Tampons hygiéniques : les signaux faibles actuels annoncent-ils une prochaine crise réputationnelle pour les marques ?

Multiplication de cas de syndromes du choc toxique graves chez plusieurs utilisatrices, refus des députés britanniques et français d’abaisser la TVA élevée sur ce produit d’hygiène intime et dernièrement, soupçons de contenir des résidus d’herbicides dans leur composition … Le moins qu’on puisse dire est que les tampons hygiéniques ont mauvaise presse depuis plusieurs mois. Les escarmouches se multiplient çà et là sur les réseaux sociaux pour pousser les marques à plus de transparence sans résultats majeurs jusqu’à présent. Tampax, Always, Kotex et les autres devraient-elles plus intégrer ces signaux faibles, vecteurs de crise potentielle ? Eléments de réflexion.

Le tampon hygiénique utilisé par de très nombreuses femmes dans le monde, n’en est pas encore à faire la Une scandalisée des médias et subir une crise de confiance sans précédent. Il n’empêche que le produit plus connu sous le nom de marques emblématiques comme Tampax, Always, O.B., Kotex ou encore Vania accumule les sujets sensibles depuis plusieurs mois dans la presse et sur les réseaux sociaux. Même s’ils ne relèvent pas tous de la même problématique, ils concourent en revanche à nourrir un écosystème conversationnel délétère d’où les marques sont particulièrement absentes. Pour l’instant, le débat reste confiné essentiellement sur le Web social et repris ponctuellement par des médias traditionnels mais il pourrait suffire d’un élément déclencheur très émotionnel pour faire basculer les entreprises productrices dans une crise majeure où la confiance risque d’être durablement impactée.

Un sujet de conversation récurrent

Tampons - émission TVPour prendre la mesure du problème, il suffit déjà d’effectuer un rapide tour d’horizon sur Google et quelques forums de discussion féminins pour s’apercevoir que le sujet des tampons hygiéniques est une préoccupation majeure pour des millions de femmes, notamment en termes de santé et bien-être. Lesquelles seraient amenées selon certains statisticiens à utiliser entre 8000 et 12 600 protections hygiéniques en moyenne durant leur vie (1). Même si pour les représentants du sexe masculin, le sujet peut sembler épiphénoménal, ce dernier est pourtant bien loin de l’être. On estime ainsi que 8 millions de Françaises souffrent d’irritations intimes annuellement (2). Des désagréments qui posent forcément question sur la nature même des produits que les industriels de l’hygiène intime commercialisent.

La première alerte sur ce thème concerne le syndrome du choc toxique (SCT) qu’un tampon porté plus de 6 heures en moyenne peut engendrer avec le développement d’une toxine pouvant conduire à des séquelles graves, voire le décès de la personne. Le SCT est étudié par le corps scientifique depuis 1978 avec l’apparition des premiers tampons hygiéniques sur le marché. Dans les années 80, la marque Rely avait d’ailleurs provoqué plusieurs décès à cause d’une cellulose en gelée contenue dans le produit et favorisant l’apparition de microbes (3). Dans les notices des boîtes de tampons et sur leurs sites Web, tous les grands acteurs du secteur, à commencer par Procter & Gamble, Kimberley-Clark et Johnson & Johnson dispensent d’ailleurs des conseils et des mises en garde relatifs au SCT.

Premiers signaux faibles

Tampons - Lauren WasserIl n’empêche que la controverse médiatique est récemment revenue sur le devant de la scène. En juin 2015, c’est d’abord le top-modèle américain Lauren Wasser qui révèle au magazine Vice, la grave et fulgurante infection dont elle a été victime et qui a conduit à l’amputation de sa jambe droite en octobre 2012. Presque 3 ans plus tard, après une longue convalescence physique et morale, elle attaque en justice le groupe américain Kimberley-Clark Corporation, fabricant de la marque incriminée, Kotex.

Le 22 septembre 2015, l’histoire du SCT rebondit dramatiquement en Angleterre avec le décès de Jemma-Louise Roberts, une adolescente de 13 ans. Le diagnostic médical établit que le tampon en est également la cause.

Tampons - Petition TampaxSur les forums féminins en ligne et les médias spécialisés, les questions abondent aussitôt autour de l’innocuité garantie ou pas des tampons hygiéniques. Une jeune étudiante française de 19 ans, Mélanie Doerflinger décide entretemps de partir à l’assaut et d’exiger plus de transparence en lançant en août 2015, une pétition en ligne sur Change.org, Là, elle y interpelle la marque Tampax, n°1 du marché, et son fabricant Procter & Gamble pour qu’ils fassent figurer la composition exacte du produit sur l’emballage (NDLR : la loi française en l’état ne l’exige pas pour le moment) (4) : « Le témoignage de Lauren Wasser m’a beaucoup touchée, je me suis dit « la pauvre, elle a perdu une jambe et manqué de perdre la vie ! A force de lire des articles, je me suis dit « bouge-toi les fesses ». L’idée de lancer une pétition est donc venue naturellement au mois d’août. Au début, cela a été très laborieux et puis suite à l’article paru dans Metro News, tout s’est accéléré. En l’espace de quelques jours, le nombre de signatures est monté en flèche, passant de 300 à 1 000. J’ai été très étonnée ».

A l’heure actuelle, sa pétition a recueilli plus de 67 000 signatures, le soutien de plusieurs associations féministes (dont certaines comptaient de très nombreux membres) et un partenariat avec le magazine consumériste 60 millions de consommateurs qui va mener des enquêtes complémentaires. Pour amplifier le mouvement et maintenir la pression, la jeune femme a également créé un hashtag spécifique baptisé ironiquement #‎BonjourTampaxOùEstLaCompositionDeVosTampons ! Un fil dont l’activité demeure régulière depuis l’ouverture de la pétition en ligne. Dans la foulée, se sont également créés divers collectifs appuyant la requête de Mélanie Doerflinger dont certains comme les « Super Connasses » rassemblent tout de même plus de 93 000 fans sur Facebook ! Autre effet collatéral : des consommatrices américaines se regroupent à leur tour pour remettre la pression sur l’industriel.

Des réponses bien timorées

Tampons - Tweet Tampax MonsantoTout comme le groupe Kimberley-Clark mis en cause par le biais de sa marque Kotex dans l’affaire Lauren Wasser, les réponses de Procter & Gamble et Tampax vont être plutôt elliptiques dans un premier temps, se bornant à réaffirmer l’assurance de la sécurité des produits entrant dans la composition des tampons hygiéniques.

Pourtant le 27 octobre, petit coup de théâtre (mais uniquement aux Etats-Unis), les deux grosses entreprises acceptent d’en dire un peu plus sur les ingrédients. Le porte-parole de Kimberley-Clark déclare (5) : « Pour une transparence accrue et en réponse aux récentes questions des consommatrices, nous avons publié les ingrédients pour les produits U by Kotex dans la rubrique « Product Stewardship » de notre site Web ». Du côté de Procter & Gamble, une chef de produit Tampax et Always précise que les tampons sont essentiellement composés de coton et de viscose (6).

Si une députée de New York reconnaît l’effort des marques, elle émet toutefois des réserves et estime que l’intégralité des questions n’est pas encore traitée (7) : « Les nouvelles divulgations de Procter & Gamble et Kimberly-Clark constituent un pas dans la bonne direction et montrent que les préoccupations de millions de femmes ont été entendues. Mais ces divulgations demeurent encore très limitées ». Et le hasard du calendrier ne va d’ailleurs guère tarder à répondre en écho à l’insatisfaction de l’élue américaine. A peine les deux entreprises ont-elles communiqué qu’une étude argentine de l’université de La Plata vient jeter le trouble dès le 28 octobre. Après avoir analysé les tampons et les serviettes en vente dans leur pays, les chercheurs concluent que 85% des produits contiennent du glyphosate, un composant chimique qui entre dans la composition du Round Up, l’ultra-controversé désherbant de la firme Monsanto et qui est jugé comme cancérogène par l’Organisation Mondiale de la Santé. L’information fait aussitôt le tour des médias du monde entier et remet au goût du jour les exigences de la pétition en ligne de Mélanie Doerflinger qui n’a pour l’instant toujours pas eu gain de cause. Ni même le magazine 60 millions de consommateurs.

Une taxe tampon qui relance l’écho médiatique

Tampons - Stop taxing periodsParallèlement aux polémiques sanitaires qui commencent à s’accumuler, l’actualité du tampon hygiénique a rebondi de manière inopinée sur le terrain du législatif toujours en octobre dernier. Cette fois, il ne s’agissait pas de rendre la réglementation plus stricte quant à la transparence sur la composition exacte des tampons mais de statuer sur le taux de TVA appliqué lors de la vente des produits en magasins. C’est concomitamment en France et en Grande-Bretagne que le débat a suscité une vive émotion. En effet, plusieurs associations féminines réclamaient une baisse significative de la TVA (actuellement de 20% en France contre 5,5% réclamé) considérant qu’un tampon hygiénique n’était pas un produit de luxe, ni de confort superflu mais réellement un produit de première nécessité au même titre que les mousses à raser taxées à … 5,5% !

Pourtant, malgré les passes d’armes, les députés des deux côtés de la Manche ont voté contre une réduction de la taxe. Depuis, la mobilisation n’est pas retombée pour autant. En Grande-Bretagne, le collectif Luxuriously Taxable a diffusé une vidéo parodique moquant le conservatisme des députés en majorité masculins et considérés décidemment comme bien peu sensibles à la cause féminine. La vidéo a fait le buzz et est accompagnée d’une pétition en ligne à l’adresse du ministre de l’Economie anglais avec à ce jour plus de 267 000 signatures. En France, une pétition initiée par le collectif Georgette Sand a également démarré avec 26 000 signatures obtenues pour le moment. Autre opération : le collectif Culotte Gate a carrément versé dans le trash en envoyant aux députés et à des membres du gouvernement, des petites culottes tâchées de (faux) sang pour insister sur l’obtention de la TVA à 5,5%. Une initiative qui est aussitôt remarquée et reprise par les médias.

Attention, distorsion d’image en formation

Kotex - photo Jessica RoveroA force de faire l’objet des feux de l’actualité de manière récurrente sur divers sujets, le tampon hygiénique devient ostensiblement un objet de sensibilisation médiatique à la cause féminine et à la santé des femmes comme il ne l’a probablement jamais autant été de par le passé.

Pour l’instant, le sujet est encore au stade des signaux faibles mais la coagulation militante sur les médias sociaux commence à devenir significative. Si l’on additionne toutes les actions enclenchées soit pour la baisse de la taxe tampon, soit pour une information sanitaire plus précise sur les tampons, on atteint déjà aisément plusieurs centaines de milliers de personnes soucieuses du sujet.

Tampons - Facebook TampaxOr, les marques et les fabricants demeurent surprenamment discrets en termes de prise de parole et surtout décalés. Un exemple emblématique est la page Facebook USA de Tampax qui rassemble une communauté de plus de 601 000 fans. En dépit des récentes questions d’actualité où la marque a été nettement interpelée, cette dernière préfère proposer des jeux concours (voir ci-contre) à la limite du stupide (changer son tampon sans les mains !) plutôt que répondre aux posts inquiets de consommatrices sur cette même page. On retrouve pareille posture silencieuse sur la newsroom corporate de Procter & Gamble. Impossible de trouver un communiqué de presse faisant état de la position de l’entreprise et de la marque suite à l’étude argentine évoquant la présence d’herbicides dans les tampons. Du coup, le fait d’être muet accrédite-t-il la véracité du rapport argentin (et l’embarras potentiel) ?

Aujourd’hui, jouer la carte du silence peut éventuellement permettre de grappiller du temps et d’espérer que la polémique s’éteigne d’elle-même. Or, rien n’est moins sûr au regard notamment du nombre important de signatures engrangées par les pétitions en ligne en France et en Grande-Bretagne. Il suffirait qu’un élément déclencheur fortement émotionnel survienne brutalement (comme par exemple la mort supplémentaire d’une adolescente ou l’engagement d’une personnalité très médiatique sur le sujet) pour que la systémique de crise éclate au grand jour et parte en vrille médiatique. Industriels et marques concernées auraient tout intérêt à se rapprocher plus proactivement de leurs communautés avant que le fossé de l’incompréhension irréconciliable ne se creuse. En apportant plus d’éléments factuels sur la composition exacte des produits ou même en soutenant la cause des collectifs qui luttent pour la baisse de la TVA à 5,5%. Les différentes séquences de signaux faibles depuis juin 2015 devraient en tout cas inciter à plus d’ouverture et de dialogue. L’équation Lauren Wasser + pétitions en ligne + taxe tampon pourrait à terme virer au bourbier réputationnel.

Sources

(1) – « Tampons hygiéniques = produits dangereux ? » – Europe 1.fr – 13 mai 2015
(2) – « Tampons et serviettes : ces substances que nous cachent les fabricants » – France 5.fr – 14 juillet 2014
(3) – Tori Telfer – « Toxic Shock: Why This Woman Is Suing a Tampon Company After Losing Her Leg » – Vice – 17 juin 2015
(4) – Anne Xaillé – « Mélanie Doerflinger, la jeune française qui veut faire plier Tampax » – Journal des Femmes.com – 2 septembre 2015
(5) – Denver Nicks – «Tampon Makers Release Ingredients After Pressure From Activists » – Time – 27 octobre 2015
(6) – « Les tampons et serviettes hygiéniques : un concentré de pesticides ? » – Blog Big Browser – 29 octobre 2015 –
(7) – Denver Nicks – «Tampon Makers Release Ingredients After Pressure From Activists » – Time – 27 octobre 2015