Affaire Michel Combes & Alcatel-Lucent : 3 enseignements clés pour les communicants & les dirigeants
Le monde de l’entreprise (mais aussi de la haute administration) n’en finit pas de se heurter à des polémiques virulentes relatives aux sommes d’argent diverses et jugées excessives que touchent certains dirigeants. L’intense polémique autour des primes de départ octroyées à Michel Combes, désormais ex-PDG d’Alcatel-Lucent, vient de nouveau rappeler qu’au-delà des aspects éthiques et économiques, le sujet constitue également un enjeu de communication qui ne peut plus être traité à la légère sauf à mettre en péril la réputation des organisations comme celle de ceux qui les conduisent. Trois points clés se dégagent.
Parachutes dorés, retraites chapeau, packages de bienvenue, stock-options en pagaille, primes et indemnités variées des grands patrons sont autant de sujets qui suscitent à intervalles réguliers des pommes de discorde très médiatisées, y compris sur les réseaux sociaux et en interne. Surtout lorsque l’ensemble de l’addition comporte de surcroît plus de six ou sept zéros après la virgule et alimente un sentiment de vertige financier déconnecté de la réalité. C’est exactement à ce type de perception sociétale qu’est venue se fracasser l’histoire du chèque de départ de Michel Combes, à l’issue du rapprochement entre les équipementiers télécoms Nokia et Alcatel-Lucent dont il était jusqu’à présent le PDG. Même si le montant initial de 13,7 millions d’euros sur trois ans vient d’être ramené à environ 7 millions (1), il n’en demeure pas moins que le sujet fait débat et brouille sérieusement la réputation des tops managers avec trois niveaux d’impact.
Impact n°1 : La durabilité du mythe « patron glouton et mercenaire »
Alors que les fins de mois et le pouvoir d’achat de l’immense majorité des citoyens sont devenus des sources de préoccupation fortes, entendre parler d’un grand dirigeant empocher des millions et des millions d’euros pour son départ a forcément de quoi crisper les esprits les plus ouverts à l’égard du patronat. Dans le cas de Michel Combes, l’affaire était d’autant plus corsée qu’en toile de fond l’impétrant avait procédé à d’importants plans de licenciement chez Alcatel-Lucent et avait même déclaré le 22 avril dernier : « Je ne souhaite pas d’indemnités de départ » (2) lors de l’annonce officielle de la vente de l’équipementier à son concurrent Nokia.
Le voir faire exactement l’inverse quelques mois plus tard en faisant modifier au passage quelques statuts de la gouvernance d’entreprise pour toucher un pactole vertigineux, avait forcément de quoi émouvoir l’opinion publique et procurer à nouveau des arguments à ceux qui ferraillent contre les rémunérations gargantuesques de certains hauts dirigeants. Surtout lorsque les succès financiers ne sont de plus pas forcément probants. Or, ce genre de polémique est mortifère pour l’image du patronat. Interrogé par RTL, le vice-président du MEDEF, Thibault Lanxade en a d’ailleurs eu clairement conscience et n’a pas hésité à tacler durement en jugeant « choquantes » les primes attribuées à Michel Combes, « d’autant plus choquantes que les résultats n’étaient pas, on va dire, au rendez-vous » (3).
Même si des efforts ont été consentis sur la question épineuse du mode et du niveau de rémunération des dirigeants (souvent liés à l’atteint d’objectifs) dans les gouvernances d’entreprise avec des actionnaires pouvant avoir leur mot à dire, ceux-ci n’ont guère amélioré la réputation globale. En France comme dans les pays anglo-saxons, l’avis des actionnaires est certes sollicité mais souvent consultatif et a posteriori. A l’heure où le corps sociétal réclame à la fois plus de transparence mais également de collaboration, cette façon d’édicter les règles du jeu n’est pas de nature à enrayer le mythe tenace (et pas toujours juste) du patron avide et mercenaire. En accroissant la participation des instances de l’entreprise sur ce sujet et en communiquant clairement dessus, cela pourrait en revanche aider à dégonfler (ou du moins atténuer) certaines polémiques. En 2003, à la suite d’une grave crise financière subie par Alstom, son PDG de l’époque Pierre Bilger avait par exemple renoncé à une indemnité de départ de 4 millions d’euros pourtant inscrite dans son contrat (4) : « C’était un geste individuel, motivé par mes convictions chrétiennes ». Plus de gestes similaires contribueraient grandement à redorer le blason réputationnel des grands dirigeants.
Impact n°2 : L’engagement des salariés freiné
Alors qu’on parle de plus en plus de la nécessité de salariés ambassadeurs de l’entreprise dans l’écosystème externe de celle-ci, un dossier comme celui de Michel Combes est une bombe à retardement délétère en termes de management et d’engagement de ces derniers. Comment effectivement continuer à se sentir motivé, voire consentir des efforts ou des sacrifices horaires et/ou salariaux si le premier d’entre eux s’absout des termes qui régulent la vie de l’entreprise. Le leadership par l’exemplarité n’est pourtant pas une découverte managériale récente ! En revanche, elle devient de plus en plus visible en ce qui concerne la réputation de l’entreprise.
La porosité entre communication interne et communication externe est aujourd’hui une réalité tangible bien que d’aucuns croient mordicus encore possible d’étanchéifier à 100% et infailliblement la vie interne de l’entreprise aux yeux des publics externes. Pour s’en convaincre, il suffit de se remémorer le big bang médiatique déclenché cet été par l’enquête du New York Times à propos des conditions de travail et du mode de management pratiqués chez Amazon. Même si Jeff Bezos était pour une fois sorti de sa réserve avec l’appui de quelques cadres sur les réseaux sociaux, d’autres ont au contraire largement confirmé les révélations du quotidien. Cette tendance est inexorablement amenée à s’amplifier dans les années qui viennent. C’est d’ailleurs sur ce pari de l’expression des salariés que s’appuie la plateforme de notation des entreprises Glassdoor (lire le billet dédié à ce sujet sur le blog). Là aussi, l’équation réputationnelle de l’entreprise va de plus en plus exiger de la cohérence entre les comportements des tops managers et les autres salariés.
Impact n°3 : La marque employeur mise à mal
Tout comme un consommateur mécontent d’un produit peut engendrer un bad buzz aux conséquences parfois désastreuses, des affaires comme celle des primes de départ de Michel Combes ne procurent guère une image valorisante et attractive de l’entreprise (sauf peut-être pour celles et ceux qui obtiennent des rémunérations colossales sans obligation de performance !). Or, là aussi, la notion de « marque employeur » est un outil fondamental pour l’entreprise. D’elle, dépend en partie la capacité à attirer les talents (surtout sur certains secteurs d’activité ultra-concurrentiels) mais aussi à alimenter la fierté d’appartenance à une société et l’envie de la partager via les réseaux sociaux auprès de ses communautés personnelles.
L’image du PDG est par ailleurs un des critères clés de cette marque employeur. Toutes les études récentes menées sur le sujet s’accordent à dire qu’un PDG visible mais également consistant dans ses actes, constitue un atout réputationnel très important. En guise d’exemple, on peut citer celui de Karl-Thomas Neumann (photo ci-dessus) qui dirige la destinée de la marque automobile allemande Opel depuis deux ans. Même si ce fleuron de l’industrie germanique n’est pas encore totalement tiré d’affaire d’un point de vue financier, il a en revanche connu une nette embellie en termes d’image depuis que cet ingénieur de 52 ans le dirige. Auparavant, Opel jouissait plutôt d’une mauvaise presse avec des patrons très distants. Aujourd’hui, c’est l’inverse. Karl-Thomas Neumann s’implique personnellement dans un compte Twitter où il publie des vidéos de lui conduisant les nouveaux modèles de la marque et accorde plus souvent des interviews. Un spécialiste du marché automobile confirme ce succès d’image étendu à l’interne (5) : « Karl Thomas Neuman a aussi su dire aux salariés : « Je veux vivre Opel avec vous », ce qu’ils ont très bien reçu ».
Dans sa chronique hebdomadaire publiée sur les Echos Business, le fondateur et président de l’Ifas (cabinet d’accompagnement en changement comportemental), Eric Albert va même plus loin dans le rôle que les hauts dirigeants de demain vont être amenés à exercer (6) : « Le sens du collectif, l’absence d’agenda caché, le goût de la contribution au projet commun doivent être des critères qui permettent de les sélectionner. Ce devrait être une condition sine qua non. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Le brio prime sur tout et excuse toutes les autres défaillances ». A l’exception près que les dites défaillances sont contestées de manière encore plus puissante et visible. L’affaire Combes est totalement symptomatique à cet égard. Des défis en perspective pour les dircoms non ? !
Sources
– (1) – Audrey Tonnelier & Sarah Belouezzane – « Alcatel réduit les primes de départ de Michel Combes » – Le Monde – 12 septembre 2015
– (2) – Corinne Scemama – « Ces salaires taille patron » – L’Express – 9 septembre 2015
– (3) – « Le Medef juge « choquant » le parachute doré de Michel Combes » – L’Express – 31 août 2015
– (4) – « L’ancien PDG d’Alstom, Pierre Bilger, est mort » – L’Express – 5 mars 2011
– (5) – Cécile Boutelet – « Karl-Thomas Neumann, l’artisan de la renaissance d’Opel » – Le Monde – 15 septembre 2015
– (6) – Eric Albert – « Chacun pour soi » – Les Echos Business – 14 septembre 2015