Le sociologue Michel Maffesoli le constate sans détours (1) : « Depuis deux décennies, un très grand fossé s’est creusé entre l’élite, ceux qui ont le pouvoir de dire, et le peuple, ceux qui n’ont pas le pouvoir de dire. C’est une crise globale de la représentation qui affecte le vieux contrat social républicain. Toute société a besoin de se dire et de se raconter. Même si le discours n’est que rituel, il sert de référence commune. Cette fonction de dire la société revient aux clercs. Or aujourd’hui le discours des clercs ne correspond plus du tout à la réalité. Cette rupture introduit un sentiment de mensonge global. On ne se sent plus représenté. Donc on suppute qu’on est trompé ».

Les entreprises commencent à décrocher

Edelman 2014 - 4 critères clésDepuis 2010, deux catégories subissent tout particulièrement un lourd déficit de confiance : les gouvernements et les entreprises. Année après année, le dévissage en termes de confiance se poursuit inexorablement. L’édition 2014 du Trust Barometer (2) a de nouveau fourni des résultats qui devraient pourtant largement interpeler les concernés tant on s’approche dangereusement des lignes du discrédit radical. Si, du côté des politiques, la crise de confiance mise en évidence ne constitue pas vraiment une réelle surprise tant les politiciens accumulent de piètres scores de crédibilité depuis (trop !) longtemps, il est en revanche important de noter que le décrochage commence également à s’accentuer très substantiellement du côté du monde de l’entreprise. Dans le cru 2014 du Trust Barometer, médias, banques/services financiers, laboratoires pharmaceutiques et industriels de l’énergie parviennent péniblement à se hisser au-dessus des 50% des suffrages accordant un sentiment de confiance à leur encontre. A l’inverse, le secteur des technologies s’en tire beaucoup mieux avec 79% d’opinions favorables.

En plus du secteur d’activité de l’entreprise, d’autres critères constituent également des leviers de confiance ou de défiance. L’origine géographique joue notamment un rôle prééminent dans la perception qu’ont les publics envers une société donnée. La palme de la suspicion revient sans conteste aux compagnies issues des BRICS (Brésil, Russie, Chine et Inde) ainsi que le Mexique (34% de confiance en moyenne). A contrario, un sentiment plutôt positif est attribué aux entreprises de nationalité allemande (80%), suédoise et suisse (79%) et canadienne (78%). Autre élément qui alimente l’inclinaison favorable ou pas de l’opinion public : le profil de l’entreprise. Au global, il ressort que ce sont les entreprises familiales qui tirent le mieux leur épingle du jeu avec 71% de bonnes opinions, devant les PME/PMI et ETI (68%). Au fond de la classe, sont reléguées les entreprises publiques ou dont l’Etat est actionnaire (54%) et les énormes multinationales (61%).

Edelman 2014 - Crédibilité nationalité entreprises

Patrons et leaders sous le feu de la méfiance

Ce désaveu en formation se prolonge lorsque le baromètre s’interroge sur le niveau de crédibilité des différents acteurs en termes d’individus. Responsables gouvernementaux et PDG se retrouvent de nouveau largués en queue de peloton avec des scores étriqués respectivement à 36% et 43%. A l’inverse, les universitaires et intellectuels se voient crédités de 67% d’opinions favorables, les experts d’entreprise 66% et les « personnes comme moi » 62%. Un décalage significatif qui a de quoi laisser pantois les communicants qui consacrent pourtant l’essentiel de leurs stratégies et de leurs actions à valoriser l’image des entreprises et des gouvernants. Serait-ce par conséquent le signe précurseur de la faillite d’une certaine communication cosmétique et incantatoire où les paroles rejoignent difficilement les actes et les réalisations concrètes ?

Lorsque le Trust Barometer examine de plus près les leviers qui suscitent la confiance auprès du public à l’égard des dirigeants, on peut déceler une partie de la réponse. Nombreux sont actuellement les dirigeants de société à se gargariser voluptueusement avec leurs macarons de bons élèves décrochés parmi les innombrables classements des entreprises les plus admirées. De même, ils ne se privent guère de claironner autour de leurs performances financières et des dividendes versés aux actionnaires ou encore sur les partenariats noués avec des ONG, des associations ou des organismes gouvernementaux dans le cadre d’ambitieux et séduisants programmes de développement durable ou de responsabilité sociétale. Des sommes conséquentes sont même dépensées en opérations de communication pour achever de convaincre les publics et de s’arroger une flatteuse réputation.

Edelman 2014 - Crédibilité des acteurs

Revenons à des leviers plus concrets et basiques

Il va pourtant falloir drastiquement réviser l’ordre des priorités. L’édition 2014 du Trust Barometer est sans ambages. L’opinion publique est encline à accorder sa confiance aux entreprises qui sauront se distinguer concrètement sur une série de thématiques nettement plus prosaïques mais tellement cruciales qu’on peut se demander pourquoi diable les stratégies de communication n’y consacrent pas plus d’énergie. Carence d’arguments valables et crédibles ? Toujours est-il que 86% des personnes attendent de l’entreprise, des services ou des produits de haute qualité. 85% exigent que leurs données soient correctement protégées. 85% jugent pareillement important le respect des employés et de leurs droits. 83% estiment que l’entreprise doit se pencher avec attention sur les impacts de son activité sur son environnement immédiat. Ensuite, 80% jugent qu’elles doivent payer un niveau approprié de taxes. A la lumière de ces attentes, on saisit immédiatement mieux le décalage actuel du discours patronal peu spontanément porté sur ces sujets ou alors systématiquement sur la défensive.

A contrario, le Trust Barometer insiste également sur les aspects qui nourrissent grandement la défiance des publics envers les entreprises. A 81%, ce sont les pratiques financières et commerciales peu éthiques qui sont pointées du doigt. Ensuite, 80% s’indignent des comportements irresponsables durant une crise majeure et stigmatisent tout autant les sociétés incapables de protéger les données de leurs clients. Deux autres sujets sont également ferments de rejet caractérisé : le non-respect des conditions de travail (79%) et la présentation de l’entreprise sous un faux jour (79%), autrement dit mentir et s’attribuer des qualités qui sont loin d’être des réalités. Une propension qui est pourtant encore répandue chez les maniaques de la com’ verrouillée à triple tour.

Edelman 2014 - 16 critères de confiance

La communication comme viatique ?

Edelman 2014 - Trust meSi ce diagnostic établi par le Trust Barometer est d’une limpidité qui doit inviter les communicants à réfléchir sur leurs futures orientations stratégiques, ce n’est toutefois pas un simple claquement de doigt volontariste qui renverra le balancier du bon côté de la confiance sociétale. De même qu’une réputation est longue à bâtir et rapide à démolir, la restauration de la confiance requiert volonté et patience. Surtout dans ce contexte contemporain qui affuble les grosses entreprises, les institutions et leurs dirigeants de qualificatifs et d’attributs souvent peu flatteurs et il faut bien l’avouer, pas toujours immérités.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître tant la communication des entreprises est fréquemment empreinte de doute parmi les parties prenantes, c’est pourtant cette dernière qui est invoquée pour créer durablement les conditions de la confiance entre tous les acteurs. A la question sur ce que doit faire un PDG et sa société pour établir cette confiance, 82% des personnes interrogées citent une communication claire et transparente. De même, 81% militent pour que le discours soit vrai même s’il doit être impopulaire ou désagréable. Autres comportements attendus de la part d’un dirigeant d’entreprise : un engagement régulier avec les salariés sur l’état des affaires (79%) et une présence accrue en cas de crise ou de problème sérieux (79%). A contrario, il est assez amusant de noter qu’ils ne sont plus que 69% à vouloir voir le PDG investi dans des nobles causes et 53% à avoir une activité médiatique. Aujourd’hui encore, ces deux points sont pourtant les priorités non-négociables qui emplissent les agendas des dirigeants !

Débat et transparence : les deux sont liés

Edelman 2014 - TransparencyPour enrayer cette défiance qui grippe à répétition les stratégies de communication les plus ambitieuses, certaines voix militent pour l’instauration d’une transparence accrue au sein des organisations et d’une acceptation plus prononcée du débat avec les parties prenantes. Face à l’opacité longtemps objectée et une communication matraquée unilatéralement, le corps sociétal n’hésite en effet plus à revendiquer un accroissement de la transparence. En mai 2013, j’avais publié sur mon blog l’interview de Dave Senay, PDG du groupe FleishmanHillard, l’un des leaders mondiaux du conseil en communication. Je lui avais demandé quel était selon lui l’enjeu de communication majeur à venir (3) : « Spontanément, je vous réponds : l’exigence de transparence au sein de l’opinion publique. Cette tendance déjà bien affirmée n’est pas prête de s’estomper. Bien au contraire. Et ce défi n’est pas sans poser de complexes équations à résoudre ! Comment aligner de la façon la plus juste et authentique les attentes des entreprises et celles du corps sociétal sans que cela ne se fasse au détriment de l’un ou de l’autre ? ».

Cette transparence doit être nécessairement et intrinsèquement accompagnée d’actes tangibles et de volonté avérée de dialogue. Invoquer la transparence ne suffit pas à générer la confiance. Le gouvernement Hollande en a d’ailleurs fait l’amère expérience en avril 2013 suite aux aveux de Jérôme Cahuzac après des mois passés à nier « les yeux dans les yeux » les accusations de fraude fiscale portées par le site d’information Mediapart. Devant l’énormité du scandale et l’opprobre jetée sur la classe politique, ordre fut donné sur le champ aux ministres de déballer leur patrimoine sur la place publique pour signifier qu’ils n’avaient rien à voir avec les errances de l’ancien ministre du Budget. Résultat : une belle cacophonie ministérielle entre les blagueurs, les réticents et les bons élèves mais surtout un scepticisme persistant (pour ne pas dire suspicion) au sein de l’opinion publique persuadée qu’au final, l’essentiel demeure planqué quelque part et que cet exhibitionnisme patrimonial n’est qu’un leurre pour éteindre l’incendie médiatique !

Cela tend donc à démontrer qu’une débauche de transparence n’engendre pas mécaniquement un surcroît de confiance. Autant l’hermétisme forcené n’est guère conseillé, autant la transparence à tout prix n’apporte pas forcément la confiance. Durant l’entre-deux-guerres au 20ème siècle, le doyen américain de la communication et des relations publiques, Arthur Page avait déjà des convictions solidement forgées sur ce qui inspire et oriente la perception de l’opinion et la confiance qui peut en découler ou pas (4) : « La perception publique d’une organisation est déterminée à 90% par ce qu’elle fait et 10% par ce qu’elle dit ». Autrement dit, aux agitations de circonstance et aux discours la main sur le cœur, il convient de privilégier la culture de l’action honnête, concrète et durable. En termes de confiance, les bénéfices sont sans doute plus longs et plus complexes à récolter mais ils sont d’une infinie et incomparable qualité supérieure qu’aucun artifice communicant ponctuel ne saurait substituer. En cette ère obsédée par le court-termisme et le retour sur investissement à tout prix et parfois à vil prix, voici une voie que la communication nouvelle génération pourrait explorer avec succès. Les enseignements du Trust Barometer 2014 d’Edelman ne font que conforter cette nécessité urgente de refonder la communication des dirigeants et des entreprises.

Sources

(1) – Interview de Michel Maffesoli donnée au Nouvel Observateur – 7 octobre 2004
(2) – Pour disposer de l’intégralité des résultats du Trust Barometer 2014, la synthèse est disponible sur le site d’Edelman
(3) – « L’heure du « Power of True » a sonné » – Le Blog du Communicant – 14 mai 2013
(4) – « The Page’s Principles » – Site officiel de l’Arthur W. Page Society

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