Ethique et communication sont-elles des notions compatibles ou irréconciliables ?

Tandis que le syndicat professionnel Syntec Conseil en relations publics vient de publier une charte éthique des professionnels de la communication de crise, deux controverses ont surgi dans l’actualité de cette semaine aux Etats-Unis avec Uber, la compagnie de VTC et l’entreprise énergétique Transcanada au Canada. Deux affaires qui auraient tout aussi bien survenir en France et qui doivent inviter chaque professionnel à la vigilance. Les méthodes contestables de margoulins et francs-tireurs de la communication continuent de représenter un danger réputationnel pour la profession. Il faut agir avant que la défiance de l’opinion publique ne soit mortifère.

Avec l’initiative signé par le Syntec Conseil en RP, les grincheux patentés et les éternels suspicieux ne pourront pas dire que les professionnels de la communication n’essaient pas de mettre bon ordre au sein d’un métier qui n’en finit pas d’attiser ponctuellement fantasmes et polémiques. Il est vrai que les pratiques des spin doctors et de certains consultants en réputation ont de quoi alimenter le doute. Entre ceux qui professent des bobards cosmétiques énormes et ceux qui s’achètent sous le manteau des faux followers pour gonfler leur pseudo influence, petites et grosses embardées éthiques s’accumulent et se répètent sous le regard toujours plus critique du corps sociétal.

Une charte pour poser les enjeux et le cadre

Ethique - bookC’est dans cette optique que Syntec Conseil en relations publics a édité cette semaine la première charte des professionnels de la communication de crise. Fort de ses 47 agences membres (soit environ 1 000 collaborateurs et 65% du marché français des relations publics), le syndicat entend paver le terrain pour aboutir à terme à la création d’un Ordre des communicants de crise et l’instauration d’une formation certifiée garante des bonnes pratiques de ses adhérents. Directeur associé d’Havas Paris, Yves-Paul Robert est sans ambages sur la question (1) : « Cette initiative témoigne d’une évolution historique de notre discipline. Dans une société médiacratique, la communication joue une influence décisive sur la réputation mais aussi le business des entreprises. De plus en plus stratégique, la discipline est questionnée. Elle se devait de passer de l’ombre suspicieuse à une lumière assumée et respectée à l’égal des avocats ou des experts comptables ».

Cette première pierre constitue clairement une véritable avancée. Il est plus que temps que les communicants professionnels se désolidarisent des gourous de la com’ qui font tellement les choux gras des médias et alimentent les fantasmagories conspirationnistes de la société. Même si les rapports journalistes – communicants ont toujours été empreints d’une certaine méfiance et même si l’expression courante « c’est de la com » en dit long sur l’état du crédit accordé, il est regrettable que le métier de la communication soit justement réduit et amalgamé à ces seuls tireurs de ficelles manipulatoires.

Encore cette semaine, Le Canard Enchaîné s’est gaussé de Stéphane Fouks, vice-président d’Havas et surtout très controversé conseiller en communication. Dans l’actuelle enquête du parquet national financier sur d’éventuels délits d’initiés au sein de BNP Paribas, ce dernier assure la communication des trois hauts dirigeants de la banque qui auraient vendu grassement des actions juste avant que l’entreprise ne soit sanctionnée par les USA pour non-respect d’un embargo financier. Interrogé par l’hebdomadaire satirique, celui-ci déclare tout benoîtement que ses clients (2) « « n’ont jamais entendu parler de cette enquête et tombent de l’armoire. En 2013, personne ne savait que l’enquête américaine risquait de déboucher sur de lourdes sanctions et il n’y avait donc nulle raison de s’en protéger ». Circulez, y ‘a rien à voir !

Les vieilles marottes perdurent

Ethique - cartoon 2Il ne faudrait pas croire pour autant que les techniques de barbouze de la com’ ne concernent qu’une génération de communicants. Face aux enjeux réputationnels toujours plus volatiles et une opinion publique toujours plus cinglante, grande est la tentation de communiquer façon bulldozer dans l’espoir (souvent vain au final et plus coûteux qu’on ne l’imagine) d’imposer ses points de vue sans coup férir et sans se coltiner l’écoute des parties prenantes. Cette tentation, l’entreprise canadienne spécialisée en infrastructures énergiques, Transcanada y a succombé cette semaine, largement poussée en cela par son agence de communication pourtant réputée, Edelman. Depuis le début de l’année, l’énergéticien ferraille dur pour faire accepter un pharaonique projet d’oléoduc transportant le pétrole de sables bitumineux depuis la province d’Alberta jusque vers les provinces francophones de Québec et du Nouveau-Brunswick.

D’un montant de 12 milliards de dollars, le projet de Transcanada suscite pourtant de farouches résistances de la part des populations concernées par le tracé du pipeline et des organisations écologistes qui exigent un dialogue beaucoup plus poussé que de simples promesses pour préserver l’environnement. Face à ce tir de barrage nourri, la société canadienne s’est adjoint les services de l’agence de relations publics Edelman, n°1 mondial du secteur. Avec pour mission impartie au cabinet : monter un dispositif d’influence qui permettrait de rallier des citoyens à la cause du projet du Transcanada. Jusque-là, rien que du très classique. Le vœu de Transcanada d’être plus et mieux entendu dans le débat n’est en rien blâmable.

Les choses se sont corsées lorsque l’ONG Greenpeace a eu connaissance via un informateur anonyme des mécanismes du dispositif proposé par Edelman à Transcanada. Si l’objectif retenu est de pouvoir compter sur 35 000 partisans(3) qui doivent commenter des articles sur Internet, animer des blogs, interpeler les médias et intervenir sur les réseaux sociaux, la méthode suggérée pour y parvenir a déclenché une vive polémique. Dans un langage martial digne des revues militaires, l’agence de communication recommande ni plus ni moins de rémunérer discrètement les personnes qui accepteront de croiser le fer avec les associations environnementales. Autre perle figurant dans les recommandations d’Edelman : dénicher des informations négatives relatives aux opposants les plus résolus qu’ils soient issus des milieux associatifs, scientifiques ou médiatiques et s’en servir le cas échéant.

Il faut une révolution copernicienne

Ethique - diable angeDevant le tollé médiatique et sociétal déclenché par les révélations, le porte-parole de Transcanada, Tim Duboyce est aussitôt monté au créneau. A ceux qui accusent l’entreprise de vouloir purement et simplement acheter l’opinion publique pour imposer en force son projet industriel, celui-ci répond que les suggestions contenues dans le rapport stratégique d’Edelman n’ont en fin de compte pas été retenues par l’entreprise, notamment le recours à des informations discréditant des opposants ou encore le financement de blogueurs. Même si la défense opérée par le communicant de l’entreprise sur le plateau TV de Radio Canada semble plutôt sincère, il n’en demeure pas moins que le mal est fait. Désormais, Transcanada va attiser encore plus la méfiance à cause des tactiques saugrenues et bien peu éthiques avancées par Edelman.

Aujourd’hui, les communicants doivent impérativement accomplir leur révolution copernicienne. A l’heure où les réseaux sociaux aiguillonnent en permanence le débat et détricotent des réputations en quelques clics, comment peut-on encore raisonnablement imaginer en 2014 utiliser l’intox, le discrédit, voire la corruption passive comme outils de communication pour faire évoluer les opinions ? La question est grave. Plus des professionnels de la com’ persisteront à vendre de telles prestations à des clients, plus le métier de communicant sera perçu comme de la vile propagande sans foi ni loi qui assène à tout prix sans chercher à entendre l’écosystème ambiant.

Ethique - cartoonLa question est d’autant plus critique qu’elle se pose aussi dans les organisations des entreprises elles-mêmes. La preuve flagrante en a été administrée cette semaine également par l’un des vice-présidents d’Uber, Emil Michael. Alors que la compagnie de VTC n’en finit pas d’empiler les polémiques et les crispations à travers le monde, celui-ci n’a rien trouvé de plus intelligent que de fanfaronner dans un dîner public sur la stratégie de déstabilisation qu’il avait mise en place pour annihiler le travail des journalistes jugés trop remuants ou trop mordants envers Uber. En d’autres termes, il s’agissait de fouiner dans la vie personnelle des personnes ciblées, de divulguer les trouvailles sans que (4) « personne ne sache que ça vient de nous [Uber] ».

Une journaliste a d’ailleurs fait les frais : Sarah Lacy. Rédactrice pour Pando Daily, site spécialisé du secteur des nouvelles technologies, elle a récemment publié un papier où elle écorne l’image d’Uber en qualifiant cette dernière de misogyne et sexiste à cause d’une campagne publicitaire d’un goût effectivement douteux pour les services de la compagnie de VTC. A cause de cet article, elle s’est vu menacée par les communicants d’Uber de répandre publiquement des informations relatives à sa vie privée. Là aussi, le scandale a été retentissant. Emil Michael s’est alors retranché dans l’esquive couarde en dénonçant (5) « un traitement médiatique sensationnaliste » et un procès d’intention qui « ne reflètent pas [ses] opinions réelles et n’ont aucun lien avec les opinions de l’entreprise » (sic) !

Aller au bout des choses

Ethique - panneau 2Les agences de communication ont de toute évidence un rôle pivot à exercer dans cet assainissement des pratiques. D’une part pour préserver la réputation du métier de communicant et lui éviter le sort peu enviable des politiciens qui pourrissent dans le cul de basse-fosse des sondages d’opinion. D’autre part pour encourager et accompagner les entreprises à ne pas (plus) céder aux lubies barbouzardes de la communication de papa. Il est absolument impératif que l’initiative entreprise par Syntec Conseil en RP puisse perdurer et déboucher à terme sur un conseil de l’Ordre avec de véritables leviers de sanctions.

Ce dernier point est particulièrement crucial. Les lignes jaunes franchies trop prestement doivent faire l’objet d’un traitement spécifique pouvant aller jusqu’à l’exclusion du métier. Ne serait-ce que pour faire mentir le célèbre adage « les conseilleurs ne sont pas les payeurs ». Aujourd’hui, les conseilleurs doivent justement être comptables de leurs actes et de leurs recommandations. Cette ligne peut peut-être paraître dure à d’aucuns. Pourtant, il n’existe pas de voie médiane comme le trace Yves-Paul Robert (6) : « Clairement, ce texte n’est qu’une première étape. Il permet déjà de nous doter de règles communes en interne, d’envoyer un message aux médias et de crédibiliser notre mission auprès de nos clients ». C’est au prix de ces efforts effectivement qu’éthique et communication pourront être harmonieusement conjuguées.

Sources

– (1) – Communiqué de presse du Syntec RP – 18 novembre 2014
– (2) – Valérie de Senneville – « BNP Paribas : enquête pour délits d’initié supposés » – Les Echos – 19 novembre 2014
– (3) – Thomas Gerbet – « Fuite majeure dans la stratégie de Transcanada » – Radio Canada – 18 novembre 2014
– (4) – « Comment avoir bonne presse ? Un dirigeant d’Uber propose de fouiller la vie privée des journalistes trop critiques » – Blog Big Browser du Monde – 18 novembre 2014
– (5) – Ibid.
– (6) – Alain Delcayre – « La com fait sa crise d’éthique » – Stratégies – 20 novembre 2014

Pour en savoir plus

Télécharger et lire l’intégralité de la charte éthique des professionnels de la communication
Télécharger et lire l’intégralité du rapport d’Edelman adressé à Transcanada
Lire le témoignage accablant de Sarah Lacy sur les méthodes douteuses de relations publics d’Uber
Relire l’analyse des pratiques étranges de Christophe Ginisty, « expert » en réputation digitale



6 commentaires sur “Ethique et communication sont-elles des notions compatibles ou irréconciliables ?

  1. Kamel  - 

    C’est déjà compliqué pour les entreprises de bien saisir leur vrai pouvoir de communication. Elles sont souvent assez démunies face à des acteurs qu’elles connaissent mal (par exemple le grand public). Les simulations de crise comme les serious games peuvent faire avancer les dirigeants dans leur vision globale, mais encore faut-il vouloir investir dans ces nouveaux outils.

  2. Laurent  - 

    Avec cette charte éthique des professionnels de la communication de crise publiée, on peut dire que les professionnels de la communication essaient de mettre bon ordre au sein d’un métier. De plus il était temps de se détaché des gourous de la communication. C’était vraiment une bonne initiative.

  3. Georges Peillon  - 

    Bonjour Olivier,
    Merci pour toutes ces précisions sur l’initiative d’une charte des professionnels de la communication de crise. Toutefois, et je l’ai évoqué avec Thierry Wellhoff, il est dommage qu’il n’y ait pas eu une plus large concertation. Certes, Syntec RP représente de très grandes agences mais pas toutes et ni les indépendants. De plus, beaucoup (un peu comme chez les journalistes) craignent la création d’un ordre qui pose la question de sa légitimité et d’une certaine forme de corporatisme. Dans ce cas pourquoi ne pas imaginer la création d’un ordre des professionnels de la communication interne, de la communication financière, de la communication 2.0 ? Il me semble enfin, à mon petit niveau, que je n’ai rien de commun avec ces gourous de la com dont il est question et dont parlait très bien le documentaire « les stratèges de la communication ». Les chefs d’entreprise rencontrés en période de crise sont aussi très éloignés des élus en situation de crise… Reste sans doute à inventer une cartographie des typologies de crise pour savoir qui est qui… Bien cordialement

    1. Olivier Cimelière  - 

      Bonjour Georges
      Vos remarques sont très pertinentes. D’abord sur le fait qu’il faille dans un avenir proche élargir et englober d’autres facettes de la communication sous une seule et même ombrelle. La com de crise constituait simplement une bonne première pierre pour lancer l’initiative car c’est souvent celle qui est le plus sujette à caution …
      Ensuite d’accord également sur le fait qu’il faille associer des consultants indépendants pour enrichir la représentativité. Et enfin d’accord pour ne pas sombrer dans le corporatisme ! C’est toujours le piège consubstantiel qui pend au nez. Mais pour suivre régulièrement les activités du Syntec RP (que préside Thierry mon patron – je précise que je n’ai pas écrit mon billet sur demande 🙂 – je trouve que pour l’instant les esprits ne sont dieu merci pas dans cette posture corporatiste … Il faudra juste être vigilant !!! Bien cordialement

      1. PEILLON  - 

        Olivier, complètement d’accord. Je pensais qu’une association comme communication et entreprise (+de 1600 membres quand même) pouvait être aussi un bon tremplin.
        Le débat est toutefois intéressant sur la création d’un ordre. Il me semble que les journalistes (enfin certains) essaient de créer aussi un ordre depuis… 1947 ?

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