JP Morgan & British Gas : Opération Twitter improvisée = #Fail assuré
La compagnie énergétique britannique British Gas et la banque américaine JP Morgan ont tour à tour expérimenté à leurs dépens un magistral fiasco numérique en lançant un peu trop aléatoirement une opération de questions-réponses sur Twitter entre leurs dirigeants et les consommateurs. L’initiative a viré au désastre réputationnel pour les deux marques. Explications.
Ne se décrète pas digital qui veut ! Cela pourrait être en substance l’enseignement majeur à retenir pour toutes les entreprises et les marques qui ambitionnent d’apprivoiser les réseaux sociaux. Sur ces derniers, les vieilles recettes cosmétiques et incantatoires de la communication de papa ne fonctionnent plus. S’entêter à vouloir l’ignorer, c’est s’exposer à de sévères retours de bâton dont British Gas et JP Morgan viennent de faire récemment l’amère expérience. Poser un pied dans le digital pour s’adresser à ses publics est une chose. En saisir pleinement la culture, les codes et les attentes en est une autre. Pour ne l’avoir pas compris, les deux entreprises se sont faites joyeusement étrillées par des twittos qui leur ont rappelé la vraie vie sans prendre des pincettes.
JP Morgan paie cash et au centuple
Tout auréolés du succès de la campagne d’introduction en Bourse de Twitter à laquelle JP Morgan a étroitement participé, les communicants de la banque ont alors eu dans la foulée l’idée de surfer sur le gazouillis numérique en organisant une session de questions-réponses sur cette même plateforme sociale avec James B. Lee Jr, vice-président de la firme américaine et acteur clé de l’IPO de Twitter.
Objectif de la causerie en ligne : échanger avec les étudiants sur les opportunités de carrière dans la finance. Pour la circonstance, un hashtag spécifique (#AskJPMorgan) est créé et annoncé quelques jours auparavant pour recueillir les premières questions.
A peine le hashtag était-il partagé sur Twitter que les internautes ont ouvert le bal mais pas vraiment de la manière escomptée par les communicants de JP Morgan. Un déluge de plus de 8 000 tweets (1) va alors s’abattre sur le fil de discussion avec une majorité écrasante de messages négatifs et agressifs à l’égard de la banque. Cette dernière est alternativement taclée pour ses pratiques bancaires peu éthiques, les scandales financiers dans lesquels elle est actuellement impliquée ou encore les manipulations de cours boursiers dont elle est suspectée.
Le bad buzz ne tarde guère à se répandre. Au départ de l’opération, le compte officiel de JP Morgan comptait 8 731 followers (2). Un jour plus tard, il a enregistré un gain de plus de 1500 abonnés plus souvent motivés par la controverse déclenchée que par les informations de la banque. Résultat, le tweetchat prévu avec le dirigeant de JP Morgan est annulé séance tenante via un tweet laconique : « Le Q&R de demain est annulé. Mauvaise idée. Retour au tableau noir ». Depuis, le compte Twitter officiel est d’ailleurs demeuré muet. Sans doute encore sous le choc de la déferlante de commentaires assassins déversés par les twittos. Sur le hashtag #AskJPMorgan, les blagues les plus sardoniques continuent elles de s’accumuler !
Retour de flamme explosif pour British Gas
Un mois plus tôt, c’est le fournisseur d’électricité et de gaz British Gas qui a subi une déroute quasi identique à celle de l’établissement financier d’Outre-Atlantique. A l’origine de l’histoire, se trouve l’annonce faite par l’entreprise au sujet de son intention de procéder à une augmentation des tarifs d’électricité (+10,4%) et de gaz (+8,4%) auprès de ses abonnés à compter du 23 novembre. Hausse justifiée par British Gas pour compenser par ailleurs le renchérissement des coûts d’exploitation et de transport des énergies et les taxes gouvernementales instaurées pour l’isolation des maisons particulières.
Conscient que la nouvelle ne réjouit guère les clients concernés, l’entreprise décide donc d’organiser une séance de questions-réponses sur Twitter pour s’expliquer avec comme porte-parole désigné, Bert Pijls, le directeur du service client de British Gas. Là aussi, un hashtag particulier est concocté (#AskBG) et aussitôt diffusé auprès des twittos le 17 octobre.
L’initiative va effectivement attirer du monde puisqu’en l’espace de quelques heures seulement, 16 000 messages (3) sont déposés sur le fil. Si la quantité est au rendez-vous, la teneur des répliques des consommateurs est en revanche d’une virulence inouïe et sans concessions. L’entreprise est successivement accusée d’avidité financière, d’irresponsabilité sociale et même d’assassin potentiel pour ceux qui ne pourraient plus se chauffer à cause de factures délirantes et mourir de froid. En face, British Gas tente vainement de répondre à quelques questions mais se retrouve au final totalement débordé par l’afflux incessant de phrases cinglantes et impitoyables à l’égard de l’enseigne. Un mois plus tard, le fil #AskBG continue d’ailleurs de recevoir des moqueries à peine plus aimables que les premières critiques !
Etre sur Twitter ne s’improvise pas
S’il est une leçon à retenir en priorité de la déconfiture réputationnelle vécue par JP Morgan et British Gas, c’est bien la notion de préparation. Certes, ouvrir un compte Twitter ou lancer un fil de discussion ne nécessite que quelques clics de souris. En revanche, comprendre les usages en vigueur sur Twitter ne s’improvise pas du jour au lendemain. On ne devient pas compatible Web social simplement par le truchement d’une opération gadget soufflée par un communicant se croyant probablement hype et inspiré. Analyste chez E-Marketer, Debra Williamson est inflexible sur ce point essentiel (4) : « Je pense que les entreprises oublient parfois que les médias sociaux appartiennent aux gens. Les consommateurs ont le contrôle bien au-delà de leurs attentes les plus débridées. Les marques dépensent beaucoup d’argent pour essayer de faire quelque chose de positif et viral via une vidéo, une pub ou un tweet mais qui tourne souvent à la bévue ».
En plus de ne pas comprendre la philosophie qui anime les usages sur les réseaux sociaux, les équipes de communication de JP Morgan et British Gas ont pêché par une incroyable naïveté qui confine presqu’à l’incompétence caractérisée. Dans le cas de la banque, il n’était nul besoin d’être grand clerc pour s’attendre à des bordées de récriminations et d’injures sévères tellement la réputation de JP Morgan est déplorable au sein de l’opinion publique américaine. Dans le cas de British Gas, il était plutôt suicidaire de débarquer benoîtement sur Twitter après avoir annoncé une hausse massive et douloureuse de l’énergie pour les budgets familiaux britanniques. Or dans les deux cas, personne n’avait réellement anticipé une liste de questions sensibles qui pouvaient potentiellement être objectées durant la discussion sur Twitter.
British Gas avait certes préparé quelques argumentaires complémentaires sur son site corporate. Mais la concomitance du timing entre l’annonce des augmentations et le lancement du tweetchat a vite ruiné les efforts de l’entreprise qui refuse pourtant d’admettre qu’elle s’est fourvoyée comme le déclare Ian Peters, directeur général du secteur Energie pour les particuliers (5) : « Je ne décrirais pas ceci comme un désastre RP. Nous nous sommes engagés à être ouvert et transparent. Il s’agit de décisions délicates à prendre dans une période compliquée et il n’aurait pas été approprié de notre part de se cacher et ne pas nous expliquer ». Dont acte mais un minimum de préparation, de cadrage et de bon sens aurait très probablement évité à British Gas le bourbier digital qui a finalement eu lieu.
Bien connaître son écosystème avant de prendre la parole
L’autre observation que l’on peut formuler à la lumière de ces ratages sur Twitter, est l’absence de connaissance avérée de JP Morgan et British Gas de leur audience sur les médias sociaux. L’un comme l’autre ont débarqué la fleur au fusil, leurs bonnes intentions en bandoulière et également une certaine dose d’arrogance de la part de JP Morgan au regard de l’image désastreuse que la banque trimballe pourtant depuis des lustres. Ce genre d’opération ne se prépare pas à la légère, ni ne se conçoit uniquement dans l’optique de faire moderne.
Il existe pourtant suffisamment aujourd’hui d’outils de veille et d’écoute des réseaux sociaux pour qu’une entreprise puisse d’abord comprendre dans quel écosystème numérique elle va se retrouver en prenant la parole sur les plateformes sociales. Repérer les influenceurs du secteur (détracteurs comme alliés objectifs), analyser la teneur des discussions, calibrer la perception de la marque en question dans cet univers sont quelques-uns des critères incontournables à intégrer avant toute opération RP sur les médias sociaux. Autrement, cela revient véritablement à s’aventurer dans le désert sans boussole, ni GPS ou téléphone satellite et avec le risque d’y laisser tout ou partie de sa peau réputationnelle.
Consultant chez KPMG, James Jones insiste clairement sur cet aspect encore trop souvent négligé par les entreprises et les marques qui préfèrent voir dans les réseaux sociaux, un canal de communication additionnel au même titre qu’un panneau d’affichage, un spot TV ou un encart publicitaire (6) : « Afin d’être efficace, une approche sélective doit être considérée au préalable. Trop d’entreprises ne sont pas encore assez « granulaires » dans leur approche. Elles devraient développer des matrices sur les médias sociaux où les indices d’influence et de risque sensible sont appréhendés et leur impact possible sur la population ».
Les règles du jeu communicant ont changé
JP Morgan et British Gas réfléchiront désormais probablement à deux fois avant de réitérer des actions de communication avec leurs publics sur les réseaux sociaux. Le piédestal corporate qui a longtemps servi de tribune communicante aux entreprises, n’a plus lieu d’être sur les médias sociaux où paroles et conversations roulent d’égal à égal. Que vous soyez un quidam nanti de 400 followers ou une énorme enseigne d’envergure mondiale, les mêmes règles du jeu conversationnel s’appliquent. Dans ces règles, priment d’abord la capacité à écouter, interagir, tenir compte de l’autre et apporter des éléments à valeur ajoutée.
Pour autant, les désaccords et les critiques ne sont pas à redouter systématiquement du côté de l’entreprise. Sur le Web social, c’est la capacité à répondre activement et concrètement qui est d’abord jugée par les internautes. Même un feedback négatif au départ peut être transformé en terrain gagné si la marque ou l’entreprise concernée sait répondre de manière appropriée, avec des éléments factuels et pas du prêchi-prêcha incantatoire ou des tournures corporate ampoulées, dilatoires et sans saveur.
Directrice marketing du réseau commercial en ligne Bazaarvoice, Lisa Pearson enfonce le clou (7) : « La capacité à répondre est une des dimensions les plus importantes dans une relation commerciale plus « humaine ». Avec l’accélération des changements induits par les médias sociaux, les nouvelles technologies et la concurrence accrue, les entreprises désireuses de bâtir des relations durables avec les consommateurs doivent participer dans des expériences qui inspirent la confiance, le dialogue et la collaboration à chaque étape de leur démarche ». Qu’on se le dise. Il est révolu le temps où il suffisait de claironner quelques éléments de langage aseptisés pour estomper les questions de l’opinion publique.
Sources
(1) – Camilla Hall et Hannah Kuchler – « JPMorgan feels the wrath of Twitter » – Financial Times – 14 novembre 2013
(2) – Ibid.
(3) – Terry Mc Allister et Jennifer Rankin – « British Gas : energy bills hike turns into PR disaster » – The Guardian – 18 octobre 2013
(4) – Camilla Hall et Hannah Kuchler – « JPMorgan feels the wrath of Twitter » – Financial Times – 14 novembre 2013
(5) – Terry Mc Allister et Jennifer Rankin – « British Gas : energy bills hike turns into PR disaster » – The Guardian – 18 octobre 2013
(6) – Jessica Twentyman – « Reputation management : Whatever happens, be responsive and remain positive » – Financial Times – 6 novembre 2013
(7) – Ibid.
2 commentaires sur “JP Morgan & British Gas : Opération Twitter improvisée = #Fail assuré”-
arnaud queyrel -
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Olivier Cimelière -
Brillant et excellent article ! Bravo et merci. Je serais fort heureux que vous m’informiez de vos futurs articles similaires.
Au fait, chemin faisant, pourquoi cet article n’est-il pas signé ? ;>
aq
Bonjour et un grand merci pour vos chaleureux encouragements !
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Les articles ne sont pas signés car ils émanent tous … de moi ! Ca risquait de faire un peu répétitif. Les seules exceptions sont les billets invités que j’accueille parfois. Dans ces cas-là, ils sont signalés comme tels ! A bientôt
OC
Les commentaires sont clos.