Affaire VW & Communication de crise : Attention aux 3 effets délétères qui ruinent une réputation !

C’est paradoxalement maintenant que le plus dur commence pour la stratégie de communication du groupe Volkswagen. Après avoir dû tant bien que mal encaisser officiellement l’aveu de la tricherie de masse sur ses véhicules diesel avec une communication plutôt minimaliste, le constructeur allemand va désormais devoir œuvrer pour restaurer la réputation de l’entreprise et la confiance auprès de son écosystème de parties prenantes. Contrairement à la gestion du pic de crise qui requiert une posture communicante visible et rapide, le management de l’après-crise est autrement plus ardu où rebonds crisiques et effets délétères surgissent à divers niveaux. Tour d’horizon des enjeux réputationnels de longue haleine que Volkswagen doit relever.

Dans un précédent billet, le Blog du Communicant expliquait en quoi une crise est en fait la résultante d’une boîte noire systémique préexistante et d’un élément déclencheur qui met soudainement à jour celle-ci. Cette dernière s’articule de manière récurrente autour de 5 facteurs principaux qui concurrent à minorer ou occulter l’accumulation pourtant croissante de signaux faibles indiquant qu’une crise est en potentielle formation à plus ou moins longue échéance. Une fois le choc de la révélation survenu (en l’occurrence, l’aveu de tricherie organisée par VW), la crise n’en est pas pour autant finie même si la pression médiatique peut sembler baisser. Là encore, c’est un autre modèle systémique qui prend le relais. Celui-ci peut alors raviver des mécanismes anciens, générer des décalages et des risques supplémentaires avec au bout du compte une crise durable et des effets catastrophiques pour la réputation d’une organisation ou d’une marque.

Effet n°1 : La rupture de la confiance

VW 3 - rupture confianceUlrich Beck, sociologue allemand et père de la notion de « société du risque » l’a parfaitement relevé dans son ouvrage éponyme (1) paru en 2001 : « Le monde n’est pas forcément devenu plus dangereux, mais c’est davantage la perte systématique de confiance qui donne aux consommateurs le sentiment de voir des risques partout. Moins il y a de confiance, plus il y a de risques. Plus on a conscience des risques, plus les marchés deviennent instables. Plus les marchés deviennent instables, plus grandissent les risques d’effet boomerang qui touchent tout le monde ». Et l’on pourrait ajouter, plus la tentation est grande d’occulter encore plus pour les responsables de crise puisque le vocable même de « risque » engendre des allergies éruptives insondables ou du moins une forte réticence à remettre en cause un modèle qui a pourtant failli.

Or, ce comportement compulsif repose sur un maillon essentiel : l’absence de la révélation des enjeux initiaux. Une absence qui est précisément la clé d’un explosif quiproquo. Tant qu’un système fonctionne normalement, personne n’a guère conscience de ce qu’il est vraiment et de la façon exacte dont il marche. Chaque acteur n’a finalement qu’une vision parcellaire du dit système et s’en contente finalement aisément puisque ça marche. La quiétude sociale se traduit alors par un ensemble d’attitudes de routine que chaque individu adopte dans sa vie quotidienne à l’égard du système. Dans le cas de la crise Volkswagen, on retrouve ce type de vision. Pour les clients et les partenaires, la marque allemande jouissait d’une côte de confiance élevée du fait de l’excellence mécanique de ses modèles.

VW 3 - Green-Volkswagen-LogoHuit jours avant que l’ex-PDG de Volkswagen admette publiquement que les résultats des tests d’émissions polluantes avaient été truqués, RobecoSAM, une société spécialisée en placements financiers venait d’ailleurs de publier son palmarès 2015 sur la durabilité des entreprises dans différents secteurs d’activités. Pour l’industrie automobile, c’est Volkswagen qui était une nouvelle fois élu n°1 avec 91 points sur 100 devant 32 concurrents passés au crible sur leur durabilité économique, sociale et environnementale. Les experts enthousiastes écrivaient même ceci dans leur rapport (2) : « Une fois encore en 2014, le groupe Volkswagen a investi dans la R&D pour de nouveaux modèles et des technologies innovantes, qui d’ici 2019, contribueront à développer des véhicules plus efficaces, des moteurs alternatifs et une production plus compatible avec l’environnement ».

Or, l’on sait désormais que derrière le discours vert du géant de Wolfsburg, des doutes sérieux existaient déjà comme l’a révélé le 25 octobre le Financial Times. En 2013, Janez Potocnik, commissaire européen à l’Environnement, a averti ses collègues que des constructeurs automobiles (dont VW) trafiquaient des moteurs diesel pour tromper les tests antipollution et satisfaire ainsi aux normes pour la commercialisation du véhicule. Aujourd’hui, c’est désormais la défiance qui prime. Toute la difficulté de VW va donc être de réussir à convaincre que d’une posture de mensonge et de dissimulation, la société est maintenant passée à un langage de vérité et d’action concrète comme l’a proclamé le nouveau président du conseil de surveillance de VW, Hans-Dieter Pötsch (3) : « Je vais tout faire pour que les faits soient expliqués ».

Effet n°2 : la recherche d’un (ou des) bouc(s) émissaire(s)

VW 3 - Martin winterkornLa conséquence immédiate face au choc de la révélation est d’emblée de désigner des boucs émissaires. Avant même de disposer d’une vision plus exhaustive des faits, le corps sociétal, médias y compris, cherche à déterminer qui est responsable de la crise.

Sur ce point, Volkswagen n’a pas tardé à répondre en démettant illico le n°1 de l’entreprise, Martin Winterkorn (photo), de tous ses mandats. Un nouveau PDG issu de la filiale Porsche a été aussitôt nommé en la personne de Matthias Müller. Lequel n’a guère tardé à procéder à un vaste remaniement des attributions managériales parmi les hauts dirigeants du groupe, la nomination la plus emblématique étant sans doute celle d’Herbert Diess propulsé à la tête de la marque Volkswagen. Arrivé depuis juillet 2015 en provenance de BMW où il avait passé l’essentiel de sa carrière, l’homme est neuf, donc a priori vierge de toute collusion avec les manipulations logicielles.

VW 3 - class actionPour autant, la notion de « bouc émissaire » va continuer à empester le dossier tant que les enquêtes judiciaires déclenchées aux Etats-Unis et dans de nombreux autres pays du mode n’auront pas établi clairement la chaîne des responsabilités. Bien que le constructeur ait annoncé le rappel des voitures concernées par la fraude et leur remise à niveau, l’exigence de réparation de la part de VW a immédiatement essaimé parmi les clients. Fin septembre en France, une centaine de propriétaires ont fait alliance avec l’association Ecologie Sans Frontière pour porter plainte pour tromperie aggravée et mise en en danger de la vie d’autrui. Aux USA, on ne compte plus les recours collectifs en justice, les fameuses « class actions », que les avocats se chargent de coordonner devant les juges pour obtenir des dommages et intérêts. Et c’est loin d’être fini !

Cette vindicte consubstantielle à la crise fait même tâche d’huile dans des milieux plus surprenants mais pas moins déterminés. Ainsi, le fonds d’investissement Bentham et le cabinet international d’avocats Quinn Emanuel Urquhart & Sullivan ont pris langue avec les plus grands actionnaires du constructeur allemand. Objectif : les convaincre de s’impliquer dans une action collective visant à demander pas moins de 40 milliards d’euros d’indemnisations à cause des pertes subies en Bourse (4). S’ils y parviennent, les premières procédures pourraient être lancées dès février 2016.

Effet n°3 : des coups et des coûts

VW 3 - Cours boursierCorollaire inexorable de la crise et des réactions de ceux qui se sentent floués : les coûts financiers. C’est évidemment d’abord le cours boursier de l’action Volkswagen qui a chuté sitôt l’annonce officielle faite de la fraude à grande échelle le 18 septembre. Six semaines après les faits, la valorisation boursière de l’entreprise a été amputée d’un tiers. Une perte évidemment non négligeable mais pas forcément la plus létale pour l’entreprise. En effet, en dépit de la publication de ses résultats trimestriels le 28 octobre qui sont dans le rouge pour la première fois depuis 15 ans, Volkswagen a globalement limité (du moins pour l’instant) la casse auprès des analystes financiers. Le cours de l’action est même remonté à la Bourse de Francfort de 3,19% à 108,50 euros (5).

Le danger en termes d’image et de confiance pour Volkswagen réside plutôt dans le caractère aujourd’hui totalement incertain du montant final de l’addition. L’agence de notation Moody’s situe la « douloureuse » dans une fourchette comprise entre 9,5 et 31 milliards d’euros de coûts à supporter à cause de la crise (6). Mais la palme du pessimisme revient au Crédit Suisse qui estime que la mauvaise blague pourrait atteindre la somme astronomique de 78 milliards d’euros (7). A l’heure actuelle, bien malin est celui qui peut prédire exactement le montant que devra débourser au final le groupe allemand. Fort d’une trésorerie encore florissante (21 milliards d’euros à la fin du premier semestre 2015) bien que non-illimitée et de provisions de plus de 6 milliards d’euros pour le rappel des véhicules, l’entreprise a d’ores et déjà annoncé un plan drastique de ses investissements à raison d’1 milliard par an jusqu’en 2019 (8).

VW 3 - AutoNation_VW_Dealership_Photo__1Même si l’effet conjugué attendu des amendes qu’encourt VW (rien que 16 milliards d’euros aux USA et des résultats des différents procès intentés n’est pas à minimiser, c’est surtout le levier des ventes qui risque d’être décisif. C’est clairement sur le terrain des acheteurs potentiels mais aussi du réseau de concessionnaires que le constructeur allemand va devoir communiquer finement et clairement.

En Allemagne, un sondage publié le 19 octobre révélait que 2/3 des Allemands demeurent convaincus de la qualité des voitures du groupe et 75% sont prêts à acheter un modèle issu de la gamme (9). En revanche, l’Angleterre semble par exemple être sur une autre vision de la marque. Tout va donc dépendre de la qualité et de la véracité du discours que tiendra VW pour ne pas voir ses ventes s’éroder dramatiquement. A ce stade, rien n’est encore perdu. D’ailleurs, l’entreprise a poursuivi ses investissements publicitaires mais il faudra néanmoins aller plus loin pour se refaire une carrosserie réputationnelle à neuf.

L’ambivalence troublante de Volkswagen

Quelques jours après sa prise des commandes du groupe Volkswagen, Matthias Müller déclarait que (10) « dans cette crise, il y a une chance de réformer les structures de VW. Nous voulons rendre l’entreprise moins grosse, plus décentralisée et donner plus de responsabilités aux marques. Cela doit mener à plus de réactivité et d’efficacité ». Autrement dit, cette grave crise est une opportunité pour faire table rase des dysfonctionnements du passé et enclencher la surmultipliée pour proposer des modèles à l’impact écologique moins fort comme les véhicules hybrides et électriques mais aussi des motorisations diesel moins émettrices de particules polluantes. Certes, un tel virage ne s’accomplit pas en quelques mois mais il aurait pu constituer une première réponse concrète et forte pour souligner que VW avait intégré les premiers enseignements de la crise.

Greenpeace protests against meeting of top car manufacturersPourtant, rien ne semble avoir vraiment changé sur le fond, notamment en matière de lobbying auprès des instances de l’Union européenne. Cette dernière déjà pointée du doigt pour un certain laxisme à l’égard des constructeurs automobiles qui font pression pour ne pas subir des normes environnementales trop drastiques, a réagi mollement suite à la crise. Côté positif, les tests d’homologation environnementale vont désormais être réalisés en conditions routières réelles et non plus en laboratoires où la triche semblait plus facile à mettre en place. Côté négatif, les normes d’émissions polluantes demeurent encore élevées. Pour d’aucuns, c’est le résultat du lobbying intense des fabricants de véhicules diesel auprès de la Commission européenne où VW n’est pas en reste avec 43 consultants à plein temps pour juguler les velléités vertes trop prononcées (11) et les coûts supplémentaires qu’ils pourraient engendrer dans le prix de revient d’un véhicule.

Bien que l’on puisse comprendre les contraintes industrielles, les coûts additionnels inhérents et les impacts possibles sur l’emploi dans la filière diesel, le nouvel accord sur les gaz polluants porte en soi les germes d’un rebond de crise où VW sera alors en première ligne. Déjà, les ONG ont vivement protesté contre ces plafonds réglementaires qu’elles jugent trop complaisants. Elles ne comptent d’ailleurs pas relâcher la pression comme le dit Dylan Tanner qui fait partie d’Influence Map, une association britannique qui recense les actions de lobbying des grandes entreprises à Bruxelles et ailleurs (12) : « Connaître le travail de lobbying est une bonne façon de comprendre l’attitude réelle des entreprises et cela peut servir de signal d’alarme ».

Attention au grand écart fatal

VW 3 - Greenpeace 2Le moins qu’on puisse dire est que Volkswagen semble relativement nerveux lorsque la presse entend réaliser des reportages sur les conséquences de la crise actuelle. L’équipe du magazine télévisé de France 2, « Complément d’enquête », a par exemple eu droit à une démonstration de doxa corporate lorsqu’elle s’est rendue au siège allemand pour interviewer des responsables. Hormis l’envie de parler de l’Autostadt, un parc d’attractions à la gloire de la marque, le porte-parole s’est montré mutique sur le reste des sujets. Or, à opposer une fin de non-recevoir rigide tout en accentuant son lobbying dans un contexte sociétal gagné par la défiance, Volkswagen prend des risques majeurs pour la restauration de sa réputation.

L’exigence de transparence et d’explication demeure très prégnante. Sur les réseaux sociaux par exemple, le sujet du #DieselGate mais plus encore de la marque Volkswagen connaît toujours un volume de conversations important dont la tonalité générale n’est guère clémente envers le constructeur allemand. D’autres acteurs sont également à l’affût comme ShareAction, une ONG anglaise qui milite pour l’actionnariat responsable. En octobre 2015, elle a convaincu 19 fonds d’investissements pesant 850 milliards d’euros d’envoyer une lettre à 9 gros constructeurs automobiles dont VW pour les enjoindre de cesser leur lobbying anti-climat et de préciser les efforts qu’ils comptent faire sur les questions environnementales et les émissions polluantes de leurs véhicules d’ici 2020. Avec en filigrane, la menace de retirer leurs investissements si les lignes de conduite ne sont pas claires et concrètes (13).

Professeur de management au Brooklyn College de l’université de New York, Robert Bell a récemment émis une idée à l’attention de Volkswagen. A ses yeux, l’opinion publique sera plus encline à pardonner la carambouille logicielle si Volkswagen s’engage plus fortement en finançant le développement de la voiture électrique via ce qu’il appelle un « fonds de rédemption vert ». En d’autres termes, il s’agirait pour la firme de Wolfsburg de soutenir budgétairement le déploiement d’infrastructures de bornes de recharge, rendant ainsi la voiture électrique viable et utilisable à plus grande échelle. C’est en tout cas le genre d’initiative très concrète qui permettrait effectivement à Volkswagen de sortir de l’ornière à moindres frais réputationnels. Fondateur emblématique de Tesla, Elon Tusk, n’est d’ailleurs pas loin de penser la même chose (14) : « J’imagine que Volkswagen était sous une énorme pression et s’est retrouvé coincé par ce qui est effectivement possible. Après cela, la tricherie est la seule option. Le diesel atteint ses limites. Le seul moyen de réduire les émissions, c’est de changer de technologie ». Qu’en dit Volkswagen qui dispose pourtant déjà de modèles hybrides et électriques ?

VW 3 - Topsy

Sources

– (1) – Ulrich Beck – La société du risque : sur la voie d’une autre modernité – Aubier – 2001
– (2) – Communiqué de presse du groupe Volkswagen – « Volkswagen is world’s most sustainable automotive group» – 11 septembre 2015
– (3) – Jean-Philippe Lacour – « Un président contesté veut sortir Volkswagen de la crise » – Les Echos – 8 octobre 2015
– (4) – « Volkswagen : une « class action » des grands actionnaires pour réclamer 40 milliards d’euros ? » – La Tribune.fr – 19 octobre 2016
– (5) – Marc Angrand – « Volkswagen dans le rouge à cause du scandale du diesel » – Zone Bourse.com – 28 octobre 2015
– (6) – Cécile Boutelet – « La facture pourrait encore grimper pour Volkswagen » – Le Monde – 24 octobre 2015
– (7) – Cécile Boutelet – « Volkswagen peut-il survivre au scandale ? » – Le Monde – 8 octobre 2015
– (8) – Cécile Boutelet – « Volkswagen contraint à une mue douloureuse » – Le Monde – 16 octobre 2015
– (9) – Cécile Boutelet – « La facture pourrait encore grimper pour Volkswagen » – Le Monde – 24 octobre 2015
– (10) – Philippe Jacqué & Cécile Boutelet – « Volkswagen, un avenir en pointillé » – Le Monde – 8 octobre 2015
– (11) – Jean-Pierre Stroobants & Cécile Boutelet – « Affaire VW : Bruxelles accusé d’avoir fermé les yeux » – Le Monde – 30 septembre 2015
– (12) – Eric Albert – « Scandale Volkswagen : les constructeurs rappelés à l’ordre » – Le Monde – 14 octobre 2015
– (13) – Ibid.
– (14) – Robert Bell – « Comment Volkswagen peut-il se faire pardonner ? » – Le Monde – 24 octobre 2015



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